Quand on vit au vingt-et-unième siècle, comment peut-on comprendre le Jésus de l’histoire ? Pouvons-nous encore croire qu’il a fait son entrée dans ce monde, accompagné par une étoile nouvellement apparue dans les cieux, ou que sa naissance a été annoncée par des anges déchirant le ciel de la nuit pour chanter à des bergers sur une colline ? Pouvons-nous encore croire que sa mère était une vierge et que son père était l’Esprit Saint ? Lors de son baptême dans le Jourdain, pouvons-nous encore suggérer que les cieux se sont ouverts et que l’Esprit est descendu, avec la voix de Dieu proclamant « celui-ci est mon fils » à tous ceux qui pouvaient entendre ? Nous est-il possible de croire qu’un personnage appelé le diable, a réellement tenté Jésus dans un vrai désert ? Pouvons-nous encore imaginer qu’il a réellement prêché le Sermon sur la montagne ou qu’il a nourri cinq mille personnes avec cinq pains et deux poissons ? Des esprits du vingt-et-unième siècle peuvent-ils encore comprendre un Jésus qui a relevé des morts une enfant, le fils d’une veuve, et Lazare ? Est-il vraiment possible qu’il ait réellement marché sur les eaux ou apaisé une tempête ? Pouvons-nous vraiment croire qu’il ait redonné la vue aux aveugles, l’audition aux sourds, la capacité de sauter aux boiteux et aux invalides, et la capacité de parler aux muets ? Pouvons-nous croire que le troisième jour après sa mort, il est physiquement sorti d’une tombe en marchant ? Y a-t-il quelqu’un parmi nous pour croire encore l’histoire qui nous dit qu’il s’est élevé dans le ciel d’un univers à trois étages ou que, une fois installé dans le ciel, il a envoyé l’Esprit Saint sur ceux qui le suivaient, dans le grand moment de Pentecôte ?
Si, à toutes ces questions, je répondais un « Non » retentissant, pourrais-je encore me dire chrétien ? Cependant, le fait est que je ne crois pas qu’aucun de ces événements ait littéralement eu lieu dans l’univers spatio-temporel où nous, êtres humains, vivons et pourtant je suis encore un chrétien profondément croyant et engagé. En effet, plus que cela, j’ai servi mon Église comme prêtre pendant vingt-et-un ans, après quoi j’ai été élu évêque de mon Église et je l’ai servie dans ce rôle les vingt-quatre années suivantes. Comment est-ce conciliable ? Jusqu’où puis-je mettre en cause la compréhension littérale de ce que beaucoup considèrent être comme le cœur, les doctrines fondamentales du christianisme historique, et me considérer encore comme un chrétien croyant, pratiquant, servant mon Église à la fois en tant que prêtre et évêque ?
Lire la Bible autrement
Il existe une autre façon de lire la Bible et de comprendre la foi chrétienne, différente de celle qui nous a été traditionnellement enseignée. Je ne pense pas que nous ayons à faire comme si la Bible était un récit historique. Je crois pouvoir démontrer que les auteurs originaux des quatre évangiles eux-mêmes ne le croyaient pas. La Bible, y compris ce que nous nommons le Nouveau Testament, est plutôt un livre juif, écrit par des auteurs juifs à propos d’un homme juif appelé Jésus de Nazareth. C’est l’histoire de celui à travers qui des Juifs du premier siècle vinrent à penser qu’ils avaient fait l’expérience de ce divin royaume transcendant que nous appelons Dieu. L’affirmation faite en premier par saint Paul que « Dieu était en Christ » est le centre essentiel de la foi chrétienne que je continue à affirmer. Comment Dieu est entré en ce Jésus est le sujet principal de la théologie chrétienne.
Les histoires bibliques concernant Jésus qui nous sont familières peuvent-elles être vraies et quand même ne pas être réelles ? Je suis convaincu que oui. Ces histoires peuvent-elles nous désigner très exactement la réalité de Dieu, mais ne pas nous enfermer dans une définition spécifique de Dieu ? Je crois que oui. Puis-je affirmer que la résurrection est réelle, et malgré cela maintenir que cela ne veut pas dire qu’un corps mort a été physiquement ressuscité et est sorti de sa tombe en marchant pour revenir à la vie dans notre cadre spatiotemporel ? Je suis certain de pouvoir l’affirmer. Puis-je croire en la promesse chrétienne ultime de la vie après la mort, et en même temps rejeter les concepts de paradis et d’enfer en les considérant comme à peine plus que des techniques institutionnelles de contrôle des comportements ? C’est exactement ce que je crois.
