Osons la formule : la superstition, c’est toujours un peu la religion des autres. Voire la religion tout court, quand on n’en a aucune. À y regarder de près, les choses sont cependant plus complexes. Commençons par dissiper un malentendu : la superstition, tout comme du reste l’athéisme, est d’abord une invention cléricale. Prêtres, pasteurs et plus généralement théologiens, de tout poil et de tout crin, sont proprement les inventeurs de ces catégories lexicales, destinées à définir leurs adversaires, les athées qui doutent de tout, et les crédules qui ne doutent de rien. On en voudra pour preuve le double rejet par Calvin du culte des reliques et de l’astrologie. Comme il ne faut rendre de culte qu’à Dieu, cela conduit les Réformateurs à mettre les fidèles en garde devant les contrefaçons. Il s’agit bien de désacraliser l’univers, afin de le rendre habitable aux hommes, maîtres et possesseurs de la nature. Le christianisme, et singulièrement le protestantisme, ont ainsi participé au « déclin de la magie », comme le déclarait l’historien britannique Keith Thomas il y a plusieurs années.
Curé à Champrond puis à Vibraye dans le Maine, Jean-Baptiste Thiers (1636-1703) est au nombre de ces ecclésiastiques éclairés qui, en réponse sans doute aux sarcasmes des réformés, luttèrent vaillamment pour maintenir un bon usage des rites catholiques contre les dérives magiques. On lui doit à partir de 1679 plusieurs volumes d’un Traité des superstitions : qui regardent les sacrements selon l’Écriture sainte, les décrets des conciles, et les sentiments des Saints pères, et des théologiens. « II y a sujet de s’étonner, écrit-il, que les superstitions soient aussi répandues dans le christianisme qui est une religion toute de sainteté et de vérité. » C’est un peu le discours des Lumières avant les Lumières, comme si la volonté réformatrice, qu’elle soit catholique ou protestante, posait déjà les jalons du rationalisme moderne.
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