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Église et État : subordination, complémentarité, distanciation ?

 

Tout au long des siècles, la relation entre l’Église et le pouvoir civil, appelé État à l’époque moderne, a constitué un défi fondamental pour les deux entités.

En tant que communauté chrétienne, l’Église touche des humains qui relèvent aussi du pouvoir politique. Elle s’adresse à l’homme dans sa globalité et revendique la liberté de confesser sa foi et d’annoncer son message. De son côté, le pouvoir civil exerce son autorité dans un espace donné sur l’ensemble d’une population, croyants ou non, qu’il gouverne par des lois et des institutions appelées à assurer la paix et le vivre ensemble des citoyens.

Il n’y a pas de doctrine qui réglerait une fois pour toutes les relations entre les deux entités. Se fondant sur la Bible, les Églises chrétiennes ont non seulement défini leur foi et leur identité, mais précisé aussi les relations qu’elles souhaitent avoir avec le pouvoir civil. De son côté, ce dernier, à travers ses lois et sur la base d’une philosophie politique, n’a cessé, de manière changeante certes, de préciser son auto compréhension et les règles de son fonctionnement. Plusieurs types de relations entre les deux entités ont vu le jour au cours des siècles et sont encore présents plus ou moins aujourd’hui.

De Jésus aux communautés chrétiennes des premiers siècles

Les évangiles évoquent de manière plus ou moins critique des autorités politiques telles que Hérode ou Pilate, mais ils ne conceptualisent pas le pouvoir politique et ses fonctions. Jésus, interrogé par ses adversaires au sujet du tribut à payer ou non à César, se contente de dire : « Il faut rendre à César ce qui est à César. » (Lc 20,25) Était-il proche des révolutionnaires de son temps, désireux de changer l’ordre politique par la violence ? Les évangiles ne permettent pas de l’affirmer. Reste pourtant que son annonce du Royaume de Dieu pouvait être perçue comme une remise en question de la domination romaine.

Selon le Livre des Actes, le message et le vécu chrétiens sont utiles à l’État dans la mesure où les apôtres s’opposent à des pratiques frauduleuses dans la religion païenne. On reconnaît que dans leur fonction et en respectant le droit en vigueur, les autorités civiles jouent un rôle important pour le vivre ensemble des hommes. Mais dans les Actes apparaît aussi l’opposition très nette des premiers chrétiens à une déification des autorités impériales.

Dans l’épître aux Romains (Rm 13,1-7), Paul précise les fonctions de l’autorité civile, en particulier celle d’être au service de la justice et de s’opposer aux malfaiteurs. Dans cette fonction, elle a été instituée par Dieu. Il faut lui obéir et lui payer des impôts. C’est à Dieu qu’il appartient de limiter, voire de mettre fin à un pouvoir injuste. Une distinction entre le pouvoir civil et la communauté chrétienne apparaît dans la mesure où Paul demande aux chrétiens en conflit entre eux de ne pas s’en remettre à l’autorité civile, mais de régler les contentieux à l’intérieur de la communauté chrétienne (1 Co 6,1-11).

C’est dans l’Apocalypse qu’on trouve l’ébauche d’une distanciation plus nette par rapport au pouvoir civil. Elle ne dit rien d’un établissement de la domination romaine par la volonté divine. Elle annonce le jugement à venir, opéré par le ciel, qui attend la ville terrestre et ses sept collines (17,9), c’est-à-dire Rome.

En attendant, les communautés chrétiennes vivront tout en respectant le devoir d’obéissance à l’égard des autorités civiles inculqué par Paul. Elles prient aussi pour les autorités. Mais la persistance d’une religion d’État basée en particulier sur le culte impérial, considéré par les chrétiens comme contraire à la loi divine, suscite des conflits et des persécutions. Des écrits antichrétiens accusent le christianisme de remettre en cause les valeurs de la civilisation romaine, d’inciter à la désobéissance et de s’opposer à la raison. Les exécutions qui frappent les chrétiens ne les empêchent pas de prier pour les autorités. Mais des réticences se font jour au sujet de leur participation aux fonctions de magistrat ou de soldat.

