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Sébastien Castellion, le petit savoyard

   On pourrait appeler Sébastien Castellion le rossignol du Bugey. De même que le petit oiseau est le premier à annoncer le jour naissant, Sébastien Castellion, à une époque qui n’est pas encore celle de la tolérance, en a été le héraut, le chantre et l’apôtre. Avec sa perspicacité proverbiale, Michelet n’a pas hésité à dire à son sujet dans Renaissance et Réforme : « Un pauvre prote [NDLR : contremaître] d’imprimerie p osa p our tout l’avenir la grande loi de la tolérance. »

   C’est en 1515 à St Martin du Fresne, à sept kilomètres de Nantua, qu’est né Sébastien Castellion dans une famille nombreuse et modeste. Son père Claude Chatillon ou Chateillon est un paysan peu lettré mais laborieux et honnête. Sébastien Castellion, selon l’usage dans les milieux humanistes, latinisera son nom en Sebastianus Castalio, vite francisé à nouveau en Sébastien Castellion. Voici comment il a rendu témoignage à sa famille : « Mon père, quoique dans une grande ignorance de la religion, avait par-dessus tout l’horreur de deux choses : le vol et le mensonge. Aussi avions-nous à la bouche dans mon enfance le proverbe de notre langue maternelle : “Ou prendre ou rendre, ou les peines d’enfer attendre.” » Le Bugey, le comté d’où est issu également Gaspard de Coligny, est, au commencement du XVIe siècle, un petit pays sous la souveraineté nominale de la maison de Savoie, ignoré de la France et oublié de l’Allemagne, qui ne sera rattaché à la France qu’à la suite du traité de Lyon de 1601.   

   Un monument en mémoire de Sébastien Castellion a été inauguré en 1926, à Saint Martin du Fresne, en présence de nombreuses personnalités parmi lesquelles Ferdinand Buisson et le pasteur Étienne Giran, ses deux premiers grands biographes. Ce monument endommagé pendant la Seconde guerre mondiale a été restauré en 1953. Nous ne savons pas comment Sébastien Castellion est arrivé à Lyon, la Florence française, à l’âge de vingt ans. Nous ne sommes pas davantage informés sur la jeunesse de notre futur humaniste ni sur l’instruction première qu’il a reçue . Nous savons seulement qu’il demande à son père de ne plus lui envoyer d’argent car il est devenu le précepteur de trois jeunes gens d’une famille de la noblesse lyonnaise qu’il accompagne au prestigieux collège de la Trinité, fondé par l’échevin Symphorien Champier où Barthélemy Aneau, ancien élève à Orléans du luthérien Melchior Wolmar, l’ancien professeur de grec de Jean Calvin, enseigne la rhétorique.

De l’humanisme à la Réforme

   Lyon est célèbre pour ses quatre foires annuelles qui font de la capitale des Gaules non seulement un carrefour commercial européen, mais aussi un centre intellectuel où s’affrontent toutes les idées. Le libraireéditeur Sébastien Gryphe emploie Étienne Dolet comme correcteur, les frères Frellon ont recours à Michel Servet pour relire leurs épreuves. Il y a aussi Jean de Tournes ou Claude Nourry, le premier éditeur du Pantagruel de Rabelais. C’est dans ce cénacle que Sébastien Castellion va acquérir une culture classique exceptionnelle et qu’il passera de l’humanisme à la Réforme. Mais il approfondira l’humanisme plus qu’il ne s’en séparera. Son intérêt pour les belles-lettres et le classicisme est tel qu’il s’excusera plus tard d’avoir été dévoré trop exclusivement par le démon de la poésie. Notons au passage qu’un frère de Sébastien Castellion est devenu imprimeur à Lyon et qu’il a envisagé de réimprimer, avec des annotations de son frère, l’oeuvre de Michel Servet, selon une lettre de Théodore de Bèze à Guillaume Farel en date de 1557. Ceci laisse supposer que la famille de Sébastien Castellion n’a pas été aussi inculte qu’on l’a parfois prétendu. Ami de Calvin à Strasbourg C’est sans doute la lecture de l’Institution de la religion chrétienne de Calvin, qui donne corps à l’expression réformée de la foi, qui a incité Sébastien Castellion à faire le pas décisif et à rejoindre Strasbourg. Dès le printemps de 1540, il est reçu dans la maison même de Calvin qui n’a pas encore épousé Idelette de Bure et a créé à son domicile un véritable séminaire très recherché par les jeunes gens qui envisagent d’entrer dans le ministère pastoral. Castellion sera pendant huit jours seulement pensionnaire chez Calvin où il a remplacé Jacques Sorel, nommé pasteur à Valengin, près de Neuchâtel. Le nouveau venu doit céder la place au domestique de Madame du Verger, une dame de la noblesse française fugitive pour cause de religion. Castellion s’installe dans le voisinage. En juillet 1540, il revient huit jours chez Calvin pour soigner son domestique gravement malade, pendant que son maître assiste à la diète de Haguenau, et vient en aide à la famille de Calvin pendant le séjour de celui-ci à la diète de Ratisbonne, alors qu’une épidémie de peste ravage Strasbourg. Calvin l’en a remercié dès leur première

