Ce que l’on appelle « prologue de Jean » est le tout début de l’évangile de Jean, texte magnifique, dans un style très différent du reste des évangiles : poétique, beau, profond, théologique et aussi un peu mystérieux, c’est l’un des textes qui soulèvent le plus grand nombre de questions théologiques et qui comportent de multiples enjeux.
Dieu est Parole et Lumière
« Au commencement était la Parole », ce début bien connu nécessite déjà d’importants commentaires.
Une première remarque est que Jean ne parle pas du tout de la question de la naissance de Jésus, tout comme Marc d’ailleurs et pas plus que Paul. Jean est là fort avisé : il va au-delà d’une expression mythologique de naissance plus ou moins miraculeuse pour s’intéresser au sens de la venue du Christ dans le monde d’un point de vue spirituel, c’est-à-dire théologique : qui est Jésus par rapport à Dieu, que nous révèle-t-il de lui, qui est Dieu et comment agit-il dans le monde ?
Et puis Jean présente une théologie particulièrement moderne et crédible. Ce qu’il dit, c’est que Dieu est à la fois parole et lumière. Nous sommes ainsi au delà d’une vision enfantine d’un Dieu qui serait une personne toute-puissante régnant sur le monde du haut du ciel, pour présenter un Dieu qui est un dynamisme créateur à l’œuvre dans le monde.
Si Dieu est parole, alors il n’est pas tout-puissant, la parole est une chose essentielle, mais elle ne peut pas contraindre et rien imposer. La parole, c’est une puissance de persuasion, c’est un appel, une instruction,pas une force d’action concrète. Dieu est ainsi montré comme œuvrant dans le monde en apportant une information créatrice, pas en agissant concrètement hors des lois de la nature. Et par rapport à l’homme, l’action de la parole de Dieu demande l’adhésion pour pouvoir être efficace, elle ne l’est pas en elle-même.
Ensuite dire que Dieu est lumière, est une affirmation essentielle, parce que la lumière n’impose rien, elle ouvre juste un chemin et permet à chacun de trouver sa propre route avec intelligence. Cela va dans le sens du Psaume 119 (v. 105) qui dit à Dieu : « ta parole est une lampe à mes pieds, une lumière sur mon sentier ». Le psaume ne dit pas « ta parole est le sentier que je dois suivre », mais il montre que la parole de Dieu peut éclairer notre route. Ainsi chacun a une route qui est la sienne, et cette parole n’est pas pour nous mettre dans un rapport de soumission passive où il faudrait croire et faire tout ce qu’elle dit, mais elle éclaire, ouvre des horizons et nous permet de choisir notre propre route avec intelligence.
Le logos
À cause des premiers mots de ce prologue, certains ont voulu y trouver une influence de la philosophie grecque ; le texte original en grec dit en effet : « en archè èn o logos », « au commencement était le logos ». Or la notion de « logos » est très importante dans la philosophie grecque, en particulier stoïcienne, où elle désigne la raison et l’intelligence. Par le fait que l’on trouve là ce mot de « logos », certains ont voulu conclure que l’évangile de Jean était tardif, qu’il avait subi des influences de la philosophie grecque, ou de mouvements de pensée plus ou moins divers qui parlent aussi du « logos », comme la gnose.
Mais il n’est pas du tout indispensable d’avoir recours à la philosophie grecque pour expliquer la présence ici de ce mot « logos ». Dans le judaïsme, la notion de « parole » est bien connue, elle est exprimée par le mot « dabar » en hébreu ; et « dabar » est traduit dans la Septante, depuis 300 ans avant Jésus-Christ, tout naturellement par le mot « logos ». Les Hébreux n’ont pas eu besoin de la philosophie grecque pour évoquer la « parole de Dieu » (« logos tou théou » ), qui a, chez eux, une importance considérable. On sait en particulier que Dieu a créé le monde par sa parole. Selon Genèse 1, Dieu crée en parlant : « Dieu dit : soit la lumière ». Le prologue de Jean est ainsi un commentaire, une reprise, du récit de la création du monde selon les premiers mots de la Genèse : « Au commencement, Dieu créa… », « en archè epoiesen o theos ». L’évangile de Jean et la Genèse en grec commencent de la même manière : « en archè ». C’est pourquoi il a souvent été dit que ce prologue de Jean est une sorte de « midrash », un commentaire du récit de la création du monde. C’est de la pensée juive et rien n’empêche qu’il soit plus ancien qu’on ne le dit en général.