De Constantin à l’époque médiévale

L’Édit de Milan de 313 met fin aux persécutions et reconnaît la religion chrétienne. En 380, le christianisme devient religion d’État avec Théodose. Un nouveau mode de relations entre l’Église et la société est mis en place. L’Église trouve sa place dans un État qui se considère comme chrétien. L’empereur, c’est-à-dire le pouvoir civil intervient dans la vie de l’Église et celle-ci le soutient. Il met à disposition des bâtiments officiels pour un usage religieux. Il s’efforce de régler les conflits doctrinaux qui troublent l’ordre public et il convoque les conciles. L’Église compte sur lui pour combattre l’hérésie et le paganisme. Il y a une sorte d’osmose entre l’Église et la société. Ainsi les évêques adoptent un style de vie proche de celui des gouverneurs romains. On leur confie d’ailleurs des fonctions temporelles. Pour beaucoup de chrétiens, l’Empire est la dernière étape, voulue par Dieu, de l’histoire humaine.

Le rôle prépondérant joué par les empereurs dans l’Église apparaît avant tout, et de manière durable, en Orient. Ce rôle restera dévolu à l’empereur jusqu’à la chute de Byzance au XVe siècle, puis au sein de l’orthodoxie russe. On parle à ce propos de césaro-papisme.

En Occident, des limitations de l’autorité impériale commencent à se manifester, d’abord au plan théologique. Ainsi Augustin relativise l’autorité de l’État qu’il considère comme liée à la condition pécheresse des hommes, tout en reconnaissant son utilité pour la vie sociale. Pour Ambroise (v.340-397), l’empereur a sa place dans l’Église et non au-dessus d’elle. Peu à peu la papauté prend le pas sur l’empereur d’Occident, affaibli au Ve siècle. Cela préfigure la distinction médiévale entre les deux pouvoirs. Au VIIIe siècle, les documents relatifs à la papauté ne mentionnent plus l’empereur. La donation de Constantin, en fait un faux, attribue au pape la dignité impériale et la souveraineté sur Rome et sur les pays de l’Europe occidentale, mais ces derniers ne sont pas nommés.

En même temps, pourtant, dans l’Église mérovingienne puis carolingienne, les évêques continuent à être nommés par le pouvoir politique. Charles Martel désigne évêques et abbés et dispose à sa guise des domaines ecclésiastiques. Il intervient en Italie et rétablit le pape à Rome. Dans la même ligne, Charlemagne considère les évêques comme des hauts fonctionnaires. Le clergé ainsi que les biens d’Église sont utilisés à des fins politiques. Une nouvelle sorte de sacralisation de la royauté s’opère. Sans être un prêtre, le roi ou l’empereur est plus qu’un laïc. Il est considéré comme une sorte de lieutenant général du Christ.

De la réforme du Xe- XIIe siècle à la fin du Moyen Âge

Une réaction se fait jour contre la domination impériale de l’Église. On distingue à nouveau le domaine sacerdotal du règne temporel, souligne la liberté de l’Église et affirme de nouveau la prééminence de l’autorité ecclésiale sur le pouvoir temporel. À la conception impériale d’une origine divine immédiate de l’autorité civile est opposée la thèse que tout pouvoir est octroyé par la papauté et que les deux épées, la spirituelle et la temporelle, relèvent de son autorité. Rappelons la bulle Unam Sanctam par laquelle Boniface VIII qualifiait de « nécessaire pour le salut » la subordination de tout homme au pape. Mais des États nationaux renforcés vont s’opposer avec succès à cette conception théocratique qui aurait conféré au pape, du moins de manière indirecte, une autorité suprême, y compris dans le domaine temporel. Par contre, la papauté s’impose dans la querelle des investitures. Il est dorénavant interdit aux évêques de recevoir leur charge d’un laïc tel que le roi. L’empereur renonce à l’investiture spirituelle par la crosse et l’anneau, mais le pape admet que l’empereur accorde à l’évêque ses pouvoirs temporels par le sceptre. Dans ce dernier domaine, l’évêque doit obéissance à son souverain.

