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Parodies et satires. Ce que la religion peut apprendre de ceux qui se moquent d’elle

 

Il est bien souvent difficile de se confronter à ceux qui tournent en dérision les choses qui nous tiennent à cœur. Notamment quand cette dérision n’hésite pas à user de la caricature la plus acérée et la plus acide. Pourtant, qui n’a jamais ri à la satire de ce qu’il dénonce ? Avant parfois même de se trouver embarrassé face à la parodie de ce qu’il désapprouvons semble d’autant plus intéressante que la caricature y souligne les principaux éléments combattus, la satire de ce que nous approuvons – ou de ce à quoi nous participons – doit aussi pouvoir nous éclairer sur les défauts et les imperfections qui l’alimentent. Il n’est donc jamais inutile de faire porter le regard sur quelque chose depuis un ailleurs mordant et moqueur. Tout ne doit pas y recevoir certificat de pertinence mais l’exercice n’est pas sans édifiantes leçons.

Dans le domaine de la religion, la satire revêt la plupart du temps un atour grotesque, au sens premier du terme : invraisemblable, extravagant, bizarre. Quel meilleur adjectif que celui-ci en effet pour désigner aussi bien cette religion de la Licorne rose invisible – dont le mystère repose sur la nature la fois invisible et rose de ladite licorne – que ce culte rendu à un démiurge prenant la forme d’un Monstre de spaghettis volant ? L’absurde le plus abouti domine le champ des parodies de religion. D’aucuns diront sans doute qu’il n’y a là pas de temps à perdre avec ces caricatures délirantes frisant le mauvais goût. Pourtant, au-delà du folklore, ces constructions ubuesques portent – dans les fondements qui ont mené à leur apparition – des critiques pouvant réunir moqueurs et moqués. La présence d’extraterrestres ou de pirates, quand il ne s’agit pas de yétis, rappelle le contexte de la naissance de ces satires où l’influence d’Internet comme de la science fiction n’est pas négligeable : qu’il s’agisse des deux plus célèbres d’entre elles déjà citées – le pastafarisme (le Monstre de spaghettis volant) et la Licorne rose invisible – ou encore de la Landover Baptist Church, toutes trois sont le fait de jeunes étudiants américains.

La Licorne rose invisible apparaît en 1990 sur un réseau en ligne de forums athés, son manifeste fondateur étant écrit en 1995 par des étudiants de l’Iowa. La Landover Baptist Church est la création d’un étudiant trop critique renvoyé par la (très) conservatrice Liberty University, campus favori de la Droite fondamentaliste américaine. Enfin, le Monstre de spaghettis volant a été inventé en 2005 par Bobby Henderson, un étudiant de l’Oregon. La genèse de cette dernière parodie est caractéristique de la nature réelle de ces satires. Le pastafarisme est né d’une protestation adressée par Bobby Henderson au comité d’éducation du Kansas. Celui-ci ayant décidé d’enseigner le dessein intelligent et la théorie de l’évolution à parts strictement égales dans ses écoles, Henderson réclame – en reprenant  l’identique les arguments créationnistes – que soit également enseignée la théorie de la création du monde par le Monstre de spaghettis volant. Gigantesque parodie carnavalesque du créationnisme, le pastafarisme aurait-il pu naître ailleurs qu’aux États-Unis ? De même, la très grinçante Landover Baptist Church est une réaction salutaire face aux règles médiévales d’une université évangélique prohibant aussi bien la danse que le simple fait de fréquenter seul à un seul un membre du sexe opposé. Inutile de vous dire que l’homosexualité n’y est pas davantage autorisée. Avec une mythologie plus délirante encore, l’Église du Sous-Génie, apparue au Texas en 1979, veut porter le fer contre la scientologie – incitant lourdement ses fidèles à se ruer sur les produits qu’elle vend – dénonce les dérives inqualifiables du télévangélisme.

Bien d’autres choses pourraient être dites sur ces religions parodiques – notamment quant aux réflexions athées qu’elles peuvent porter et qui ne manquent pas d’intérêt dialectique – mais là n’était pas notre sujet. De ce rapide passage en revue émerge un enseignement clair : aucune de ces parodies ne vient de nulle part. Elles sont un ailleurs tranchant et grotesque maniant l’arme de folklores délirants pour mieux souligner le délire absurde de certaines dérives de la religion. Qu’il s’agisse de transformer la religion en règle morale pudibonde régentant chaque centimètre de l’intime ou qu’il s’agisse de l’élever au rang de manuel de sciences naturelles, les parodies ne font que démultiplier le grotesque de situations l’étant déjà considérablement par elles-mêmes.

Dans nos sociétés sécularises, la religion continuera d’être moquée tant qu’elle générera elle-même la matière première de ces parodies. Le grotesque de ces fausses Églises ne vient pas d’ailleurs: il vient de la religion elle-même et des dérives inqualifiables qui, bien que fondamentalement minoritaires, continuent de décrédibiliser le fait religieux. Finalement, ces parodies ne ridiculisent pas le fait religieux mais condamnent le ridicule religieux. Une lutte qui doit rassembler les plus convaincus des athées comme les plus sérieux des croyants car ce ridicule-ci peut tuer

 

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À propos Maxime Michelet

est étudiant, diplômé d’un master d’Histoire contemporaine à la Sorbonne ; issu d’une famille de tradition athée, il a rejoint le protestantisme libéral à l’âge adulte à travers le temple de l’Oratoire du Louvre de Paris.

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