Jean reprend donc l’idée du Dieu créateur, et donne une importance particulière à sa parole créatrice.
Quelle est cette parole « à côté » de Dieu ?
Mais les choses se compliquent très rapidement ; juste après la première affirmation, il est dit, selon les traductions habituelles : « et la parole était avec Dieu », ce qui donne l’impression qu’il y a une distinction entre Dieu et sa parole. Cela devient extrêmement difficile à comprendre, voire inintelligible. En effet, comment comprendre qu’il y ait Dieu d’un côté, sa parole de l’autre, et que sa parole soit une sorte d’être indépendant, comme une personne autre que lui qui serait comme coexistante à ses côtés. Et ce qui est totalement absurde, c’est qu’à la fin du premier verset, Jean conclut en disant « et la parole était Dieu » ; il identifie alors Dieu et sa parole alors qu’avant elle était dite « à côté » de lui, ce qui les suppose distincts. Elle ne peut pas être à la fois avec Dieu et Dieu lui-même, c’est tout à fait inintelligible.
À partir de là, il y a eu de très nombreux commentaires, et beaucoup de façons de s’y prendre pour essayer de résoudre le problème. La plus simple serait tout simplement de se poser la question du sens exact de la préposition « pros » en grec qui est utilisée là. Si son sens le plus fréquent est effectivement « à côté », « tourné vers », elle peut aussi désigner l’appartenance. Comme c’est le cas en Romains 15,17 : « J’ai donc sujet de me glorifier en Jésus-Christ, pour ce qui est à Dieu » avec la même formule : « pros ton Theon ».
Autrement dit, on peut traduire ce premier verset par « au commencement était la parole, et la parole était celle de Dieu et la parole était Dieu ». C’est alors très clair : ce qui est à la base de tout c’est une parole, mais pas n’importe quelle parole, la parole de Dieu, c’est-à-dire la parole créatrice. Jean nous donne ensuite une autre information théologique essentielle : cette parole est Dieu, donc Dieu est assimilable à son propre acte créateur ; Dieu, en soi, est parole, et la parole de Dieu, c’est Dieu.
C’est là la solution la plus simple, la plus monothéiste, et c’est sans doute celle qu’il faudrait retenir. Mais curieusement, elle n’est proposée par aucune traduction aujourd’hui : toutes les traductions et la plupart des commentaires vont vers une dissociation de Dieu et de sa parole. Parmi les pires traductions, il y a la Bible en français courant, (et à peu près de la même manière la nouvelle Segond 21) qui traduit : « Lorsque Dieu commença à créer le monde, la parole existait déjà. » Là, ce n’est plus de la traduction, mais une sorte d’extrapolation théologique qui est extrêmement grave. Il est dramatique que des traductions se permettent ce genre de choses. Ajouter un « lorsque », c’est déjà arbitrairement, et indépendamment du texte, enlever toute idée de création ex nihilo et nier Dieu comme principe premier et unique de la création. Comme si Dieu n’était pas le seul principe éternel, mais qu’il y aurait un autre principe divin (voire une personne), coextensif qui eût pu être sa parole. Nos traductions imposent aux pauvres bonnes volontés qui veulent découvrir la Bible une bouillie théologique incohérente, et on comprend que bien des gens s’écartent de la religion chrétienne quand on essaye de leur dire qu’il faudrait passer par l’adhésion à des messages totalement irrationnels et inassimilables.
La Parole et le fils de la Trinité
Le débat sur la nature de cette « parole » a existé depuis très longtemps. Dès les premiers siècles de notre ère, de très graves discussions à propos de cette « parole » ont agité le monde chrétien. Il y a eu, en particulier, la grande crise de l’Arianisme dont les partisans affirmaient que la Parole de Dieu était un être qui avait été créé par Dieu, comme s’il y avait Dieu d’un côté, et une sorte de sous-Dieu ou d’entité divine, créée par lui, seconde par rapport à lui et qui serait la Parole. L’Arianisme a été condamné, et la théologie officielle, c’est-à-dire celle qui s’est trouvée majoritaire, a affirmé : « La parole de Dieu a été engendrée et non créée. » Dieu engendre de toute éternité sa propre parole, et donc la parole de Dieu est coéternelle à Dieu, finalement assimilable à lui, et l’on évite ainsi le di-théisme ou le dualisme.
Aujourd’hui, quand on lit « lorsque Dieu créa le monde, la parole existait déjà », on peut se poser la question de savoir quelle théologie sous-jacente a pu motiver l’auteur de telles traductions, au point de rendre incompréhensible un texte qui est pourtant si beau et si clair.
