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Sébastien Castellion et l’affaire Servet

Castellion pourvu d’un traitement mensuel de soixante florins à l’université de Bâle aurait pu vivre enfin paisiblement, à l’abri des soucis matériels, et se livrer aux travaux d’érudition qui lui tenaient à coeur, lorsqu’est survenue la douloureuse affaire Servet qui se termine le 27 octobre 1553 par la mort de l’infortuné médecin espagnol sur le bûcher de Champel.

   La collusion entre l’Inquisition catholique et les autorités genevoises ne fait aucun doute. Il s’agit là d’une page noire dans l’histoire de la Réforme que le monument expiatoire édifié à Champel n’effacera jamais. Poursuivi par l’Inquisition pour hérésie, Michel Servet réussit à s’évader de la prison de Vienne, en Dauphiné, où il est médecin de l’évêque. Ayant commis la grande imprudence de passer par Genève, il est reconnu et arrêté. Calvin a malheureusement écrit à son sujet en 1546 à son ami Farel : « S’il vient (à Genève) je ne souffrirai pas, pour peu que j’y ai quelque crédit, qu’il en sorte vivant. »

   Héritiers du Moyen-Âge, les hommes de la Renaissance et de la Réforme pensent pour la plupart que l’hérésie est le crime le plus grave car il est plus dangereux de perdre l’âme que de tuer le corps. Si ce point de vue est quasi général, remarquons que plusieurs voix isolées se sont élevées, non pour approuver nécessairement les idées du savant aragonais qui ne manquaient pas d’originalité, voire de bizarrerie, mais pour contester le droit de punir les hérétiques au lieu de chercher à les convaincre. Des protestations vont s’élever d’un peu partout, notamment de Bâle. Calvin va éprouver le besoin de se justifier en publiant en latin, puis en français une « Déclaration pour maintenir la vraie foi que tiennent tous les chrétiens de la Trinité des personnes en un seul Dieu contre les erreurs détestables de Michel Servet Espagnol. Où il est ainsi montré qu’il est licite de punir les hérétiques et qu’à bon droit ce méchant a été exécuté pour la justice en la ville de Genève ». Le dernier feuillet porte la liste de quatorze pasteurs qui approuvent le livre qui est immédiatement envoyé à travers la Suisse.

   Nicolas Zurkinden, le chancelier de Berne, et le réformateur Musculus, alors pasteur à Strasbourg, font savoir qu’il préfèrent la persuasion au glaive. Mais l’opposition la plus catégorique est venue de Bâle. Un mois seulement après le livre de Calvin, une réponse paraît en latin, datée de Magdebourg (mars 1554), et quelques semaines plus tard une autre en français intitulée Traité des hérétiques, à savoir si on doit les persécuter et comment on doit se conduire avec eux… (Rouen, 1554). Chacune comporte une préface de Martinus Bellius (Martini bellu signifie guerre à la guerre) et une conclusion par Basile Montfort. Malgré les précautions prises pour détourner les soupçons, Calvin et Th. De Bèze ne manquent pas d’attribuer la paternité de ces deux textes à Sébastien Castellion.

   La réaction de Calvin a été d’une extrême violence. Il publie en latin chez Robert Estienne son Anti-Bellius, traduit en français par Nicolas Colladon. Castellion publie un nouvel ouvrage Contre le libelle de Calvin dont l’impression n’aura lieu en Hollande qu’en 1612.

   Il s’agit d’une sorte de florilège d’auteurs anciens et nouveaux pour établir qu’une vie chrétienne authentique vaut mieux que l‘adhésion à certains dogmes et qu’à l’instar du Christ nous devons nous servir d’armes spirituelles dans la lutte pour la vérité. Le livre marque une étape importante dans l’histoire de la tolérance. Un vif débat est imaginé entre Calvin et l’un de ses adversaires théologiques qui prend le nom de Vaticanus, peut-être pour signifier qu’un catholique large d’esprit pourrait se sentir proche de la Réforme sous sa forme libérale. L’idée principale du Contre le libelle de Calvin est qu’on accorde à tous la liberté de parler et d’écrire ; on verra très vite quelle est la puissance de la vérité lorsqu’elle est libérée. L’article 77 de l’ouvrage résume la question sous une forme lapidaire qui a même retenu l’attention des détracteurs de Castellion : « Tuer un homme ce n’est pas défendre une doctrine, c’est tuer un homme. »