« Voici donc la raison qu’il y a de douter : tenir l’incertain pour certain et ne pas avoir le moindre doute à son égard est chose téméraire et pleine de péril ; personne ne le niera. Or, il y a dans la religion des choses incertaines et obscures ; donc ne pas douter de ces choses est plein de péril. Qu’il y ait en effet des choses incertaines, est-il besoin que je l’établisse ? Cela ressort assez clairement de ces livres innombrables, de ces discussions et de ces querelles quotidiennes et perpétuelles entre les hommes les plus distingués et les plus doctes. Car il est clair qu’ils ne disputent pas de choses certaines et éprouvées, à moins que d’avoir perdu l’esprit. »

Sébastien Castellion, De l’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir, ch. XVIII.

   C’est sans doute la lecture de l’Institution de la religion chrétienne de Calvin, qui donne corps à l’expression réformée de la foi, qui a incité Sébastien Castellion à faire le pas décisif et à rejoindre Strasbourg. Dès le printemps de 1540, il est reçu dans la maison même de Calvin qui n’a pas encore épousé Idelette de Bure et a créé à son domicile un véritable séminaire très recherché par les jeunes gens qui envisagent d’entrer dans le ministère pastoral. Castellion sera pendant huit jours seulement pensionnaire chez Calvin où il a remplacé Jacques Sorel, nommé pasteur à Valengin, près de Neuchâtel. Le nouveau venu doit céder la place au domestique de Madame du Verger, une dame de la noblesse française fugitive pour cause de religion. Castellion s’installe dans le voisinage. En juillet 1540, il revient huit jours chez Calvin pour soigner son domestique gravement malade, pendant que son maître assiste à la diète de Haguenau, et vient en aide à la famille de Calvin pendant le séjour de celui-ci à la diète de Ratisbonne, alors qu’une épidémie de peste ravaentrevue à Genève où Castellion est appelé comme régent des écoles. Après bien des hésitations sur le choix de l’homme adéquat, le conseil de Genève décide de faire appel à Sébastien Castellion comme régent du collège sur la proposition de Guillaume Farel, le grand recruteur de la Réforme française. Calvin donne son accord. Il aurait préféré le retour de son ancien maître Mathurin Cordier, le premier à avoir eu l’audace de donner des cours en français et non plus exclusivement en latin, mais les autorités de Neuchâtel n’ont pas accepté de le laisser partir. À Strasbourg, point de rencontre à ce moment-là des idées nouvelles et des inf luences les plus bénéfiques de l’Allemagne, de la Suisse, de la France et de l’Italie, Sébastien Castellion est à l’école de la tolérance qui dominera toute sa vie, ainsi que sous l’influence de Jean Sturm, fondateur et organisateur du célèbre gymnase qui avait alors un programme scolaire comme il n’en existait nulle part ailleurs.ge Strasbourg. Calvin l’en a remercié dès leur première entrevue à Genève où Castellion est appelé comme régent des écoles. Après bien des hésitations sur le choix de l’homme adéquat, le conseil de Genève décide de faire appel à Sébastien Castellion comme régent du collège sur la proposition de Guillaume Farel, le grand recruteur de la Réforme française. Calvin donne son accord. Il aurait préféré le retour de son ancien maître Mathurin Cordier, le premier à avoir eu l’audace de donner des cours en français et non plus exclusivement en latin, mais les autorités de Neuchâtel n’ont pas accepté de le laisser partir. À Strasbourg, point de rencontre à ce moment-là des idées nouvelles et des inf luences les plus bénéfiques de l’Allemagne, de la Suisse, de la France et de l’Italie, Sébastien Castellion est à l’école de la tolérance qui dominera toute sa vie, ainsi que sous l’influence de Jean Sturm, fondateur et organisateur du célèbre gymnase qui avait alors un programme scolaire comme il n’en existait nulle part ailleurs.