Au cours des siècles ultérieurs, en réaction souvent contre Rome, l’affermissement des États nationaux se manifeste par une prise de conscience accrue de l’autonomie du pouvoir temporel en son domaine, même si d’un autre côté l’autorité de l’Église s’exerce non seulement sur les clercs, leur fonction et leur mode de vie mais aussi sur l’ensemble de la société, en régissant des institutions telles que le mariage et l’enseignement, en particulier les universités, ou encore en exerçant son influence dans le domaine de la culture.

Au XVe siècle, l’affaiblissement de la papauté à la suite du Grand Schisme entraîne une emprise grandissante des souverains temporels sur la nomination des clercs, en particulier des plus haut placés tels que les évêques et les abbés, soit par le droit de présentation, soit par le placitum qui doit confirmer le choix fait par le pape. Des concordats entre la papauté et les États nationaux règlent ces dispositifs et ces procédures. Dans la seconde moitié du siècle se multiplient aussi les visites, c’est-à-dire les inspections des couvents par les autorités des villes et les princes, pour contrôler leurs biens ou pour réformer leur fonctionnement. Dans une large mesure, les princes réussissent à se rendre maîtres des Églises de leur territoire. Pour autant, l’unité du monde chrétien était toujours assurée par la papauté.

De la Réforme protestante aux temps modernes

Dès l’émergence du mouvement évangélique autour de 1520, Luther vilipende l’emprise et l’exploitation financière des Allemands par Rome en stigmatisant le rôle joué en ce domaine par la papauté. Il est d’avis aussi que les clercs ne doivent pas échapper à la justice civile. Dans la mesure où elles sont chrétiennes, les autorités civiles doivent œuvrer en faveur de la réunion d’un concile universel ou national. Toutefois, en 1523, il précise que « l’obéissance et le pouvoir temporel ne se rapportent qu’à tout ce qui est extérieur : impôt, péage, honneurs. […] L’ordre humain ne saurait s’étendre au ciel et aux âmes, mais seulement à la terre ».

Mais à partir de 1525 il est d’avis que les autorités civiles devaient combattre « les abominations extérieures », en particulier la messe papiste qu’il considère comme un blasphème, mais aussi l’activité des prédicateurs autoproclamés et la diffusion de croyances contraires à ce qui était admis communément par la chrétienté depuis les origines. Pour pallier le manque d’évêques dans l’espace protestant, il revient aux autorités civiles de mettre en place les changements rendus nécessaires par l’introduction de la foi évangélique, en organisant des visites-inspections dans les paroisses.

Mais, désireux d’éviter une trop grande emprise de l’autorité civile sur l’Église, il précise que c’est seulement en situation exceptionnelle que le prince doit agir ainsi. Il qualifie les princes de « Notbischöfe », évêques en situation d’exception ou de détresse. Les vrais évêques sont d’après lui les visiteurs. Par ailleurs, les droits de la communauté locale, notamment pour le choix des pasteurs, doivent être préservés. Mais ces dispositions de Luther n’ont guère entravé la consolidation des Églises territoriales et l’établissement de l’autorité du prince sur l’Église.

Il faut le regretter, mais les troubles et l’écrasement de la guerre des Paysans rendaient difficile, en Allemagne, l’édification d’une Église évangélique par la base. D’autre part, les réticences de l’épiscopat traditionnel empêchèrent qu’on s’orientât vers le système épiscopal des Églises scandinaves.

À Genève, au temps de Calvin, le problème des relations entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux s’est également posé. Il y a une étroite symbiose entre les deux pouvoirs. Dans une cité passée toute entière dans le camp évangélique, le Magistrat doit, selon Calvin, veiller au respect des deux tables de la Loi et soutenir le vrai culte. Il le fera avec ses moyens propres en usant aussi, si nécessaire, de la coercition. Quant à l’Église, elle n’a pas à régenter les autorités et la vie civiles, mais il lui incombe d’expliquer au Magistrat les exigences de la Parole de Dieu et d’éduquer les citoyens. L’Église doit pouvoir s’organiser librement avec ses quatre ministères et, en conformité avec l’ordre du Christ, utiliser aussi la discipline ecclésiastique pour sauvegarder le bon ordre et faire œuvre pédagogique parmi ses membres.