Un autre problème lié à tout cela et infiniment plus important que ce qu’il y paraît, est qu’à partir du deuxième siècle, Tertullien (né en 150) a eu l’idée curieuse d’appeler « fils de Dieu », ce « logos », la parole éternelle de Dieu ; et c’est à partir de ce moment-là qu’on a commencé à développer la doctrine de la Trinité. Celle-ci affirme qu’il y a le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et tous les trois sont « mia ousia kai treis upostaseis », c’est-à-dire, une seule essence et trois « hypostases », ou « personnes » de la divinité.
Et c’est là qu’arrive l’un des plus graves contresens de l’histoire de la théologie. Aujourd’hui, en effet, la plupart des gens, et même des pasteurs et des prêtres sont persuadés que quand on enseigne que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont trois fois Dieu, il faut entendre par « fils » : Jésus Christ. Ils sont donc persuadés que la doctrine de la Trinité impose que Jésus soit Dieu lui-même. Or, ce n’est pas cela que signifie la Trinité, en tout cas au IIIe siècle, ni ce qu’elle enseigne aujourd’hui d’après les ouvrages de théologie classique. Ce qu’enseigne la Trinité, c’est que quand on dit que le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont Dieu, ce que l’on entend par « Fils », ce n’est pas Jésus de Nazareth, le Jésus historique, mais c’est le Verbe éternel de Dieu, c’est-à-dire ce « logos » dont il est question dans le prologue de Jean. La Trinité ne dit donc rien d’autre que Dieu est à la fois « Père », « logos », c’est-à-dire parole créatrice, et qu’il est aussi « Esprit ». Quand on sait cela, on voit que la Trinité n’impose pas de dire brutalement « Jésus égale Dieu ». La Trinité ne parle pas directement de Jésus de Nazareth, mais du Verbe éternel qui s’est incarné dans l’homme Jésus de Nazareth, lui-même créé lors de sa conception dans le sein de Marie.
La question de la divinité du Christ, nous y reviendrons, puisqu’elle est évoquée un peu plus loin, au verset 14. Pour l’instant laissons de côté Jésus-Christ et attachons-nous simplement au fait que la doctrine de la Trinité affirme seulement que Dieu, à la fois, est Père, qu’il est Parole et qu’il est Esprit. Cela est théologiquement tout à fait admissible, à condition qu’on ne fasse pas de la Parole une sorte de personne indépendante, ou de second Dieu, mais qu’on considère que ce sont trois aspects de Dieu, que Dieu peut se révéler comme Père, qu’il peut se révéler comme Parole créatrice et qu’il peut se révéler en tant qu’Esprit, puisque « Dieu est esprit » (Jn 4,24).
Cela, c’est la Trinité ainsi qu’elle est comprise chez tous les grands théologiens et jusque chez Thomas d’Aquin. Thomas consacre de très nombreuses questions à la Trinité dans lesquelles il parle du Père, puis du Fils, et il dit bien que quand il parle du Fils cela concerne le « verbum dei » ; il démontre que la parole créatrice de Dieu est l’égale de Dieu, et qu’on ne peut pas considérer que la parole de Dieu soit une sorte d’être à part, et il avait raison. Là est précisément l’erreur qu’avait faite Arius en disant que le « fils de Dieu », c’est-à-dire pour lui le « logos », la parole de Dieu était un être créé et qui avait donc une individualité distincte de celle de Dieu.
Et si l’on continue le texte de Jean, on peut voir ce qu’il en est du Christ lui-même.
La formule de l’incarnation
Au verset 14, on trouve cette autre affirmation essentielle et absolument passionnante : « Et la parole a été faite chair. » Là, nous avons tous les éléments pour une juste christologie et en même temps tous les risques possibles. Dans ces simples paroles : « et la parole a été faite chair », en latin « et verbum caro factum est » et en grec : « kai o logos sarx egeneto », se trouve la question de l’incarnation : comment cette parole éternelle de Dieu a-t-elle pu se trouver présente dans un individu de chair et de sang qui était Jésus de Nazareth ?
Ce verset, tel qu’il a été traduit, comporte un certain nombre d’erreurs, ou tout au moins de graves dangers. Le premier danger est dans le mot « chair ».
