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Les Quakers : des libéraux avant la lettre ?

 

William Penn traitant avec les Indiens, peinture de Edward Hicks, ca 1830.

William Penn traitant avec les Indiens, peinture de Edward Hicks, ca 1830.

Les quakers sont surtout connus pour leur engagement pacifiste et leur rôle dans l’émergence de la tolérance. Mais que sait-on encore de leurs origines, de leurs valeurs et de leur foi ?

Les débuts

Le mouvement quaker voit le jour au XVIIe siècle en Angleterre, un pays qui à cette époque est bouleversé par de nombreuses guerres civiles et des troubles religieux. Leur fondateur, George Fox, naît en 1624, dans une famille de tisserands, pieux anglicans. Adolescent, il est placé chez un cordonnier, qui élève aussi du bétail. George, en gardant les bêtes dans les champs, lit et mémorise la Bible. Mais l’esprit superficiel de ses amis le décourage et à 19 ans, angoissé, il quitte sa famille et erre à pied dans le nord de l’Angleterre, cherchant en vain une direction spirituelle auprès de divers ecclésiastiques. Alors qu’il est découragé, il entend une voix qui lui dit : « Il y en a un, Jésus Christ, qui peut parler à ta condition. » Il commentera ainsi cette révélation : « Quand j’entendis ces mots, mon cœur bondit de joie. » Il venait de comprendre que Dieu peut se révéler directement à tous ceux qui le cherchent.

Fox se mit alors à partager avec enthousiasme cette bonne nouvelle avec ceux qu’il rencontrait et se mit à prêcher en plein air devant un public nombreux (la foi se fondant sur l’expérience directe de la présence de Dieu en nous-mêmes, il estimait pouvoir le faire sans être prêtre). Beaucoup le suivirent car son message répondait à leurs propres recherches. Il réclamait aussi la justice et l’honnêteté dans les marchés et dans toutes les transactions. Très vite, les adhérents du mouvement furent désignés du nom de « quakers », c’est-à-dire des « trembleurs » en anglais, en référence aux mouvements dont leur corps était réputé être parcouru sous l’inspiration de l’Esprit.

Les compagnons de Fox et lui-même furent très vite persécutés par les autorités. Ils connurent la prison, le pilori ou même la lapidation. Ils étaient d’ailleurs facilement condamnables : comme ils refusaient de prêter serment, se fondant pour cela sur le passage biblique « Que ton oui soit oui et ton non soit non » (Mt 5,37), ils pouvaient être emprisonnés indéfiniment. Dans une société d’Ancien Régime reposant sur l’allégeance au pouvoir politique, refuser de prêter serment représentait un acte de trahison politique. Comme les anabaptistes au XVIe siècle, les quakers en payèrent le lourd tribut.

Cependant le nombre des quakers ne cessa de croître : à la fin du XVIIe siècle, on estime qu’en Angleterre vivaient quelque 50 000 quakers (sur 5 millions d’habitants). Les persécutions durèrent une quarantaine d’années, puis s’atténuèrent. Les quakers continuèrent cependant à être poursuivis, non seulement parce qu’ils refusaient de faire la guerre et de prêter serment, mais aussi parce qu’ils ne voulaient pas payer la dîme au clergé. Malgré tout, les quakers s’organisèrent assez rapidement : structures locales et nationales, réunions mensuelles pour gérer les affaires, pour organiser le soutien des familles pauvres, etc. Il est vrai que Fox avait d’excellentes qualités d’organisateur, tout comme sa femme, Margaret Fell, intelligente et douée d’un sens pratique avéré. Le mouvement se développa aussi dans le sens intellectuel avec des auteurs comme Robert Barclay, auteur d’une Apologie en faveur du mouvement (Robert Barclay, Apologie de la vraie théologie chrétienne, La Lumière intérieure Source de Vie. 1729, traduction Georges Liens, 1993), ou Benjamin Furly, un proche de Pierre Bayle et de John Locke .

