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Sur l’authenticité des épîtres pastorales

Le titre (épîtres “pastorales”) des trois lettres à Timothée et à Tite renvoie au pasteur, berger du troupeau ; elles contiennent en effet des instructions à des responsables de communauté. Leur attribution à l’apôtre Paul est attestée par leur texte comme par la tradition. Tout semble simple, et pourtant…

Ces « pastorales » ont depuis toujours été l’objet d’hésitations : absentes de certains manuscrits anciens de référence ou citées indépendamment des autres lettres de Paul dans certaines listes canoniques. Cette situation est interprétée de diverses façons : pour certains, elle témoigne de ce que ces lettres n’étaient pas, ou pas encore, reconnues comme appartenant à la liste des livres faisant autorité ; d’autres y voient les conséquences de différents accidents de transmission. Ces incertitudes autour des pastorales soulèvent la question de leur authenticité.

De fait, depuis le début du XIXe siècle, leur attribution à Paul est mise en doute. On aurait affaire à une pratique attestée dans l’Antiquité gréco-romaine, la pseudépigraphie. Si, en grec, pseudo signifie bien « faux », cela ne veut pas dire pour autant qu’il s’agisse de faux au sens moderne du terme. En effet, dans l’Antiquité, le fait qu’un écrivain emprunte le nom d’un grand personnage du passé n’a pas pour but de tromper le lecteur. Au contraire l’auteur réel manifeste ainsi qu’il se situe (ou pense se situer) dans la ligne de ce maître derrière lequel il s’efface par humilité. Il ne s’agit donc pas d’un détournement, mais d’une reconnaissance de dette ou de filiation spirituelle vis-à-vis de celui dont on s’estime le disciple.

Examinons les arguments appuyant cette thèse de la pseudépigraphie, ils sont de cinq ordres :

1) La langue et le style des pastorales présentent de nombreuses divergences avec la langue et le style de Paul dans ses autres épîtres : certains mots et expressions n’apparaissent que là, ainsi que des tournures de phrases inconnues ailleurs chez Paul. Ces observations peuvent trahir un auteur différent.

2) Si l’on essaie d’accorder les indications biographiques de ces lettres avec celles fournies par les autres épîtres de Paul (et par les Actes), c’est tout simplement impossible !

3) Les adversaires évoqués et les débats abordés dans ces épîtres ne font leur apparition dans le christianisme qu’à la fin du Ier et au début du IIe siècle ap. J.C., soit 40 à 60 ans après la mort de Paul !

4) Dans les pastorales, on ne reconnaît pas la théologie développée par Paul dans ses autres épîtres : de nouvelles expressions et concepts apparaissent, et la plupart des motifs principaux de la théologie paulinienne sont absents : rien sur le Christ comme « fils », ni sur la Croix, si centrale pour Paul ; rien sur la notion d’Alliance, sur la justice de Dieu, sur la liberté…

5) Enfin, ces épîtres organisent une Église qui s’institutionnalise, avec sa hiérarchie, sa doctrine officielle, etc. Cela nous conduit de nouveau à l’orée du IIe siècle ap. J.C. avec l’instauration d’un ministère épiscopal. Rien à voir avec les communautés informelles des années 50-60 où s’exercent des charismes et des responsabilités, mais pas de ministères ordonnés hiérarchiquement au sein d’une institution.

Toutes ces observations n’ont pas le même poids, mais leur accumulation et leur convergence plaident en faveur de la pseudépigraphie. Cependant, les tenants de l’authenticité les relativisent en considérant que c’est un Paul vieillissant qui, sur la fin de sa vie durant sa captivité romaine, donnerait d’ultimes consignes en guise de testament. Une solution intermédiaire est parfois proposée : il s’agirait d’un secrétaire écrivant sous la dictée de Paul ou rassemblant ses souvenirs des dernières volontés et enseignements de l’apôtre. Mais ces arguments peuvent être à leur tour retournés car ce sont précisément là des situations fictives typiques de la pseudépigraphie !

La majorité des chercheurs considèrent donc aujourd’hui les pastorales comme des lettres « deutéro-pauliniennes », s’inscrivant dans une tradition qui relit et actualise l’enseignement de l’apôtre une génération après lui. Mais on peut sans doute aller plus loin et parler d’écrits « post-pauliniens », empruntant, vers l’an 100, le nom et l’autorité de Paul dans un contexte historique et un cadre théologique qui n’ont plus rien à voir avec ceux de l’apôtre.

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À propos Patrice Rolin

est animateur théologique de L’Atelier protestant.

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