Les morts d’Éric Garner et Michael Brown, deux hommes noirs tués par des policiers à Staten Island (New York) et Ferguson (Missouri) l’été 2014, et l’indignation qui les a suivies montrent combien aux États-Unis, aujourd’hui, il subsiste encore des tensions entre Blancs et Noirs. Un mouvement de protestation lancé pendant l’été avait pour slogan « Black lives matter » (« Les vies noires ont de l’importance »). Cela n’est-il donc pas évident ? Est-il encore besoin, plus de 40 ans après la lutte pour les droits civiques, de proclamer que les vies noires comptent autant que les vies blanches ? Manifestement, oui. Les inégalités persistent. Un site d’investigation fondé par un ancien dirigeant du Wall Street Journal a étudié les cas de jeunes hommes tués par la police. Le résultat de cette analyse est qu’un jeune homme noir a 21 fois plus de risques d’être tué par la police qu’un jeune homme blanc.
C’est dans cette Amérique agitée de l’été 2014, en Floride, que deux paroisses ont décidé de fusionner. La particularité de cette fusion est qu’une des deux paroisses est majoritairement composée de membres noirs et l’autre de membres blancs. La paroisse Shiloh Metropolitan Baptist Church de Jacksonville comptait, l’été dernier, un pasteur prédicateur, H. B. Charles Jr, assisté de 8 pasteurs, pour environ 8 000 membres, majoritairement noirs.
La paroisse Noirs et Blancs dans la même Église Abigaïl Bassac Les tensions raciales persistent aux États-Unis, si l’on en croit le nombre de Noirs tués par des policiers blancs. Pourtant, certains s’engagent résolument dans un rapprochement bien réconfortant ! Les propos de Michael Clifford (pasteur de l’American Baptist Church en Floride) cités dans cet article sont des extraits d’échanges écrits avec Abigaïl Bassac. vue d’ailleurs Ridgewood Baptist Church de Orange Park comptait, elle, un seul pasteur, Michael Clifford, pour environ 200 membres, majoritairement blancs.
Shiloh Metropolitan était en pleine expansion et cherchait un nouveau lieu de culte. De son côté, Ridgewood connaissait de graves difficultés financières. Lorsque Clifford est arrivé dans la paroisse en 2012, celle-ci était engagée dans un prêt bancaire de 5,7 millions d’euros. Les dons n’étaient pas suffisants pour faire face aux échéances. En janvier 2014, la banque imposa de nouvelles conditions pour le remboursement et Ridgewood prit conscience qu’elle devait fusionner avec une autre paroisse pour résoudre ses problèmes financiers.
Clifford contacta alors le responsable du réseau local des paroisses baptistes. Ce dernier l’informa que Shiloh Metropolitan, dont les paroissiens étaient majoritairement noirs, cherchait un nouveau lieu de culte. Clifford lui répondit que leur couleur de peau n’avait pas d’importance à ses yeux. Le responsable du réseau organisa donc un rendez-vous entre les pasteurs Charles Jr et Clifford, qui n’avaient jusqu’alors jamais entendu parler l’un de l’autre.
Les deux hommes estimèrent que la fusion de leurs deux paroisses était une excellente manière de répondre à leurs problèmes respectifs. Vint alors le temps où il fallut convaincre les paroissiens. Le vote final organisé à Ridgewood approuva la fusion à 87 %. Pour en arriver là, bien des craintes ont été surmontées.
Clifford se décrit comme un homme ayant un esprit aventureux, fuyant la routine et aimant l’inconnu. Il dit avoir eu des conversations « honnêtes » avec des paroissiens qui, eux, étaient « inquiets face à l’inconnu » et avaient des « idées fausses ». Ils redoutaient que les nouveaux arrivants « prennent le pouvoir ». Clifford déclare que, pour amener les paroissiens à adhérer au projet de fusion, il a dû être un « guide audacieux et compatissant ». Quand on lui demande s’il a eu l’impression d’être tel un berger pour son troupeau, il répond : « Je me suis senti berger, brebis, entraîneur, conseiller, consolateur, écoutant, incapable d’écouter ne serait-ce qu’une personne de plus, douteur, guide, Moïse, Josué… imaginez n’importe quel rôle, je l’ai probablement endossé à un moment du processus. Mais en 17 ans de ministère, je ne me suis jamais senti davantage berger qu’à cette période. » Clifford a grandi dans une paroisse du sud des États-Unis à la fin des années 1960, il a été témoin de propos racistes, mais il a la conviction que dans l’Église du Christ, il est hors de question de laisser la couleur de peau être source de séparation. Et il l’affirma du haut de la chaire.
Les deux paroisses se réunirent pour des cultes à plusieurs reprises lors du processus. Les paroissiens prirent conscience qu’ils avaient beaucoup plus de points communs que de différences. La fusion eut bien lieu, le 4 janvier dernier. Et les deux lieux de culte sont pleins. Les paroissiens de l’ancienne Ridgewood Baptist Church sont devenus membres de Shiloh Metropolitan Baptist Church et assistent aux cultes organisés dans les deux temples. Charles Jr prêche et Clifford a rejoint le groupe de pasteurs qui l’entourent. Il est chargé de la catéchèse et d’un programme d’études bibliques pour adultes.
Il est conscient de la charge symbolique portée par cette fusion et répond volontiers aux sollicitations nombreuses des médias. Charles Jr et lui savent que leur pays les regarde et espère que cette fusion aura un impact positif sur les relations entre Noirs et Blancs. Il affirme ne pas voir la couleur « mais la fraternité permise par le Christ ». Et lorsqu’on lui demande à quelles difficultés il doit faire face dans une communauté constituée de Noirs et de Blancs, il répond que l’Église primitive était ainsi, elle aussi, composée de personnes issues de différentes nations ou ethnies. Juifs et païens d’alors étaient ensemble dans la même Église du Christ. Aujourd’hui, Noirs et Blancs sont réunis dans la même Église du Christ.
Oui, les vies noires ont de l’importance, mais peu importe la couleur de peau ; le Christ est là où des hommes audacieux font vivre sa parole. Loin des slogans éphémères, Charles Jr et Clifford ont été des témoins de l’Évangile qui fait de l’autre notre frère.
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