William Penn et la Pennsylvanie

Très vite, le mouvement envoya des missionnaires de par le monde : en Europe, en Amérique ou à Constantinople. Parmi ceux-ci, on connaît surtout William Penn qui fut à l’origine de la création de la Pennsylvanie en 1681. Contrairement à George Fox, de vingt ans son aîné, William Penn avait été élevé en gentilhomme ; il étudia pendant 18 mois à l’Académie huguenote de Saumur, alors considérée comme un lieu de « libéralisme » théologique. Devenu adulte, il passa au quakerisme, voyagea à travers l’Europe et se fit accorder une vaste concession en Amérique, en échange d’une dette que le roi avait envers son père : la Pennsylvanie était née.

Penn, propriétaire et gouverneur, l’organisa d’une façon très démocratique, inconnue à l’époque, avec une Constitution dont s’inspirèrent plus tard les Américains pour l’élaboration de la Constitution des États-Unis. Il établit d’excellents rapports avec les Indiens, allant les rencontrer sans armes : insistant pour leur « acheter » les terres que le roi d’Angleterre lui avait « données », Penn leur accorda ensuite des droits dans l’État qu’il créa.

Dans cette nouvelle Pennsylvanie, on ne trouvait pas d’armée et la peine de mort fut presque abolie (deux condamnations à mort contre quinze en Angleterre au XVIIIe siècle). Les conditions de vie dans les prisons furent en outre améliorées. Notons toutefois que, même si ces principes démocratiques étaient inconciliables avec l’esclavage, les quakers attendirent cependant jusqu’en 1770 pour abolir l’esclavage (Penn était mort depuis plus de cinquante ans) : tous les quakers de Pennsylvanie libérèrent alors leurs esclaves, encouragés en cela par John Woolman et Antoine Bénézet (ce dernier était issu d’une famille quaker émigrée de Congénies, dans le Gard).

Cette démocratie sans armée dura trois quarts de siècle, puis un groupe d’autres immigrés non-quaker prit la majorité au Parlement de l’État : l’armée fut rétablie, signant la fin de la « Sainte Expérience ». En 1756, la Pennsylvanie entra ainsi en guerre contre la France et les Indiens, au grand dam des quakers, devenus minoritaires dans la province qu’ils avaient créée.

logo de la marque de céréales “Quaker”.

logo de la marque de céréales “Quaker”.

L’implantation quaker en France dans le Gard au XVIIIe siècle

Le développement du quakerisme en France ne fut pas le fait de missionnaires britanniques venus évangéliser les Français du midi, mais prit naissance avec des chrétiens pacifistes locaux, issus du courant mystique huguenot et qui avaient des formes de cultes simples, sans pasteur, avec de longues périodes de silence. Au début du siècle, on les voit ainsi reprocher aux Camisards leurs actions violentes, leur envoyant une longue lettre pour essayer de les dissuader de continuer à faire la guerre au roi. Devant leur échec, ils s’éloignèrent des protestants. Vers 1750, trois ou quatre familles des environs de Congénies, condamnées avec des protestants à payer une amende pour avoir pris la cène, déclarèrent qu’elles n’allaient pas aux Assemblées protestantes.

Dès lors, ce groupe se sépara des protestants et fut désigné sous le nom de « couflaïres », un mot occitan signifiant « être gonflés, être remplis » ou encore « soupirer ». On retrouve ainsi l’idée qui avait conduit à leur nom anglais : sous l’influence du Saint Esprit, certains, pendant les services religieux, s’agitaient, soupiraient comme saisis par l’Esprit – une manifestation dont il faut bien dire qu’elle a complètement disparu aujourd’hui.

L’un d’entre eux, Paul Codognan, ne parlant que l’occitan, partit bientôt à pied pour la Hollande pour tenter de faire publier un petit ouvrage sur les coutumes et croyances de sa communauté ; il alla ensuite en Angleterre pour rencontrer les quakers britanniques. Christine Majolier-Allsop dans ses Mémoires, traite Codognan avec snobisme de « pauvre illettré qui ne parlait que le patois de sa région ce qui rendit sa visite fort peu utile ». Mais ce n’était pas le cas : Codognan ramena en France les premiers livres quakers en français, donnés par des quakers anglais.