Pour nous, occidentaux du XXIe siècle, le mot « chair » désigne la dimension purement matérielle, physiologique de notre existence, et non pas un être complet. Ainsi, quand on dit : « et la parole a été faite chair », on risque de comprendre que cette parole de Dieu s’est cristallisée sous une forme de chair, c’est-à-dire qu’elle a pris un corps sans âme, qu’elle s’est enrobée de chair. Mais ce n’est pas cela dont il est question, puisque la chair, dans la Bible, ne désigne pas la viande, mais la totalité de la personne. Ainsi, dans l’Ancien Testament, Dieu dit : « Toute chair saura que je suis l’Éternel » (Es 49,26), ce qui signifie : « tout homme », chacun, vous, moi. Donc la chair représente la personne complète avec son psychisme, son intelligence, sa liberté, sa volonté, et tout cela c’est « une chair » ; et si la parole a été faite « chair », c’est que la parole s’est trouvée tout entière présente dans un individu complet, c’est-à-dire un individu qui a son intelligence, sa liberté et son âme propres, et qui s’appelait Jésus.
Le mot « faite » est aussi très dangereux, parce que si la Parole est Dieu, Dieu étant l’inconditionné et l’absolu, il ne peut « se faire » rien du tout. Dieu reste Dieu, il est éternel et ne peut pas se transformer en autre chose, ou changer de nature pour devenir chair. Cette traduction est donc extrêmement dangereuse pour la théologie : elle pourrait faire croire que tout se passe comme si d’un coup Dieu devenait un être humain. Jésus serait alors une sorte de Dieu transformé en être humain, ce que la théologie classique a heureusement toujours rejeté. Or, plutôt que de dire que Jésus serait Dieu qui se serait fait homme, il serait plus juste de dire qu’en lui, c’est Dieu qui se trouve présent dans un homme. C’est tout à fait autre chose, il n’y a pas de transformation de Dieu, juste Dieu qui se rend présent dans un être humain entier et complet.
Les hérésies christologiques
Un nombre incroyable d’hérésies ont été inventées dans les premiers siècles de notre ère, et presque tout a été envisagé. Certains ont dit que Jésus, c’est Dieu lui-même qui s’enrobe de chair, comme des gâteaux nappés de chocolat : le gâteau à l’intérieur c’est Dieu, et le chocolat autour c’est l’apparence humaine, certains ont ainsi pensé qu’en Jésus, c’est comme si Dieu se recouvrait de chair, comme si on peignait le Dieu invisible d’une peinture concrète et que du coup il devenait visible. Certains ont même affirmé que Dieu était passé à travers la vierge Marie comme à travers un tuyau, et que rentrant invisible dans la vierge Marie, il était ressorti visible de l’autre côté. Tout cela est inassimilable d’un point de vue théologique. D’autres ont été un peu plus subtils et ont dit : Jésus Christ, c’est un homme complet d’accord, mais à la place de son intelligence, de sa volonté et de sa liberté, c’est Dieu, c’est-à- dire que Jésus serait extérieurement un homme qui a tout comme nous, mais à la place de sa liberté, de son intelligence, de sa personne, ce serait Dieu lui-même, comme un corps vide piloté par Dieu, ou un être dont Dieu aurait pris la place de l’âme. Cette hérésie aussi a été rejetée à l’époque par l’Église dominante de Rome. Celle-ci a affirmé qu’il ne peut pas en être ainsi parce qu’alors, l’union hypostatique n’aurait pas été complète, c’est-à-dire que Jésus n’aurait pas été un homme vraiment complet uni au Dieu véritable.
La doctrine officielle a toujours affirmé que Jésus était effectivement un homme complet ayant sa liberté, son individualité, et aussi son âme propre qui a été créée par sa conception ; que Jésus est donc une personne complète, créée par sa conception dans le sein de la vierge Marie et que Jésus est un homme, vrai homme,parfaitement uni au Dieu véritable. C’est-à-dire que Jésus est un homme en qui se trouve la plénitude de la présence de Dieu ; c’est cela qu’on appelle en théologie « l’union hypostatique », notion affirmant que Jésus est à la fois pleinement homme et pleinement Dieu, c’est-à-dire qu’il est à la fois un homme complet, véritable, et qui est totalement et parfaitement uni à Dieu.