Le pédagogue hors pair des Dialogues sacrés

Le collège de Genève dont Sébastien Castellion devient le régent est semblable au gymnase de Strasbourg avec des variantes notables. À Genève on ne néglige pas la langue maternelle. On étudie progressivement le latin, le grec et même l’hébreu. Mais le culte du latin est moins exclusif qu’ailleurs. Les prières sont dites en français, le chant des psaumes est introduit. L’établissement que dirige Castellion tient à la fois de l’école, de la famille et de l’Église. L’enseignement est celui de la Renaissance, mais l’éducation est celle de la Réforme. Sébastien Castellion prend ses fonctions en juin 1541 et est confirmé dans ses responsabilités en avril 1542. Il reçoit 450 florins par an avec l’obligation de payer lui-même deux bacheliers (sous-maîtres) dont l’un d’eux, Pierre Mossard, épousera sa soeur Étiennette. Indépendamment de son poste de directeur de collège, il est tenu de prêcher à Vandoeuvres, paroisse voisine de Genève. La grande innovation de Sébastien Castellion est manifestement la publication à partir de 1542 de ses quatre Dialogues sacrés. Pour l’apprentissage du latin, on disposait de textes grammaticaux avec des dialogues entre les élèves à propos de leur vie scolaire. Le livre I des Dialogues sacrés a été réédité chez Droz en 2004. Ses trois premiers livres concernent l’Ancien Testament, le quatrième concerne le Nouveau Testament et paraîtra deux ans après le départ de Genève de l’auteur. Ces livres de classe sont destinés aux plus jeunes élèves. Charles Novier n’a pas hésité à dire : « Le bon Castellion était sous plus d’un rapport le Fénelon des protestants. » Le succès des Dialogues sacrés a été tel que cet ouvrage a contribué nonseulement à apprendre le latin à toute l’Europe protestante avec plus de cinquante éditions au XVIe siècle et de nouvelles réimpressions jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, mais qu’il a été plagié par l’Europe catholique. Certains pédagogues peu scrupuleux sont allés jusqu’à rééditer l’ouvrage sous leur propre nom. On a comparé les Dialogues sacrés à l’Epitome historiae sacrae (1784) de Charles Lhomond, le fameux auteur du De viris illustribus urbis Romae. Sébastien Castellion, pratiquement inconnu en France, a été considéré comme le précepteur de l’Allemagne. Plus encore qu’un manuel de latin, les Dialogues sacrés sont un livre d’éducation protestante. Le livre I, qui va de la chute d’Adam à Samson, comporte le texte latin dans un style à la fois simple et élégant, presque cicéronien, et sur la page d’en face la traduction française. Il y a peu de livres scolaires qui aient eu dans le monde moderne une aussi longue fortune. Les Dialogues sacrés sont parfois très en avance sur leur temps. Ainsi la résistance à la tyrannie n’est pas présentée seulement comme un droit, mais comme un devoir.

Après avoir rappelé que « les publicains et les courtisanes » devinrent chrétiens :

« La plupart des questions qui divisent et déchirent aujourd’hui l’Eglise leur étaient parfaitement étrangères ; ils n’en avaient pas même entendu parler. Et de même aujourd’hui il n’est pas de meilleurs chrétiens que ceux qui, peu tourmentés par les subtilités de ces questions, sont attachés à leur devoir selon les préceptes du Christ. J’ai eu faim, j’ai eu soif et vous m’avez rassasié, ou vous ne l’avez fait (Mt 25, 35 et ss.), C’est ici la fin de toute dispute théologique. C’est ici l’accord de toutes les controverses, et bienheureux ceux qui s’y préparent. »

Castellion, De l’art de douter et de croire, …, ch. XX.

