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Religion et torture

Capture d’écran de la page acatfrance.fr

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Que les religions aient partie liée avec la violence, c’est un scandale.

Un scandale au sens habituel du mot. Un scandale, encore bien plus, au sens évangélique : un obstacle sur lequel butent avec raison tant de personnes pour accorder crédit à notre message.

Car comment se fait-il que les religions (leurs adhérents, leurs responsables, leurs institutions) soient si frileuses quand il s’agit de défendre et de promouvoir la dignité des personnes, les libertés et droits fondamentaux qui en découlent ? « Ne sont-ils pas des hommes ? », lançait déjà Antonio de Montesinos, à propos des Indiens qu’ils maltraitaient honteusement, aux colons espagnols du XVIe siècle en Amérique latine. Comment bien des « croyants » ont-ils pu dans le passé, peuvent-ils encore aujourd’hui ravaler au rang d’humains de seconde catégorie ceux qui ne se rangent pas à leur croyance ? Comment est-il concevable qu’on puisse torturer, tuer, crucifier, au nom de Dieu ?

Alors, modestement, et pour commencer, l’ACAT (Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture) voudrait inviter, inciter fortement les religions à se mobiliser pour l’abolition de la torture. Modestement, mais significativement, car cela nous concerne directement. Nous avons à dénoncer les actes qui nient l’humanité de nos frères, nous avons à tout faire pour essayer de convaincre leurs tortionnaires : c’est notre responsabilité en tant qu’hommes et que citoyens, face à la torture qui sévit aujourd’hui dans un pays sur deux ; notre responsabilité encore plus, pour ce qui nous concerne, en tant que croyants, quand on torture au nom de Dieu.

Nous avons donc entrepris de lancer un appel : « religion et torture » pour nous, croyants, qu’est-ce que cela dit ? Tel sera l’objet du Colloque interreligieux qui va se tenir à Marseille sur ce thème, du 19 au 21 novembre prochain. Il réunira des représentants des religions présentes en France – judaïsme, islam, christianisme, bouddhisme. Chacun apportera sa contribution. Nous essaierons alors, à partir de là, de proposer des actions autour desquelles nous mobiliser, chacun, et si par bonheur cela se révélait possible, ensemble.

En fait, il y a déjà plusieurs années qu’à l’ACAT, nous nous disions que d’autres religions que le christianisme auraient tout motif, elles aussi, de se mobiliser pour l’abolition de la torture et de la peine de mort. Du côté du bouddhisme, par exemple, la compassion est essentielle dans le cheminement intérieur qui est proposé. Une compassion qui, comme pour nous, s’étend aux bourreaux : ils se détruisent autant eux-mêmes qu’ils détruisent leurs victimes. N’en serait-il pas de même pour l’islam qui accorde tant de place à la miséricorde dans sa conception de Dieu ? Sans parler évidemment du judaïsme avec lequel nous partageons la Révélation mosaïque et la parole des prophètes. D’où ce projet de Colloque, conçu il y a dix-huit mois.

Et voilà qu’il rejoint l’actualité la plus brûlante. Il est plus urgent que jamais de manifester publiquement que les religions, et plus profondément « la religion » comme réalité culturelle et spirituelle, tiennent pour part essentielle de leur message le respect de chaque être humain, d’où qu’il vienne, quoi qu’il ait fait, quel qu’il soit. Face aux horreurs que l’on commet aujourd’hui soi-disant au nom de Dieu (mais des croisades aux dragonnades, en passant par l’Inquisition,nous en avions fait tout autant) les religions doivent non seulement condamner les actes (heureusement beaucoup le font, en paroles et en actes) mais lutter autour d’elles, et en leur propre sein, pour retrouver et honorer le regard que Dieu porte sur les humains, pour en témoigner. Nous avons à prendre conscience de ce qui, dans le fonctionnement même de la religion, conduit à de telles aberrations. Travail de longue haleine, à reprendre sans cesse, puisque les causes en sont structurelles et latentes : la prétention à détenir « la Vérité » ; la complicité et l’instrumentalisation réciproque entre pouvoir politique et pouvoir religieux ; et surtout, aujourd’hui plus qu’hier, la collusion entre identité et religion. « Catholique et Français toujours », chantait-on il n’y a pas si longtemps dans les églises catholiques. Aujourd’hui, dans le contexte actuel où s’exacerbent à la fois la peur de l’autre et l’affirmation des identités collectives, on se tourne souvent vers la religion traditionnelle pour assurer la défense de cette identité que l’on perçoit – à tort ou à raison – menacée par les flux migratoires.