Une déclaration faite par un quaker anglais dans la Gazette de France rapprocha les couflaïres des quakers anglais. Après la guerre d’Amérique opposant les Français aux Anglais, un quaker, du nom de Joseph Fox, expliquant que les quakers étaient pacifiques, promit de rembourser les propriétaires de bateaux pillés par ses trois propres vaisseaux à son insu ; trois semaines plus tard la Gazette annonçait qu’ils avaient effectivement été remboursés. Les couflaïres découvrirent cette information et écrivirent qu’ils ne faisaient aucune réclamation, mais qu’ils partageaient l’esprit pacifique des quakers. Jean de Marsillac fut bientôt envoyé à Londres, en 1785, pour y rencontrer les responsables du mouvement. C’était un jeune capitaine qui, s’étant renseigné sur les principes et façons de vivre des quakers et après avoir lu l’Apologie de Barclay, devait démissionner de l’armée pour entreprendre des études de médecine à Montpellier, d’où il allait bientôt rejoindre les couflaïres de Congénies.

Les couflaïres deviennent quakers

À la veille de la Révolution, en 1788, une délégation de sept quakers anglais, irlandais et américains débarqua à Congénies, après un long voyage en péniche puis en diligence. Ils visitèrent plusieurs villages des environs. Durant ce séjour, les couflaïres demandèrent à devenir officiellement quakers et furent accueillis comme membres de la Société religieuse des Amis (l’autre nom des quakers) de Londres. Ils étaient ainsi devenus les premiers quakers de France.

Ces quakers de Londres étaient tous éduqués et riches ; ils étaient donc étonnés des différences de culture avec les Français. Leur attitude fut d’abord assez paternaliste. L’Irlandaise Marie Dudley décrit ainsi la petite communauté :

« Leur apparence, leur manière d’être ressemblent assez peu à notre Société ; mais l’honnête simplicité qu’il y a au milieu d’eux, la conscience apparente qu’ils ont de leurs défectuosités et la sensibilité d’esprit confirment notre espoir d’un avenir plus clair au moment voulu. Ils étaient nombreux pendant leurs réunions, 80 à 90 personnes, pendant lesquelles certains semblaient assez agités. »

Les Amis d’outre-mer remarquèrent aussi quelques différences dans l’organisation des réunions, dont ils n’étaient pas toujours satisfaits : ils critiquèrent ainsi les nouveaux quakers parce que leurs réunions avaient lieu portes fermées. Ces critiques étaient sans doute un peu hâtives : L’Édit de tolérance de 1787 venait certes d’être enregistré par le Parlement mais il n’accordait pas le droit de se réunir en public. Les persécutions avaient été nombreuses et les couflaïres, comme les protestants, avaient appris à rester discrets. Trois ans plus tard, une école gratuite quaker pour garçons et filles fut créée à Congénies. Plusieurs familles protestantes envoyèrent bientôt leurs enfants à cette école qui subsista jusqu’au milieu du XIXe siècle.

Un an avant la Révolution, Marsillac avait obtenu du roi que l’Édit de tolérance, par lequel le droit à un état civil était accordé aux protestants, comprenne « tous ceux qui ne professent pas la religion catholique romaine et ne se baptisent pas ». Les quakers et les Juifs étaient donc inclus. En 1791, il prépara avec des Amis une Respectueuse Pétition présentée à l’Assemblée Nationale pour obtenir le droit pour les quakers de ne pas faire de service militaire et d’être dispensés de prêter serment. Mirabeau leur répondit poliment mais refusa.

