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La Bible ne suffit pas

 

Il n’est pas possible de faire une carte du monde à l’échelle 1:1, c’est-à-dire une carte grandeur nature. Non seulement il est impossible de faire figurer toutes les évolutions du monde en temps réel (les êtres vivants qui se déplacent, la nature qui évolue, les constructions, etc.), mais une telle carte, pour exister, devrait être posée à même la terre, en lieu et place du monde tel qu’il est. Les cartes sont donc des réductions de ce qu’elles veulent représenter et ceux qui établissent les cartes doivent faire des choix : il n’est pas possible de tout représenter et certaines choses représentées doivent être grossies, elles ne doivent pas être à l’échelle, pour être vues. C’est le cas, par exemple, des routes qui sont plus larges sur la carte qu’elles ne sont en réalité, si nous tenons compte de l’échelle.

Il n’en va pas autrement pour la Bible. La Bible ne peut pas contenir le monde, elle ne peut pas non plus contenir la vie. C’est d’ailleurs ce qu’exprime le rédacteur de la fin de l’évangile selon Jean : « Jésus a fait encore beaucoup d’autres choses. Si on les écrivait en détail, je ne pense pas que le monde entier pourrait contenir les livres qu’on écrirait. » (Jn 21,25) Cela se confirme par le fait que les quatre évangiles de la Bible sont de mauvaises biographies qui nous apprennent très peu de choses sur l’homme Jésus et, de façon générale, sur les personnages qui peuplent les récits. Cela vaut pour l’ensemble des récits bibliques. Nous pouvons nous étonner, par exemple, que le premier livre de Samuel consacre tout le chapitre 9 à raconter la recherche d’ânesses par Saül. N’y avait-il rien de plus important à l’époque ? Nous avons là un effet de loupe qui permet au lecteur de s’intéresser tout spécialement à un aspect de la vie (qu’est-ce qu’un père, qu’est-ce qu’un fils ?) sans chercher à rendre compte de la totalité de la vie.

Outre les effets de grossissement, nous pourrions déplorer les erreurs historiques que contiennent les textes bibliques. Ainsi, la prise de Jéricho racontée en Josué 6 tient avec l’histoire, au sens contemporain du terme, le même rapport qu’aurait une narration présentant les soldats allemands entrant dans Paris après avoir fait tomber le mur d’enceinte érigé au temps de Philippe Auguste qui n’existait plus depuis belle lurette. La Bible n’est ni un cadastre à l’échelle 1:1, ni le scénario intégral de notre vie. En revanche, elle est un stimulant puissant pour susciter la curiosité et l’intérêt pour la part non uniquement matérielle de la vie, pour ce qu’il y a en dehors de soi : l’existence.

La Bible ne suffit pas pour dire la vie dans ses moindres détails, dans l’étendue de ses nuances, mais elle permet de rendre le lecteur passionné par l’exploration de la vie telle qu’elle est en germe dans les paroles des témoins bibliques, dans les promesses qui retentissent dans la bouche des prophètes. La Bible ne peut donc être lue comme un mode d’emploi à suivre à la lettre. Toute lecture exclusivement littérale ferait courir au lecteur le risque d’être prisonnier d’une vie en retard sur le présent.

De même que le monde excède le plan, la vie excède la Bible. Il n’est donc pas possible de vivre les yeux rivés sur le texte biblique sans souffrir d’une vie diminuée. C’est contre ce risque que les auteurs bibliques ont délibérément déposé en de nombreux endroits de quoi neutraliser une lecture littérale. C’est le cas lorsque l’évangile selon Jean met en évidence les malentendus entre ceux qui prennent au pied de la lettre ce que dit Jésus et celui qui parle en utilisant une métaphore (Jn 9,40). C’est le cas lorsque le rédacteur d’Ézéchiel prend soin de préciser que la vision du chapitre 1 est une similitude, l’écriture d’une ressemblance avec le réel (verset 26). La Bible nous enseigne l’art de l’interprétation pour que nous puissions, à notre tour, interpréter la réalité qui nous entoure, interpréter les situations auxquelles nous sommes affrontés et vivre, par delà la Bible.

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À propos James Woody

Pasteur de l'Église protestante unie de France à Montpellier et président d'Évangile et liberté, l'Association protestante libérale.

Un commentaire

  1. nathan.andiran@gmail.com'

    Mais oui. Elle est d’autant plus utile qu »elle ouvre des portes plus qu’elle n’en referme.
    Quant à l’interprétation qu’on peut lui donner, aucune ne peut être condamnée parce que nous pourrions la juger trop littérale ou trop spriritualisante. En cela l’espace de liberté n’est pas
    réduit. Peut-être qu’entre l’interprétation littérale et métaphorique il existe un juste milieu?…

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