Dieu « source de vie »
Oui, je crois en Dieu, profondément et totalement, mais je ne peux ni vous dire qui est Dieu ni ce que Dieu est. Aucun esprit humain limité ne peut faire cela. Ce que je peux faire, c’est vous dire comment je crois faire l’expérience de Dieu. Dieu et mon expérience de Dieu ne sont pas identiques. Je délire peut-être, certains affirmeront même que c’est le cas, mais je ne le pense pas.
Je crois que je fais l’expérience de Dieu comme « Source de la Vie ». Peut-être Dieu est-il rencontré dans la force de vie qui coule à travers l’univers, mais qui n’est perçue de façon consciente que chez les êtres humains. Si Dieu est la « Source de Vie », alors j’adore Dieu par ma volonté de vivre pleinement, et en vivant pleinement pour transcender les limites humaines, ce qui me rendra capable de construire une communauté d’humanité. Quand je vis pleinement, je crois que je rends Dieu, la « Source de Vie », visible.
Je crois que je fais l’expérience de Dieu comme « Source de l’Amour », qui coule aussi à travers l’univers, augmentant la vie à chaque niveau, mais qui n’est perçue de façon consciente que chez les êtres humains. Cette « Source de l’Amour » m’appelle à aimer sans mesure, à aimer non pas parce que c’est mérité, mais parce que cela ne peut être reçu que lorsque c’est donné dans l’abandon. Quand j’aime sans mesure, je crois que je rends visible le Dieu qui est la « Source de l’Amour ».
Je crois que je fais l’expérience de Dieu comme « Fondement de l’Être », pour emprunter une expression rendue célèbre par le théologien allemand Paul Tillich. L’Être est ce dans quoi tout ce-qui-est est enraciné. Ce « Fondement de l’Être » est ce qui me donne le courage d’être moi-même, c’est-à-dire d’être tout ce que je suis capable d’être, et ainsi non seulement d’autoriser, mais aussi de rendre tous les autres capables d’être tout ce qu’ils peuvent être. Quand je suis profondément et entièrement moi-même et, plus encore, que j’exprime cela en me donnant dans l’amour pour les autres, je crois que c’est alors que je rends le Dieu, qui est le « Fondement de l’Être », visible.
Jésus révèle Dieu
Enfin, je suis chrétien parce que je vois en Jésus de Nazareth toutes ces dimensions de Dieu. Je vois en lui une vie vécue si pleinement qu’il me révèle le Dieu qui est la « Source de la Vie ». Je vois en Jésus un amour donné avec si peu de mesure qu’il me révèle le Dieu qui est la « Source de l’Amour ». Je vois en Jésus de Nazareth quelqu’un qui a eu le courage d’être tout ce qu’il était appelé à être, en tout type de circonstances, même lorsque sa vie lui est brutalement retirée, et ainsi je crois que j’ai rencontré en lui le Dieu qui est le « Fondement de l’Être ». Oui, je peux dire avec une pleine conviction, comme Paul, que « Dieu était en Christ ».
Vivre Dieu
La tâche de la foi chrétienne, pour moi, n’est pas que les gens aient une religion. Jésus n’est pas venu sur cette terre d’un quelconque endroit céleste, comme le langage de la tradition le laisse entendre, afin de nous sauver, nous pécheurs, ni apporter la rédemption à ceux qui étaient perdus, ni même secourir ceux qui avaient chuté. Mais dans sa vie, il a plutôt révélé la capacité de donner sa vie aux autres et ainsi il nous a fait connaître une nouvelle dimension de ce que signifie être humain, une dimension qui ultimement ouvre l’humain à participer du divin. Ainsi, Dieu est devenu pour moi non pas un substantif qu’il faut définir, mais un verbe qu’il me faut vivre. Dans l’action de vivre pleinement, d’aimer sans mesure, et d’être tout ce que chacun de nous peut être, nous vivons pleinement la perspective christique d’être agent de vie en abondance pour tous.
Traduction Abigaïl Bassac, intertitres de la rédaction.
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