Curieuse période que celle du Romantisme. Elle enregistre les changements, les vicissitudes historiques, les irrémédiables coupures politiques et sociales, rêvant d’un passé à la fois glorieux et obscur, sans cesse fantasmé, et d’une humanité nouvelle. À travers les nuages de la mélancolie, les romantiques espèrent un bonheur inédit que les hoquets et les sursauts de la politique leur promettent et leur retirent. Le temps est à la métaphysique, voire au messianisme. Qu’il s’agisse de la poésie, avec Lamartine et Hugo, ou de l’histoire, avec Michelet et Quinet, cette vision du monde rénovée repose sur la dialectique entre l’individu et l’épopée collective. Il n’en fallait pas moins à Germaine de Staël pour y voir une des expressions par excellence du protestantisme.
Parmi la cohorte des artistes de l’époque, le catholicisme légitimiste semble dominer. Pourtant, parmi les plus en vue, se trouve un réformé, Ary Scheffer (1795-1858), né à Dordrecht dans les brumes du Septentrion. Comme quasiment toute sa génération, il étudie sous la direction des disciples de Jacques-Louis David, zélateurs d’un néoclassicisme strict, d’inspiration méditerranéenne et romaine. Si son style en porte la trace, il ressortit néanmoins à la génération nouvelle. Les couleurs sont celles que l’on trouve chez Delacroix ou Géricault, mais le trait reste plus fin, plus précis – souvenir de la tradition flamande. Ses oeuvres sont remarquées dès 1819 ; elles lui vaudront de nombreuses commandes. Les Parisiens connaissent son atelier qui, quasiment intact, est devenu le Musée de la vie romantique, rue Chaptal. C’est là qu’il dispensait également ses leçons. Notons, parmi ses disciples, Frédéric Bartholdi, autre protestant. Libéral à la manière de Guizot, Scheffer fut très proche de la monarchie de juillet, compromis politique entre l’autorité de l’État et la garantie des droits fondamentaux.
Si la Réforme est la religion de l’iconoclasme, elle est aussi celle de l’individu. Est-ce donc par éducation qu’Ary Scheffer excelle dans l’art du portrait ? Saisissant ses sujets avec une grande simplicité, limitant le décor au maximum, il les représente regardant franchement le spectateur. En somme, c’est davantage l’âme que le visage qu’il donne à voir. Il les esthétise, certes, mais sans les embellir. Tout comme il n’hésite pas à montrer clairement la mort, témoin le portrait du journaliste républicain Armand Carrel, tué en duel. La tête émerge des draps, comme endormie, la chair marquée : à ses yeux, l’absolu n’est pas la mort, mais ce qui la suit. Cette épaisseur mystique des choses peintes semble le qualifier pour la peinture religieuse. Les commandes lui viennent souvent d’institutions papistes. Néanmoins, son style échappe au dolorisme sulpicien alors en vogue. Et souvent, son Jésus est bien plus humain, bien plus incarné que les autres personnages du tableau – est-ce parce que son neveu par alliance est Ernest Renan ? Tel est le cas de son Christ consolateur, qui donne l’impression de montrer un homme simple entouré d’allégories abstraites, comme s’il était finalement plus directement accessible que de grands systèmes métaphysiques.
L’année de son décès, il réalise un portrait de Jean Calvin. Le réformateur y paraît dans toute son austérité, plongé dans la lecture de la Bible et la plume à la main, saisi en plein travail, l’air à la fois épuisé et rêveur, sans idolâtrie. Preuve que le protestantisme sait apporter la simplicité dans la création formelle.
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