Quoi qu’il en soit des diverses manières d’envisager les relations entre les deux pouvoirs, on s’achemine dans l’espace protestant vers un système d’Églises d’État. L’autorité civile est considérée comme étant en charge aussi de la religion (cura religionis), de ses institutions et de son financement, mais, en principe, non de la doctrine. En Angleterre on passe de la suprématie de la papauté à la souveraineté royale sur l’Église. Certes, au plan des structures, il y a toujours deux formes de juridiction. Mais le pouvoir du souverain protestant s’étend aux réalités extérieures de la religion. Une évolution analogue, bien que plus faible, est perceptible dans l’espace catholique avec la mainmise de certains souverains sur les propriétés ecclésiastiques et la nomination des évêques.

Des résistances contre cette évolution se manifestent certes. Dès les années 1520, les anabaptistes avaient rejeté toute immixtion des autorités civiles dans la vie des communautés chrétiennes. En France, par l’Édit de Nantes, les réformés ont obtenu pour un temps un statut particulier qui les soustrayait à l’autorité l’autorité du roi. Mais, avec la suppression de l’Édit de Nantes et la proclamation de l’unité de foi dans le Royaume sous l’autorité du roi, la France se rattachait elle aussi au courant qui conduisait à l’Église d’État.

Les orientations des Lumières ont encore renforcé la conviction que l’État devait exercer son emprise sur l’Église et englober celle-ci dans ses structures. Du côté de l’État, on s’éloignait du concept dualiste de deux entités autonomes l’une par rapport à l’autre. La souveraineté et la suprématie de l’État étaient affirmées, y compris dans les pays catholiques comme la France et l’Autriche. Des monastères perçus comme inutiles étaient dissous, des biens ecclésiastiques étaient sécularisés, des ordres comme celui des jésuites étaient supprimés à l’initiative de l’État. La publication et l’application de décisions ecclésiales étaient soumises à l’approbation des autorités civiles.

Le temps des révolutions

À la fin du XVIIIe siècle, de nouvelles orientations se font jour. Les États-Unis récusent le principe de l’Église d’État et prônent l’indépendance des deux entités, Église et État, en vue de promouvoir ainsi l’égalité de tous les cultes dans l’espace public et la tolérance.

En France, la Révolution mettait fin à l’absolutisme royal et à la discrimination des Églises et communautés non catholiques. La Déclaration des Droits de l’homme proclamait la tolérance. Pour autant, du moins en un premier temps, la Révolution reprenait aussi la démarche caractéristique des adeptes de l’Église d’État en nationalisant les biens d’Église, en mettant en place la Constitution civile du clergé et en supprimant la portée civile du mariage religieux. L’organisation de l’Église était calquée sur l’organisation politique. Des évêques étaient mis en place dans les départements sans l’accord de la papauté. Les biens d’Église étaient sécularisés. Le Concordat de 1801 mettait fin aux tensions suscitées à ce propos, mais il reprenait aussi des traditions gallicanes relatives à l’autorité du pouvoir civil sur les Églises.

En ce qui concerne les Églises protestantes, il était exclu qu’elles puissent s’organiser librement. Ainsi des synodes, si importants dans la tradition réformée, n’étaient pas prévus dans les Articles Organiques de 1802 concernant le culte protestant. Les pasteurs, choisis pas les consistoires, devaient être confirmés par le premier consul.

Les traitements des ministres des cultes reconnus étaient pris en charge par l’État. L’activité de l’Église devait s’exercer seulement dans les locaux de l’Église. L’évangélisation et la diaconie n’étaient guère envisagés et les publications étaient contrôlées.

En Allemagne, la hiérarchie catholique aux mains de l’aristocratie s’était effondrée. Mais par la suite, un ensemble de concordats a réglé les relations entre l’Église catholique des divers territoires et la papauté.