On estime à deux cents, le nombre de familles quakers qui vécurent dans le Gard aux XVIIIe et XIXe siècles. La maison d’Assemblée quaker de Congénies fut construite en 1822, avec un legs venu de Philadelphie,la capitale de la Pennsylvanie. Mais à la fin du XIXe siècle, leur nombre déclina rapidement : pour échapper au service militaire obligatoire généralisé sous la IIIe République, plusieurs jeunes gens partirent pour l’Angleterre ou les États-Unis, où le service militaire n’existait pas. Une forte évangélisation méthodiste attira également beaucoup de quakers. En 1928, la dernière quaker du Gard s’éteignait. Le mouvement quaker disparut ainsi du Midi jusqu’en 1995.

Parmi les grandes figures du quakerisme du XIXe siècle, il faut mentionner Christine Majolier (1805- 1879), originaire de Congénies, qui fut, bien avant Madeleine Blocher-Saillens, la première femme pasteur. Elle œuvra auprès des pauvres aussi bien qu’auprès des reines et des rois, à la cour de France, à la cour d’Angleterre ainsi qu’à la cour de Prusse notamment.

Les quakers dans le Nord de la France au début du XXe siècle

Christine Majolier encouragea, à la fin de sa vie, une jeune femme, Justine Dalencourt, à devenir quaker. Justine donna un nouvel élan au quakerisme en France, et dans la région parisienne en particulier. Elle eut une action sociale très importante : activités pour régulariser des unions libres (ce qui protégeait beaucoup de femmes et d’enfants), création d’une « école pratique » pour former des jeunes femmes à devenir garde-malades, ou directrices d’orphelinats sont autant d’actions à mettre à son crédit. Les réunions quakers qu’elle avait contribué à créer à Paris à la fin du XIXe siècle se développèrent bientôt largement.

Dès le début de la Grande Guerre, de nombreux quakers français et américains aidèrent des familles de soldats au front. Un Comité de secours quaker fut ainsi re-formé (il avait déjà fonctionné pendant la guerre de 1870). Des volontaires s’installèrent derrière les lignes et sur les champs de bataille de la Marne où tous les villages étaient plus ou moins détruits. Ils commencèrent la construction de maisonnettes en bois et fournirent des secours médicaux. Deux hôpitaux furent ouverts en collaboration avec des quakers américains, et ce travail continua jusqu’en 1924.

Et aujourd’hui ?

En 1940, les quakers étaient seulement 157 000 à travers le monde ; en 2000, ils étaient 338 000. Ce changement est dû à une grande augmentation du nombre de quakers évangéliques en Amérique Centrale et Amérique du Sud, ainsi qu’en Afrique où ils étaient plus de 156 000 en l’an 2000. Aujourd’hui, plus de 50 % des quakers dans le monde se trouvent dans l’hémisphère sud et la majorité des quakers est de tendance évangélique, comme aux États-Unis, en Amérique du Sud ou encore en Afrique.

Par contre, en Europe, la majorité se rapproche de la tendance libérale du quakerisme : beaucoup ont un grand respect pour l’enseignement de Jésus qu’ils veulent suivre, sans néanmoins souscrire au dogme de sa divinité ou encore à la doctrine de la rémission des péchés par sa mort. Il y a également une minorité de quakers qui se disent tout bonnement non-chrétiens, agnostiques ou non-théistes, ainsi qu’une très petite minorité qui se définissent comme hindous ou bouddhistes.

Des statistiques récentes ont été publiées par un professeur quaker de l’Université de Lancaster, Pink Dandelion. Elles montrent qu’en 2003, dans les Îles Britanniques, lorsqu’on demandait aux quakers si Jésus était important dans leur vie spirituelle, 39 % répondaient par l’affirmative, 32 % par « cela dépend » (mais seulement 13 % déclaraient que pour eux, Jésus était le Christ et le fils de Dieu !). Ces chiffres suggèrent que 71 % des quakers considèrent Jésus comme important dans leur vie spirituelle, mais que presque la moitié d’entre eux souhaitent rester libres de leur interprétation.

De nouvelles statistiques, effectuées en 2013 dans le même pays, indiquent pourtant des changements dans le niveau de croyance en Dieu : 57 % (au lieu de 71 % en 2003) affirment ainsi clairement qu’ils croient en Dieu. D’autres seront plus nuancés dans leur réponse. Ces mêmes statistiques soulignent que parmi eux 30 % se disent chrétiens traditionnels, 50 % libéraux, 20 % nonthéistes (mais 12 % de ces derniers se disent hésitants).

