J’accepte avec joie cette invitation à ce dîner de famille évoqué dans l’éditorial. Dîner, pain partagé, rencontres et discussions définissent la force et la beauté de la diversité dans laquelle nous vivons. Mais si j’accepte cette invitation, le dialogue n’est pas pour moi une réponse (et encore moins une solution) aux violences barbares qui nous frappent.
Nos valeurs s’opposent-elles à leur rejet de ces valeurs ? « Valeurs » n’est pas le mot qu’il convient d’utiliser car pour avoir des valeurs, même et surtout lorsque nous sommes animés d’une foi ou d’une conviction religieuse, encore faut-il que cette foi laisse un peu de place à l’indépendance morale de l’individu. C’est dans cet espace que peut se loger et s’épanouir la notion de « valeur ». En dehors de cet espace, pour citer Kierkegaard, il n’y a que « suspension théologique de l’éthique ». Les terroristes islamistes sont dans un manichéisme théologique simpliste et sans valeur, car sans espace pour l’expression d’un choix et d’une responsabilité morale de l’individu. Le dialogue, valeur intrinsèque que je partage évidemment, n’est donc pas une réponse à l’horreur actuelle car nos discussions s’articulent justement autour de « valeurs ».
Vaincre le fanatisme binaire de la foi, passe par une autre route, me semble-t-il. Convaincus qu’ils sont d’entendre la voix prescriptive de Dieu dans Daesh, c’est en luttant totalement contre Daesh que l’on fera disparaître de nos pays et de nos villes les émules idéologiques de l’État Islamique. Faisons tomber Daesh et la théologie binaire qui l’accompagne s’effondre. La perception d’un Dieu qui ne fait qu’ordonner et qui surtout se matérialise et se manifeste dans l’espace politique et géographique de ce nouveau Califat, disparaît lorsque disparaît l’entité politique qui la sous-tend. La question est alors simple : l’Europe est-elle prête à assumer la responsabilité d’une guerre contre l’État islamique, avec ses injustices et ses souffrances ? Dans la tradition juive, la « guerre obligatoire » est un concept éthique important. Le sentiment d’aujourd’hui serait plutôt que l’Europe, dans son incapacité à penser philosophiquement, religieusement puis diplomatiquement la violence, en se réfugiant dans une vision flatteuse et autosuffisante de son identité faite de paix et d’amour infini, n’est pas encore capable de répondre au défi d’aujourd’hui.
Pour faire un don, suivez ce lien