   Si le magistrat n’a pas à se prononcer sur les questions dogmatiques, l’Église en revanche peut exercer le droit d’excommunier. Cette insistance quelque peu inquiétante de Castellion lui-même sur ce point semble lourde de conséquence pour un théologien qui se réclame de la tolérance. Faisant allusion à Hyménée et Philète qui, selon l’apôtre Paul, se sont écartés de la vérité en disant que la résurrection est déjà arrivée et ont été livrés à Satan afin de leur apprendre à ne pas blasphémer, Castellion soutient assez laborieusement, et d’une manière qui n’est pas du tout convaincante, à partir de I et II Timothée, que l’excommunication est possible non pour cause d’hérésie, mais pour cause d’obstination (pertinacia dans le texte latin) dans l’hérésie. La tolérance n’est pas seulement une conséquence de l’obscurité de certains passages bibliques qui sont sujets à des interprétations fort diverses, mais un sentiment d’humanité issu de la méditation de l’Évangile, en particulier du Sermon sur la montagne.

   C’est seulement en 1938 que Bruno Becker, le seiziémiste bien connu, a découvert dans la bibliothèque de l’Église des Remonstrants de Rotterdam, deux manuscrits, l’un en latin, l’autre en français, qui constituent l’ultime réponse de Castellion à Calvin et à Théodore de Bèze. La fin du texte latin, écrit de la main même de Castellion, est datée du 11 mars 1555. Le texte français, du moins en sa première partie, a été corrigé par l’auteur lui-même. Ils n’ont malheureusement été publiés l’un et l’autre qu’en 1971, chez Droz à Genève, sous le titre De l’Impunité des Hérétiques. Les deux grands biographes français de Castellion, Ferdinand Buisson et Étienne Giran, n’ont donc pas eu accès à ce double texte capital qui montre à la fois combien Castellion a été un pionnier, mais aussi quelles sont les limites qu’il fixe lui-même à la tolérance.

   Chacun de nous, même le plus compréhensif et le plus sensible à la défense des libertés, met des bornes à sa conception de la tolérance. Ce thème est d’une actualité criante. Peutêtre oserai-je dire qu’il a en chacun de nous un intolérant qui sommeille ! Nous avons tous des présupposés théologiques, philosophiques ou sociaux qui nous inclinent sur cette pente fâcheuse. Sans doute est-il utile de les connaître si nous voulons savoir qui nous sommes ? Cet exercice de maïeutique socratique ne peut que nous être profitable. Le magistrat, symbole de l’autorité civile, pense Castellion, doit s’abstenir de juger les chrétiens et les turcs, qui ont une avance sur les juifs, dans la mesure où ils reconnaissent en Jésus un messie, mais en revanche il peut punir les transgresseurs de la religion naturelle puisqu’elle a été gravée dans les coeurs. Castellion traduit ainsi Jérémie 31,33 : « Je leur mettrai ma loi au ventre et la leur écrirai au coeur : je serai leur Dieu et eux mon peuple. »

   Tout homme peut donc accéder à la connaissance naturelle de Dieu. Castellion prône donc la libre croyance, mais rejette la libre pensée. Les transgresseurs de la loi naturelle peuvent être punis. Les païens ne possèdent pas la loi de Moïse, mais ils ont la possibilité de faire actuellement ce que la loi commande puisqu’elle est gravée dans les coeurs de tous les hommes. Nier Dieu, sa toute puissance, sa bonté n’est pas une hérésie, mais un blasphème. Le magistrat doit punir les blasphémateurs non à cause de leur religion, mais de leur irréligion. En revanche la loi naturelle ne nous renseigne pas sur certains points de la doctrine chrétienne, qui sont donc en dehors de la compétence du magistrat, tels que la Trinité, le baptême des enfants, le purgatoire, la prédestination.