Ce colloque interreligieux sera aussi une façon de mieux nous connaître. Car de même qu’à l’ACAT nous faisons au quotidien l’expérience de la richesse de l’œcuménisme, de même, mutatis mutandis évidemment, nous pensons avoir bien des choses à comprendre et à apprécier dans la connaissance des autres religions. Non, nous n’y perdrons rien de notre identité, au contraire : nous comprendrons mieux notre propre expérience religieuse en découvrant celle des autres. Et nous mesurerons mieux combien « Dieu » dépasse infiniment tout ce que nous pouvons en dire : la véritable « connaissance » de Dieu n’est-elle pas d’un autre ordre que conceptuel ? « Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. » (1 Jn 4,7)

Mais le dialogue interreligieux ne va jamais de soi. Les questions proprement théologiques sont souvent les questions qui fâchent. Rien de tel en revanche que de mettre ensemble la main à la pâte pour créer des liens de compréhension et d’amitié. C’est ce qui se passe souvent dans le cadre d’une ville (Marseille en est justement un bon exemple). Et cette relation chaleureuse entre responsables religieux, comme entre croyants, est le meilleur antidote aux tensions qui viennent d’ailleurs. À l’heure d’Internet, tout résonne bien au-delà des frontières ; pour le pire : tant de discours de haine, tant de conséquences dramatiques ailleurs d’un acte posé ici inconsciemment – pour le meilleur aussi : un geste d’amitié ici peut avoir des conséquences bénéfiques bien loin ailleurs.

Quels échos, quels résultats pouvons-nous alors espérer de ce Colloque ? Une chrétienne me disait récemment son choix de militer à Amnesty International plutôt qu’avec des chrétiens à l’ACAT : « À quoi bon quelque chose de spécifiquement religieux, voire chrétien, pour un tel combat ? » Question légitime, position pertinente, certes. Moi-même, pour avoir présidé plusieurs années un groupement d’ONG internationales de tout bord, parmi lesquelles les ONG d’origine religieuse étaient une minorité, je sais la valeur de cette action commune où tous se retrouvent au coude à coude au service de la dignité humaine. Mais j’ai pu aussi mesurer d’autant mieux la contribution que des visions de l’homme et de sa dignité, inspirées par des spiritualités diverses, pouvaient apporter à de tels combats. À condition justement que personne ne prétende à l’exclusivité de la vérité sur l’homme et se situe dans le cadre d’une laïcité de bon aloi, où les religions ne cherchent pas à imposer mais proposent ce qu’elles ont de spécifique dans les relations sociales : « L’autre comme moi-même », au nom d’une transcendance qui oblige notre conscience et sollicite notre liberté. Faire exister un peu plus ce « L’autre comme moi-même » dans notre monde, à partir de nos convictions les plus profondes, voilà notre objectif et notre ambition.

La liberté est une dimension inaliénable de la condition humaine pour l’autre comme pour moi-même. En tant que croyants chrétiens, et où que nous décidions d’œuvrer, nous avons là une responsabilité qui nous est directement confiée par Dieu : « Va, je t’envoie libérer mon peuple ! » (Ex 3,10), à quoi fait écho « L’Esprit du Seigneur est sur moi, il m’a envoyé libérer les captifs… » (Lc 4,19) Et il y en a, aujourd’hui, des captifs à libérer : que beaucoup plus se mobilisent pour eux et avec eux, voilà notre mission, au nom de celui qui nous envoie.

 

http://www.acatfrance.fr/se-former/religion-et-torture

 

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À propos Gabriel Nissim

est dominicain, fait partie de la commission Théologie de l’ACAT, récemment élu Président de l’ACAT France.

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