Beaucoup de théologiens aujourd’hui ont tendance à être « monophysites », c’est-à-dire qu’ils ont tendance à oublier la dimension humaine du Christ et l’on enseigne parfois qu’être chrétien c’est croire que Jésus est Dieu. Or c’est un raccourci évidemment faux pour quiconque s’est intéressé à la théologie et à l’histoire de la théologie. Jésus n’est pas Dieu, il est un homme uni à Dieu. Jésus est le point de rencontre entre l’humain et le divin, et Jésus a les deux natures, homme et Dieu. Quand on dit « Jésus est Dieu », on commet, selon la théologie officielle traditionnelle, la même erreur que quand on dit brutalement « Jésus est un homme » ; Jésus n’est pas un homme simple, Jésus n’est pas Dieu, Jésus est un homme uni à Dieu, c’est le lieu d’un ensemble relationnel entre Dieu et l’homme.
C’est cela la théologie officielle ; maintenant, chacun fait ce qu’il veut. C’est vrai que les protestants ont souvent tendance à pousser Jésus du côté de l’homme, et d’autres (même aussi chez les protestants) ont tendance à pousser Jésus du côté de Dieu. Néanmoins, l’important est de se faire sa propre opinion et de tolérer que d’autres n’aient pas exactement la même que soi. Ça n’est pas évident, il y a souvent dans ce domaine des réactions extrêmement violentes. Et si l’on professe que Jésus est un homme, si l’on parle de l’humanité du Christ, un certain nombre de chrétiens sont excessivement choqués, voire agressifs, alors que l’on est en face d’un problème extrêmement complexe qu’il ne faut pas traiter avec trop de simplicité et de légèreté.
Qui sont Jésus et le Christ ?
Alors comment peut-on comprendre cette incarnation ? En disant que Jésus est un homme et a tout d’une humanité complète et parfaite ; qu’il incarne la Parole de Dieu, c’est-à-dire que la Parole de Dieu habite en lui en plénitude ; qu’il y a une union complète entre un homme et cette parole créatrice, en tant qu’il y adhère entièrement, qu’il l’assimile totalement et qu’il y a en lui la plénitude de cette parole de Dieu.
C’est ainsi que la théologie des premiers siècles a toujours bien fait la distinction entre le Jésus de l’histoire, Jésus de Nazareth, et la dimension divine du Christ. Il y a en Jésus quelque chose qui est sa dimension divine que l’on peut appeler le Verbe éternel de Dieu, qui s’est incarné en lui. Certains théologiens aujourd’hui appellent cette dimension la dimension christique et font la distinction entre le Jésus de l’histoire et le Christ. Plus clairement, on peut faire la distinction entre Jésus, personne historique qui est le lieu de la présence de Dieu et celui de l’incarnation du Verbe éternel, et puis Dieu lui-même ; il ne faut pas tout mélanger. Ce dont on parle dans la Trinité, la seconde personne, c’est du Verbe éternel avant l’incarnation ; c’est donc le « fils » qui va s’incarner en Jésus de Nazareth, né de Marie de Nazareth, et ainsi on comprend comment cela peut fonctionner : il y a une éternité de la Parole de Dieu, puisque Dieu est sa propre parole créatrice, mais il n’y a pas d’éternité de l’âme du Christ. Le Christ est un individu créé, et Jésus en tant qu’individu n’a pas préexisté. L’idée de la préexistence des âmes n’est pas une idée biblique ou évangélique : il n’y a pas de préexistence des âmes, et il n’y a pas en Jésus une sorte d’âme éternelle divine qui tomberait dans un corps. Cela, ce serait du gnosticisme, de la théologie orphique, pas de la théologie biblique. En théologie biblique, les âmes sont créées, Jésus est créé et en lui se trouvera un principe éternel et divin qui est la parole même de Dieu, qui se trouve présent en Jésus, être créé.
On peut alors faire la distinction entre le Jésus de l’histoire, qui est un personnage qui a eu soif, qui a souffert et qui est mort, et le Verbe éternel qui, lui, n’est pas mort sur la croix. C’est bien Jésus de Nazareth qui est crucifié sur la croix, c’est lui qui a soif, qui se met en colère contre les marchands du Temple et qui meurt. Ce n’est pas le Verbe éternel de Dieu qui meurt sur une croix : le Verbe éternel de Dieu, il est éternel,par définition ; il était éternel avant Jésus, ils se trouve présent dans Jésus de Nazareth pendant son ministère, et ensuite, bien sûr, il reste éternel en Dieu. La particularité de Jésus, c’est qu’il est en totale transparence avec cette parole éternelle de Dieu et qu’il est entièrement plein de la parole de Dieu et pratiquement de rien d’autre, ce qui fait qu’on peut pratiquement considérer qu’il y a comme une assimilation entre la parole éternelle de Dieu et Jésus Christ.