Église et État du XIXe siècle à nos jours

Les relations entre les deux entités ont pris trois formes : celle de la reconnaissance d’une Église par l’État, en second lieu un régime de séparation entre les deux entités, en troisième lieu une coopération entre l’État et l’Église.

La reconnaissance d’une Église par l’État semble reprendre la forme de l’Église d’État des siècles précédents. En fait, l’acquis de la Révolution française est maintenant intégré dans cette relation, à savoir la liberté religieuse accordée à tous les citoyens et à toutes les communautés religieuses. Celles qui ne sont pas concernées par la reconnaissance peuvent s’organiser librement comme associations dont le statut est réglé par plusieurs types de législations. Le régime du culte reconnu, conditionné par un lien historique entre l’Église et l’État, est en vigueur en Angleterre, en Scandinavie, dans quelques cantons suisses et en Alsace-Moselle. Ce régime implique un droit de regard sur la nomination des ministres, voire de participation à leur nomination, en particulier celle des ministres de direction ; l’autorité civile intervient aussi dans la promulgation des lois concernant l’Église.

Du côté catholique, le lien entre l’Église et l’État a pris le plus souvent la forme d’un concordat. La reconnaissance impliquée par le concordat peut se fonder, comme en France en 1801, sur le constat selon lequel le catholicisme est la religion de la majorité des Français. Elle peut aussi, comme en Italie en 1929 ou en Espagne en 1953, signifier que le catholicisme est la religion du pays concerné. Pour autant, d’autres communautés religieuses bénéficient en général de la liberté religieuse.

En second lieu, les liens entre l’Église et l’État peuvent être rompus. On est alors en régime de séparation. Cette dernière peut être plus ou moins nette, favorable ou agressive. Aux États-Unis, à la fin du XVIIIe siècle, elle devait promouvoir la tolérance : par le refus du régime de l’Église d’État, toutes les communautés étaient mises sur le même plan et autorisées à s’organiser librement comme des associations. L’État n’en soutenait aucune et il n’y avait pas d’enseignement religieux dans les écoles publiques. Cela n’a pas empêché les religions et les communautés religieuses d’être très présentes dans la société américaine.

La séparation intervenue en France en 1905 a été plus nette. Elle mettait fin au statut de cultes reconnus dont bénéficiaient les catholiques, les luthériens et réformés ainsi que les juifs. Selon l’article 2 de la loi de séparation, « la République ne salarie aucun culte ». Les Églises devaient s’organiser sous forme d’associations locales tenues de s’inscrire auprès des autorités civiles. Leur seul but devait être le culte et l’instruction religieuse de leurs membres. Pour la diaconie et d’autres activités telles que la mission, il convenait de créer d’autres associations. Ces dispositions ont servi de modèle pour d’autres pays tels que le Mexique. En France même, les effets de ce régime se sont souvent atténués, notamment par la création d’aumôneries soutenues par l’État, la présence des Églises dans les médias et, dans bien des cas, de bonnes relations entre les pouvoirs publics et les Églises. Mais un courant laïciste puissant veille aussi à l’application stricte de la loi de séparation.

Les régimes totalitaires du XXe siècle tels que le communisme et le nazisme ont utilisé le régime de séparation non seulement pour distinguer radicalement l’Église et l’État, mais aussi pour réduire l’espace de l’Église et l’empêcher d’être présente dans l’espace public. La séparation devenait un moyen de combattre l’Église qui était étroitement contrôlée. Soit on l’embrigadait dans l’idéologie officielle, soit on cherchait à terme à la faire disparaître.

En troisième lieu, il faut évoquer le cas de l’Allemagne. Traditionnellement, la souveraineté des autorités territoriales s’exerçait aussi sur les Églises, elle s’étendait même quelquefois au domaine interne de l’Église, c’est-à-dire à la doctrine et au culte. Après 1918, l’effort est perceptible pour distinguer plus nettement l’Église et l’État, tout en maintenant le droit de regard de l’État sur l’Église. Mais, après les expériences vécues par les Églises sous le régime nazi, la séparation est affirmée plus nettement, ce qui implique aussi une réelle autonomie de l’Église. Cela n’empêche pas une coopération entre les deux entités. Ainsi ce sont les pouvoirs publics qui recueillent l’impôt ecclésiastique au bénéfice des Églises.