   Sébastien Castellion est apprécié à Genève en tant que pédagogue alors qu’il n’a que 26 ans ; c’est à ce moment qu’il épouse Huguine Paquelon, fille d’un couturier dauphinois reçu bourgeois de Genève en 1521. Notre régent d’école emploie ses rares moments de liberté à préparer une traduction française du Nouveau Testament qu’il envisage de faire paraître chez Jean Girard. Calvin ne voit pas d’un bon oeil cette initiative qu’il qualifie de fantaisiste. Il ne veut pas empêcher l’impression de la traduction, mais il tient à la corriger. Castellion s’y refuse, mais accepte de venir en discuter avec Calvin qui ne veut pas de lui à des rendez-vous. Castellion doit renoncer provisoirement à son projet. L’année 1542 est tragique à la suite d’une épidémie de peste. Castellion offre ses services pour assurer l’aumônerie de l’hôpital. Tous les pasteurs sollicités se désistant, à l’exception de Pierre Blanchet qui y laissera la vie, Castellion pose sa candidature au ministère pastoral de plein exercice qui est, en principe, acceptée. Il doit au préalable comparaître devant « la vénérable compagnie des pasteurs » où Calvin impose sa volonté. Celui-ci n’est pas un dictateur puisqu’il ne dispose pas de la force publique et même qu’il n’aura le droit de bourgeoisie qu’en 1559, cinq ans avant sa mort. Mais son ascendant par sa seule parole est tel que, malgré ses opposants, il aura toujours le dessus sur ses adversaires tant sur le plan de la vie de la cité que celui de la vie de l’Église. En se rendant indispensable aux yeux des conseils, il règne de fait avec une main de fer sur Genève, guidé par la certitude d’accomplir la volonté divine par la lecture de la Bible dont il a tendance à confondre l’autorité avec celle de son interprétation personnelle.

     Sébastien Castellion va soutenir des thèses qui n’auront pas l’aval du tout puissant réformateur. Il ne considère pas le Cantique des cantiques comme une allégorie dépeignant l’amour du Christ pour l’Église, mais comme un chant d’amour profane et même « lascif et obscène », ce qui est sans doute excessif. En remettant en question la présence de ce livre dans le canon (le seul livre de l’Ancien Testament que Calvin n’ait jamais commenté !), il ouvre une brèche qui pourrait donner à d’autres le désir de retirer du canon d’autres écrits bibliques. Après tout Luther, lui-même, n’a-t-il pas dit que l’Épître de Jacques était une épître de paille. En outre Sébastien Castellion interprète d’une autre manière que Calvin la descente du Christ aux enfers dans le Symbole des apôtres. Pour Castellion, le Christ est descendu aux enfers pour en faire remonter ceux qui s’y trouvaient et en fermer les portes ; pour Calvin le Christ sur la croix a connu les affres de la souffrance portées au paroxysme. Castellion refuse de voir dans cette descente un simple « frisson de conscience ». En un sens l’interprétation allégorique de Calvin est plus libérale que celle de Castellion qui prend à la lettre la descente mythologique du Christ aux enfers dont la prétendue existence ne pourrait que soulever le problème de la bonté de Dieu. Lors de sa controverse avec Pierre Caroli, Calvin a refusé, dans un premier temps, de signer le Symbole des apôtres car il ne mettait pas sur le même plan l’autorité souveraine des Saintes Écritures et l’autorité relative de la tradition de l’Église. « La foi, dit-il dans l’Institution de la religion chrétienne, gît en la connaissance des Saintes Écritures et non en la révérence de l’Église. » Il a finalement accepté de signer le Symbole des apôtres car on lui a démontré qu’il s’agissait d’un résumé de l’Écriture, ce qui semble bien difficile à soutenir puisqu’il n’est même pas question des Écritures dans le Symbole dit des apôtres. Certes Calvin a convenu qu’il s’agissait là de points secondaires. Aucun des deux antagonistes ne voudra céder. C’est l’opposition séculaire entre l’autorité doctrinale et la liberté d’examen. Lorsque l’affaire vient devant le petit conseil en 1544, le procès-verbal indique que Calvin estime que Sébastien Castellion est « bien savant homme, mais qu’il a quelque opinion dont il n’est capable pour le ministère ». Il est invité ensuite à se contenter de ses gages et à mieux veiller sur ses écoliers. Castellion demande qu’on accepte sa démission. Le conseil ne veut pas prendre parti dans la discussion théologique qui l’oppose à Calvin. Castellion sollicite alors des pasteurs de Genève une attestation qui explique les raisons pour lesquelles il n’a pas été admis au pastorat. Les ministres de l’Église de Genève, sous la signature de Jean Calvin, lui-même, lui remettent un long certificat où il est dit qu’il a été jugé digne à l’unanimité d’exercer les fonctions de pasteur, mais qu’un obstacle s’y est opposé avec son rejet d’un livre biblique du canon . Enfin l’attestation insiste sur le fait qu’il a rempli avec une entière satisfaction les fonctions de directeur du collège, qu’il a été jugé digne du Saint Ministère, qu’il n’y a aucune tache dans sa vie, qu’il n’a soutenu « aucune doctrine impie sur un point capital de la foi ». Calvin insiste habilement sur le fait qu’il ne blâme pas les Églises qui admettent une autre interprétation, mais que son seul souci est d’empêcher les inconvénients qui naîtraient de la diversité des explications, ce qui serait un exemple dangereux. En demandant ce qui semble une simple concession doctrinale afin d’éviter « la confusion dans l’esprit des fidèles », il refuse tout pluralisme théologique. Nous mettons ici le doigt sur un point essentiel. La réforme de la Réforme est toujours à entreprendre. On ne peut maintenir l’union entre chrétiens au détriment du respect de la conscience. Sébastien Castellion part de Genève pour Lausanne avec une lettre de recommandation de Calvin qui va jusqu’à écrire au réformateur Pierre Viret : « Sébastien Castellion m’inspire une grande compassion, d’autant plus que je crains qu’il ne trouve pas là-bas ce qu’il désire. Vous à Lausanne, dans la mesure où vous le pourrez, aidez-le. » Malheureusement pour Castellion, toutes les places de régent d’école sont pourvues à Orbe, à Lausanne, à Neuchâtel. Il revient à Genève qu’il quitte définitivement en 1545, non sans une aigreur bien compréhensible, pour se rendre à Bâle où Oporin lui a promis un emploi dans son imprimerie.