Le refus du credo

On le voit : le quakerisme est un mouvement très divers. « Nous ne demandons pas ce que tu crois, mais comment tu vis en relation avec tes semblables. » « Laisse parler ta vie ! » « Marche à travers le monde reconnaissant le divin en chaque personne ! » « Le Christ a dit ceci : les prophètes ont dit cela, mais que peux-tu dire de ta propre expérience ? » Toutes ces expressions de la foi des quakers européens montrent que ces derniers ont depuis le début refusé d’enfermer leur foi dans un credo. Aujourd’hui encore, ils n’ont pas d’articles de foi. À chacun est ainsi laissée la responsabilité d’interpréter son expérience spirituelle selon sa conscience et son entendement personnel en favorisant les rencontres et les échanges avec des quakers et bien sûr des non-quakers, en prenant le temps de lire, de s’informer et de participer à des conférences. Il y a en effet parmi les quakers dans le monde une grande diversité de croyances ou de convictions, et en général ils considèrent cette diversité comme une richesse.

Les sources de référence

La Bible est pour beaucoup de quakers un livre important et ils s’y réfèrent souvent. Du XVIIe au XIXe siècle, les quakers furent de fins connaisseurs de la Bible, la lisant tous les jours. On disait de George Fox que si la Bible disparaissait, il serait en mesure de la réécrire ! Mais Fox appartenait à une des premières générations qui pouvait lire et se nourrir du langage biblique. La première Bible en anglais, la version King James de 1611, avait été publiée treize ans avant que George ne soit né. Elle se diffusa en Angleterre comme un feu de forêt et elle forma les générations suivantes ; néanmoins, elle ne devint pas, pour les quakers, le livre unique, faisant seul autorité. Le discernement personnel et collectif, basé sur l’expérience, y compris la prise de connaissance d’autres points de vue, a toujours été considéré comme aussi important. On peut ainsi rappeler le post-scriptum d’une épître écrite par une Assemblée où George Fox était présent en 1656 :

« Très chers amis, nous ne vous imposons pas ces choses en tant que règle de conduite, mais que tous, éclairés par la lumière qui est pure et sainte puissent être guidés ; ainsi avançant et restant dans la lumière, ces choses peuvent être accomplies dans l’Esprit, pas dans la lettre, car la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie. »

L’étincelle divine

Tous les quakers sont d’accord pour penser qu’il y a en tous les êtres humains un élément qui les dépasse, qui les éclaire et qu’ils appellent « la lumière intérieure » ou encore « l’étincelle divine », le mot « divin » étant interprété de différentes façons. Comme le suggère Rex Ambler, théologien quaker anglais : « Dans leur vie spirituelle, ce qui caractérise les quakers, c’est la priorité qu’ils donnent à l’expérience, et c’est aussi leur désir de se laisser guider par une force au plus profond d’eux-mêmes, “ce qui est divin”. » (Rex Ambler, The Ends of Words : Issues on contemporary Quaker Theology, Quaker Books, 2004, p. 9-10).

La formation

En Europe, les quakers n’ont pas de pasteur. Il appartient donc à chacun de se former, et les membres de la communauté doivent à eux tous se partager les fonctions pastorales. Ce n’est pas toujours facile et de nombreuses réunions, conférences, colloques sont organisés dans différents pays. En Angleterre, Woodbrooke Quaker College offre toute une gamme de cours et d’ateliers, parfois en relation avec l’université de Birmingham et celle de Lancaster. Aux États-Unis, il y a en outre plusieurs universités quakers.

Il existe de nombreux journaux, de nombreuses brochures, et les livres écrits depuis la formation du quakerisme forment un important fonds culturel ; par manque de place, je citerai seulement un livre de référence qui a traversé les siècles et les pays tout en changeant de nom, s’adaptant, tous les 25 à 30 ans, à la façon dont les quakers interprètent leur vision. La dernière édition anglaise date de 1994 et s’intitule Foi et Pratique Quaker. Les quakers de France sont en train de réviser leur dernière version.