Perspectives

La réflexion sur les relations entre l’État et l’Église doit tenir compte de ce qui fonde l’Église. Celle-ci se définit par essence comme une communauté de croyants fondée et animée par une puissance transcendante que les croyants appellent Dieu, qu’ils invoquent et dont la révélation et l’autorité sont plus importantes pour eux que le pouvoir des autorités et institutions humaines.

Il en découle une nécessaire autonomie de l’Église par rapport à l’État et une indépendance de son organisation, de ses croyances et de ses ministères par rapport à l’État.

Même s’il y a des liens déterminés par l’histoire, qui conditionnent aussi des formes d’influence de l’autorité civile sur l’Église, la liberté de l’Église est une exigence fondamentale, découlant de sa nature même et de son lien avec la réalité transcendante à laquelle elle se réfère.

L’intervention de l’État dans la vie de l’Église est-elle une atteinte à l’autonomie de celle-ci ? On peut constater que même dans les pays ou régions où l’État a un droit de nomination ou de participation à la législation ecclésiale, les autorités civiles se contentent de plus en plus d’entériner les propositions de l’Église. Les systèmes concordataires prévoient d‘ailleurs expressément ce droit d’intervention.

Quant aux diverses formes d’aide comme la collecte de l’impôt ecclésiastique ou la prise en charge des traitements des ministres, elles ne peuvent être revendiquées par les Églises, mais sont considérées comme une compensation de la sécularisation des biens d’Église au cours de l’histoire ou (et) comme une forme de reconnaissance du service rendu par les Églises dans la société.

L’autonomie de l’Église repose sur la liberté religieuse, sur le droit des croyants individuels ou réunis en communauté de croire et de témoigner publiquement de leur foi, y compris en utilisant les médias. Elle implique aussi le droit de se réunir et d’organiser librement la vie communautaire, en particulier l’instruction et la vie cultuelle des fidèles. Cela n’implique pas nécessairement un statut juridique public de l’Église. Mais si le témoignage et la vie des communautés religieuses devaient se réduire à l’espace privé ou seulement à la dimension cultuelle, en excluant par exemple la diaconie, il y aurait atteinte à la liberté religieuse.

Dans ses relations avec l’État, l’Église s’en tiendra toujours et encore à la distinction des deux règnes. Elle respectera l’autorité civile et sa fonction d’assurer la vie commune des membres d’un peuple par le droit et, si nécessaire, par la contrainte. Mais la solidarité avec le pouvoir civil sera critique. Elle implique l’examen des ordonnances et décisions des autorités civiles et, le cas échéant, la distanciation des croyants à l’égard de leur action.

La distinction des deux règnes implique aussi le refus de toute prétention de la puissance publique à régenter non seulement la vie sociale comme telle, mais aussi les consciences, en ne respectant pas une nécessaire laïcité. Les chrétiens et les Églises ne peuvent pas non plus accepter la sacralisation quasi religieuse de certaines réalités immanentes comme la patrie voire la guerre, ou la promotion d’une sorte de religion civile qui dépasserait les limites de sa compétence en prétendant régir l’ensemble de la vie humaine. L’Église ne peut que s’opposer à une telle prétention.

 

À lire l’article de Pierre-Olivier Léchot   » Église et État « 

 

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À propos Marc Lienhard

pasteur, théologien et historien, a enseigné l’histoire du christianisme moderne et contemporain à la Faculté de théologie de Strasbourg durant de nombreuses années. Spécialiste mondialement reconnu de Luther, il est l’auteur de nombreuses monographies à son sujet et l’éditeur, avec Matthieu Arnold, des œuvres du Réformateur dans la Bibliothèque de la Pléiade.

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