Les années de souffrance   

   Castellion dénonce publiquement l’attitude des pasteurs de Genève. Dans une phrase cinglante, il assure qu’ils sont davantage à leur service qu’au service de leur prochain. Calvin le traite de chien. Voltaire n’a sans doute pas tort de penser que Castellion était « homme plus savant que lui » et qu’il en était peut-être jaloux. En revanche il ne l’a pas fait chasser de Genève. Castellion est parti de son plein gré. Sa première préoccupation à Bâle est de traduire la Bible en latin et en français. Pour subvenir aux besoins des siens, il se livre aux travaux manuels les plus pénibles et les moins bien rétribués jusqu’à arrêter les troncs d’arbres que, dans ses crues subites, le Rhin charrie. Sa femme meurt en lui donnant un fils. Un second mariage lui donne quelque tranquillité d’esprit. « J’entends, écrit Montaigne dans ses Essais (livre I, chapitre 35), avec une grande honte de notre siècle, qu’à notre vue deux excellents personnages en savoir sont morts, en état de n’avoir pas leur saoul à manger. Lilius Gregorius Giraldus en Italie et Sebastianus Castellio en Allemagne ; et crois qu’il y a mille hommes qui les eussent appelés, avec de très avantageuses conditions, ou secourus où ils étaient, s’ils l’eussent su. » Mais malheureusement ils ne le savaient pas ! Amerbach, le grand jurisconsulte de la Renaissance, lui confie l’éducation de son fils Basile. Castellion lui dédie ses Dialogues grecs destinés aux commençants. Pour répondre au reproche d’utiliser des méthodes trop simples, il écrit dans sa préface que pour être à la portée des enfants « il ne rougirait de rien, pas même d’aller à cheval sur un bâton ».

Les deux traductions de la Bible

   En 1551 Castellion peut annoncer la parution de sa Bible latine qui est un événement considérable. Tout le monde commence à s’intéresser à lui. Il prend ses grades de maître ès-arts et est nommé professeur de grec à l’université de Bâle. Richard Simon, le pionnier de l’exégèse moderne catholique, dans son Histoire critique du Vieux Testament (1678), fait l’éloge de cette version latine de la Bible dont beaucoup jusque-là en négligeaient la lecture « parce qu’ils en trouvaient le style trop lourd et trop obscur ». Castellion sera parfois accusé d’avoir un style trop cicéronien. Il dédie sa traduction au jeune roi d’Angleterre Edouard VI. Dans la préface, il exhale son indignation contre les persécutions exercées au nom de la religion, bien avant l’affaire Servet. La Biblia sacra latina est le fruit de 10 ans de travail intense. Son amour, peut-être excessif du bon latin, est à l’origine du reproche de Richard Simon (qui le tient, par ailleurs, en haute estime pour ses connaissances linguistiques), de ne pas assez garder le caractère d’un interprète des livres sacrés et, en affectant un style joli et élégant, d’affaiblir parfois le sens des textes. Des mots comme baptismus, angelus, ecclesia, synagoga sont remplacés par des expressions moins claires telles que lotio, genius, respublica, collegium. La Bible latine de 1551 a eu plusieurs éditions. La dernière, revue par l’auteur en 1556, corrige plusieurs de ces locutions maladroites. Dans l’ensemble l’intention profonde de Castellion est basée sur la fidélité et la clarté. Il faut transmettre le message biblique dans toute sa richesse.