Jésus fait voir le père
Mais le texte de Jean est extrêmement complexe, puisqu’à la fin du prologue (v. 18), il y a encore un verset très difficile. Dans la plupart des traductions récentes, on a quelque chose comme : « Dieu, personne ne l’a jamais vu, mais Dieu, le fils unique, qui est dans le sein du père, l’a fait connaître » ; voilà qui est totalement inintelligible… Que personne n’ait jamais vu Dieu, on peut le dire, mais parler de « Dieu le fils unique » fait retomber dans une théologie di-théiste, c’est-à-dire qu’on aurait Dieu, et un autre Dieu qui serait Jésus révélant le premier. En fait, le texte grec à cet endroit est extrêmement corrompu, extrêmement complexe, et nos traducteurs cherchent là midi à 14 heures, sans doute parce qu’ils sont ravis de trouver des choses un peu compliquées qui feraient passer Jésus pour Dieu. Mais le texte peut très bien être lu dans sa version la plus simple et la plus répandue : « Dieu, personne ne l’a jamais vu, le fils unique de Dieu qui est dans le sein du père, lui l’a fait connaître. » Cette affirmation alors est claire : dans la Bible, le « fils unique », c’est Jésus, le Jésus de l’incarnation, et non pas comme dans le système de Tertullien le « verbe éternel », et c’est Jésus qui est dans le sein du Père, dans l’intimité avec Dieu et qui nous fait connaître Dieu lui-même.
Tout cela est bien compliqué, néanmoins ce que l’on peut retenir, c’est que Dieu lui-même est parole et lumière. Parole, c’est-à-dire qu’il est information, vocation, il est une parole d’amour, une parole d’espérance. Il est aussi lumière, c’est-à-dire qu’il est pour nous liberté, capacité de voir, de trouver, de choisir, d’avancer. C’est justement ce Dieu-là qui est parole et lumière, qui nous a été révélé par Jésus-Christ qui est l’incarnation même d’une parole créatrice et d’une lumière libérarice. C’est en cela que l’on peut croire en Jésus-Christ comme étant le fils de Dieu, parce qu’il nous apporte la parole créatrice et la lumière de la liberté.
À lire l’article de Marie-Noële Duchêne « Introduction à l’évangile selon Jean »
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On peut traduire ce premier verset par « au commencement était la Parole, et la Parole était celle de Dieu et la Parole était Dieu ».
Personnellement j’ai toujours interprété dans ce sens la en lisant le contenu de certaines bibles tels que ; A. Crampon, La Grande Bible de Tours, La Vulgate.
Merci pour votre explication. Cela me rassure dans ma façon de comprendre le sens de ce verset. D’ailleurs Jésus dit lui-même : (Je suis dans le Père, et le Père est en Moi. Le Père et Moi, Nous sommes Un.)
Très cordialement,
Alexandre.
Vous utilisez la notion de « théologie officielle » comme clé argumentative majeure. Mais
on ne sait pas sur quelle « affirmation officielle », vous vous appuyez pour dénaturer ainsi la Révélation divine… Moi j’y vois un salade composée de modalisme et de nestorianisme.
D’accord avec votre analyse qui correspond aussi a ma façon d »interpréter Jean 1,1.
« Au commencement était la Parole, et la Parole était » en » Dieu, et la Parole était Dieu. »
(Réf : Bible A. Crampon – La Grande Bible de Tours – La Vulgate.)
Aussi :
« Au commencement était la Parole, et la Parole était « celle » de Dieu et la Parole était Dieu. »
« Au commencement était le Verbe, et le Verbe était « celui » de Dieu et le Verbe était Dieu. »
« Au commencement était la Parole, et la Parole était » au sein » de Dieu, et la Parole était Dieu. »
« Au commencement était la Parole, et la Parole était l’expression verbale de la Pensée de Dieu, et la Parole était Dieu. »
Dieu : [Père] est la Pensée, qui s’exprime par la Parole [en Jésus], et le Saint Esprit est [l’Action] qui le réalise.
Cordialement,
A. Cristos
Dommage avoir écrit « Un nombre incroyable d’hérésies ont été inventées dans les premiers siècles de notre ère ». Méthodologiquement la théologie dite « officielle » est une invention qui a dépassé la rampe du consensus, les autres inventions minoritaires ont été appelés « hérésie ». Posée comme vous l’avez posé peut faire croire que l’hérésie est telle de manière absolue, qu’elle existe de manière indépendante face à une « vérité », qui correspondrait à la théologie dite officielle