Les Témoignages quakers

Les valeurs quakers sont basées sur des expériences personnelles et collectives accumulées depuis 360 ans, ainsi que sur l’expérience d’autres personnes de religions ou philosophies différentes que les quakers essaient de mettre en pratique dans la vie quotidienne. Les Témoignages quakers présentent ainsi leurs valeurs en proposant des exemples vécus. Ils sont délibérément vagues mais pas pour autant moins exigeants. Ils sont cohérents et dépendent tous du premier, qui peut se résumer ainsi : « Respect pour le divin en chaque être ».

Bien que la collection des Témoignages évolue avec les générations, on peut toutefois en mettre quelques uns en évidence, parmi les plus utilisés aujourd’hui. Je ne m’étendrai ici que sur le témoignage pour la paix.

Témoignage pour la paix et l’environnement

Les quakers cherchent à travailler en faveur de la paix avec toute personne qui la désire, sans distinction de religion ou de nationalité. Ils cherchent aussi à travailler pour un monde libéré de la préparation à la guerre. Ils sont ainsi presque tous pacifistes et objecteurs de conscience. En cas de guerre, il n’y a pas de camp ennemi pour eux. Par exemple, un quaker français, Gilbert Lesage, a reçu le titre de Juste parmi les nations après la Seconde Guerre mondiale pour avoir sauvé des centaines de Juifs en toute discrétion. Beaucoup s’étonnaient de son attitude car il n’exprimait aucune haine envers les occupants – ce qui lui a donné d’ailleurs plus de facilité pour faire partir de nombreux juifs en Suisse.

Les quakers forment une des Églises de paix historiques, mettant en valeur un pacifisme actif et diffusant l’information à propos de l’objection de conscience. Le Prix Nobel de la Paix a ainsi été accordé à deux unités caritatives quakers pour leur aide aux populations civiles pendant et après les guerres mondiales. Leurs modes d’action sont souvent originaux : ils sont actuellement nombreux dans l’organisation britannique Conscience à influer sur les parlementaires afin que soit acceptée une nouvelle loi pour une « objection de conscience sur les impôts ». Pour beaucoup, en effet, payer une partie de leurs impôts afin de financer les guerres n’est pas acceptable. La loi a été présentée au parlement britannique en mars 2016.

Un grand nombre d’ateliers et de rencontres ont eu lieu, et ont toujours lieu, pour la résolution non-violente des conflits, pour la médiation et la réconciliation au Soudan, en Afrique du Sud, en Palestine et Israël, etc. Un lycée quaker, accueillant des jeunes israéliens et palestiniens des deux sexes, fonctionne à Ramallah et un autre du même genre se trouve au Liban. En France, les quakers sont très actifs sur des lieux de promotion du commerce d’armes, comme le salon Eurosatory, où ils proposent des informations sur les conséquences du commerce des armes.

Mais, dans la mesure où la paix dépend de l’ordre mondial, ils agissent aussi sur le plan international : le Comité consultatif mondial des Amis a ainsi obtenu un statut consultatif auprès des Nations Unies. Il a un bureau à New York, un autre à Genève, et est également présent à l’UNESCO à Paris. Les bureaux quakers auprès des Nations Unies organisent ainsi des réunions dans lesquelles les diplomates peuvent se rencontrer en dehors des structures officielles.

Au niveau européen, un Conseil quaker pour les affaires européennes, dont le bureau est à Bruxelles, a la même activité auprès de la Communauté européenne et du Conseil de l’Europe. En outre, ce bureau fait des études approfondies sur les pratiques des différents pays européens dans certains domaines précis tels que les enfants soldats en Europe ou la détention préventive. Ces études ont une réelle influence sur l’évolution des pratiques dans les pays concernés.

