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Cène

Marbourg, octobre 1529 : Luther et Zwingli se retrouvent à l’initiative du landgrave de Hesse afin de se mettre d’accord sur leur compréhension de la cène. Peine perdue : le dialogue n’a fait que renforcer l’animosité des deux parties, au point que quelques jours plus tard, Luther n’hésitera pas à écrire à l’un de ses correspondants que Zwingli, en raison de sa théologie de la cène, ne pouvait être considéré comme appartenant à l’Église de Jésus-Christ. Pourquoi tant d’acrimonie ? D’abord, bien sûr, parce que les deux réformateurs n’ont pas la même vision de la cène. Si Luther a renoncé au dogme de la transsubstantiation qui faisait que sous l’action quasi-magique du prêtre le pain et le vin devenaient corps et sang du Christ, il n’en a pas moins continué à croire en la présence « paradoxale » mais bien réelle du sang et du corps du Christ dans les éléments de la cène. Pour Zwingli, en revanche, la cène est un « signe », un symbole de l’œuvre rédemptrice du Christ et de sa présence dans le cœur de tout croyant. Mais de présence « corporelle » dans les éléments, il ne saurait être question. Au-delà de ce conflit d’interprétation du sacrement qui repose sur des convictions théologiques différentes, il y a aussi un désaccord de fond à propos de l’interprétation des paroles d’institution de la cène : pour Luther, le Christ a dit « ceci est mon corps » et il faut le croire. Pour Zwingli, en revanche, il s’agit d’interpréter ces paroles en les éclairant au moyen d’autres passages de l’Écriture. Bref, pour les deux hommes, le point d’accord réside dans l’autorité conférée à l’Écriture. Mais leur désaccord à propos de la cène montre bien les limites du principe réformateur du « sola Scriptura » comme, d’ailleurs, les prises de position de Luther à propos du judaïsme le soulignent également (cf. notre dossier). Comment se mettre d’accord, en effet, sur l’interprétation d’un texte réputé faire autorité alors que l’on prétend, chacun, détenir une lecture correcte de celui-ci, de surcroît inspirée par l’esprit saint lui-même ?

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À propos Pierre-Olivier Léchot

est docteur en théologie et professeur d’histoire moderne à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris). Il est également membre associé du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS EPHE) et du comité de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF).

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