La traduction la plus discutée et la plus admirée

   Si la Bible latine de Castellion a connu un succès certain avec des rééditions jusqu’au XVIIIe siècle, la Bible française, dédiée au roi Henri II, n’aura qu’une seule édition de son vivant. Elle sort en 1555 chez Jean Hervage à Bâle. Le titre exact en est « La Bible nouvellement translatée, avec la suite de l’histoire depuis le temps d’Esdras jusqu’aux Maccabées, et depuis les Maccabées jusqu’à Christ, Item avec des annotations sur les passages difficiles, par Sébastian Chateillon, hérétique ». Castellion n’a pas pris son éditeur habituel Oporin qui n’imprimait pas d’ouvrages en français. Henri Estienne se moquera de cette traduction qu’il estime être à l’usage des gueux. Si la traduction latine de

Après avoir montré à propos de la cène que l’on ne peut pas y manger le corps du Christ sur la terre puisqu’il est monté au ciel : « On attribuera alors à l’esprit du Christ, en vertu d’une similitude , le nom de chair et de sang, de la même manière qu’on attribue à Dieu même des yeux, des mains et des pieds, bien qu’il soit pur esprit et que tous ces membres soient étrangers à sa nature. Ainsi toutes les absurdités seront écartées, ce sera la fin de toute controverse, et tout homme animé d’une pensée religieuse verra clairement dans quel sens il mange le Christ en esprit et en vérité, c’est-à-dire spirituellement et véritablement. Assez de raison : mettons un terme au combat. »

Castellion, De l’art de douter et de croire, …, ch. XLIV. (Il s’agit là des dernières lignes de ce livre)

Castellion s’adresse à un public cultivé, il n’hésite pas à dire que sa version française est destinée aux « idiots », c’est-àdire aux simples particuliers, à des personnes modestes. Il s’agit de mettre la Bible à la portée de tous, ce qui est un grand principe de la Réforme. Calvin et Th. De Bèze sont très durs lorsqu’ils évoquent cette traduction. Une nouvelle traduction était-elle alors nécessaire ? La Bible de Lefèvre d’Étaples avait été éditée à Anvers en 1530. On pense qu’elle émane probablement d’un collectif d’humanistes qui comprennent Vatable et G. Roussel. La Bible d’Olivétan est éditée à Neuchâtel en 1535 par Pierre de Vingle. Nous pourrions dire aujourd’hui que la Bible de Castellion est la première traduction en français courant. Castellion écarte les tournures hébraïques, grecques ou latines et s’efforce d’écrire dans une langue accessible au peuple. N’oublions pas qu’en 1555 le français, en tant que langue écrite, n’est pas encore fixé. Sans doute Castellion abuse de néologismes d’une manière qui n’est pas toujours heureuse. Il parle de brûlage pour holocauste, f lairement pour odorat. « Miséricorde fait la figue au jugement » (Jc 2, 13). Pierre Bayle qui prendra plus tard sa défense n’a trouvé que cette expression qui laissait à désirer. Il est vrai que son français est celui d’un homme de la rue, teinté parfois de patois bressan de même que celui d’Olivétan et de Calvin est parfois influencé par le dialecte picard. O. Douen, le grand spécialiste de l’histoire des traductions en français de la Bible, est allé jusqu’à affirmer que « la Bible de Castellion est en réalité la première traduction vraiment française de l’Écriture Sainte ». On peut aussi noter les tentatives de notre traducteur pour travailler la langue afin qu’elle soit toujours plus accessible, p our p olir le style et l’adapter au genre littéraire des divers livres de la Bible. Enfin Castellion a un recours direct aux textes originaux sans passer par une tradition de transmission. L’insertion de passages tirés de l’historien Flavius Josèphe, en raison de leur valeur documentaire, a surpris les biblistes et déclenché les foudres de ses adversaires. En 2005 les éditions Bayard ont fait une fort belle réédition de la Bible de 1555 avec introduction et notes. La librairie Droz en 2003 avait déjà réédité le livre de la Genèse.

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