Parmi les autres Témoignages, on trouve les suivants : Témoignage pour la simplicité, Témoignage pour l’égalité ou encore Témoignage pour l’intégrité. Plus récemment, un Témoignage pour le respect de la planète est apparu : depuis le milieu du XXe siècle, les quakers travaillenten effet individuellement ou en groupes pour encourager le respect de la biosphère, ce « bord étroit » de la planète Terre, avec ses systèmes océanique et terrestre, électromagnétique et atmosphérique.

Page d’accueil du site de la représentation quaker auprès des Nations-Unies. Cette image illustre leur étude “Qui possède les semences ? Propriété intellectuelle et alimentation”. http://www.quno.org

Page d’accueil du site de la représentation quaker auprès des Nations-Unies.
Cette image illustre leur étude “Qui possède les semences ? Propriété intellectuelle et alimentation”. http://www.quno.org

La réunion de recueillement : être quaker

J’aimerais maintenant finir par une note personnelle. Pour moi, être quaker c’est s’engager sur une voie basée sur la réflexion personnelle, c’est se lancer dans une recherche spirituelle qui accueille le doute comme position valable. C’est aussi vouloir se recueillir en groupe, libéré de toute contrainte doctrinaire. Pendant nos réunions de recueillement, nous cherchons à aller au-delà du niveau des mots et de l’activité mentale, pour devenir conscients des intuitions au plus profond de nous-mêmes, pour entrer dans le silence en communion avec la source divine. Les mots que j’utilise ici (« étincelle », « lumière », « profondeur », « source », etc.) sont importants : ils montrent qu’il faut bien communiquer avec des mots pour tenter d’exprimer l’innommable, mais montrent aussi que cette communication demeure toujours imparfaite.

Nos réunions de recueillement sont ainsi au centre de nos vies. Nous cherchons alors à nous ressourcer, à prendre pleinement conscience du lien profond qui existe entre nous, les membres du groupe, mais aussi avec tous nos semblables. C’est la présence divine, enracinée dans les autres. Nous sommes donc « un » et cette réunion en commun exprime cette unité. Vivreune heure dans un silence vivant, dans l’attente, est une discipline de communion collective, consentie et fructueuse pour cette quête spirituelle.

La réunion se passe souvent entièrement dans le silence ; le groupe est alors profondément uni. La plupart du temps, deux ou trois personnes se lèvent pour exprimer ce qui leur est inspiré dans la profondeur du silence. Une personne peut se sentir poussée à exprimer brièvement quelque message basé sur son expérience, ou à lire un passage de la Bible ou un autre texte. Certaines réunions sont plus profondes que d’autres, cela dépend de nous, de notre capacité à lâcher prise ; il nous est en tout cas conseillé de venir « le cœur et l’esprit préparés ».

On peut bien sûr se demander comment les quakers restent unis malgré leurs différences et leur refus de définir leur identité en termes de croyances doctrinales. Je crois pourtant que certaines valeurs nous unissent par-delà nos différences. Tout d’abord l’« étincelle divine » ou « lumière intérieure » qui nous fait tous prendre conscience du fait que le royaume de Dieu est d’abord au-dedans de nous. L’égalité de tous ensuite, ce qui a pour conséquence que ma vérité n’est pas supérieure à celle d’un autre. Les réunions de recueillement ou cultes dont j’ai parlé ensuite : ils sont essentiels avec leurs longs moments de silence. Les témoignages, bien sûr, et les valeurs qu’ils véhiculent. Mais ce qui importe, c’est surtout que, pour nous, la religion se qualifie d’abord par ce qui est fait et non par ce qui est confessé.

À lire l’article de James Woody  » L’individualisme ne fait pas l’égoïsme « 

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À propos Françoise Tomlin

À la recherche d’une spiritualité libérale, Françoise Tomlin et son mari ont rejoint les quakers en Angleterre puis en France. Ils ont contribué à la rénovation de la chapelle quaker de Congénies et à la formation du Centre quaker. Françoise a été secrétaire nationale des « Quakers en France » pendant huit ans.

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