   L’autre limitation de la tolérance chez Castellion concerne les apostats. Quand on devient chrétien, on est prié de le rester. Rappelons que, pour Castellion, le châtiment suprême pour cause de religion est le bannissement et qu’il s’oppose à la peine de mort. Il faudra attendre Pierre Bayle (1647-1706) pour que soit reconnu et revendiqué le droit à l’erreur. C’est seulement avec le siècle des Lumières que la nécessité de la liberté religieuse est affirmée. Comment ne pas citer ici les célèbres propos de Jean-Paul Rabaut Saint-Étienne (1743-1793) à l’Assemblée constituante : « Ce n’est pas la tolérance, que je réclame, c’est la liberté. La tolérance ! le support ! le pardon ! la clémence ! idées souverainement injustes envers les dissidents, tant qu’il sera vrai que la différence de religion, que la différence d’opinion n’est pas un crime. La tolérance !… Je demande qu’il soit proscrit à son tour, et il le sera, ce mot injuste qui ne nous présente que comme des citoyens dignes de pitié, comme des coupables auxquels on pardonne. »

   En 1558 Castellion traduit la théologie germanique, une oeuvre mystique qui a profondément marqué Luther, en la faisant précéder d’une importante introduction. En 1562, au début des huit guerres de religion qui ont épuisé la France et réduit considérablement l’importance sociologique du protestantisme français, il publie son Conseil à la France désolée (réédité par Droz, Genève 1967). Il n’est pas prouvé qu’il en soit l’auteur. Il a luimême déclaré ne pas l’être, peut-être pour des raisons de sécurité. Si Théodore de Bèze s’est toujours montré très partial et même fort injuste envers Castellion et est allé jusqu’à le calomnier, il n’a pas entièrement tort d’avoir exprimé des réserves à propos de cet ouvrage. L’auteur, maintenant reconnu de l’Histoire ecclésiastique des Églises Réformées, connaissait infiniment mieux que quiconque la situation des Églises de la Réforme en France. Castellion, s’il est bien l’auteur du livre en question, oublie que l’on ne peut pas présenter la situation religieuse en France dans la seconde moitié du XVIe siècle comme s’il y avait face à face deux camps de force à peu près égale. Après 38 ans de persécution de 1523 à 1562, on ne peut reprocher aux réformés français d’avoir pris les armes pour assurer leur survie, alors qu’ils ne représentent guère plus d’un dixième de la population du pays et qu’ils n’ont pu se maintenir que par le jeu des alliances avec les catholiques modérés, le parti des politiques et parfois une aide étrangère. L’Édit de Nantes de 1598 sera la conclusion de 36 ans de luttes pendant lesquelles les Églises Réformées vont perdre les deux tiers de leurs effectifs. L’auteur du Conseil à la France désolée semble ne pas avoir compris la situation géo-politique de son temps. En revanche, son idéal très élevé ressort bien de son ultime recommandation : « Le conseil que je te donne, ô France, c’est que tu cesses de forcer consciences et de persécuter […] qu’il soit loisible à ceux qui croient en Christ de servir Dieu selon la foi non d’autrui, mais la leur ! »

   Le « De arte dubitandi et confitendi, ignorandi et sciendi » (L’art de douter et de croire, d’ignorer et de savoir) est la dernière oeuvre de Castellion. C’est à la fois un chant du cygne et un testament théologique et spirituel. Le manuscrit se trouve à la bibliothèque de la ville de Rotterdam. Le texte a été réédité en latin, dans Studies in Medieval and Reformation Thought, J. Brill (Leiden, 1981). La première traduction complète de cette oeuvre capitale a été effectuée par Charles Baudoin, relayé par Pierre Raymond pour les chapitres qui portent sur la justification (Éditions Jeheber, Genève-Paris, 1953). Cette excellente traduction a été publiée de nouveau aux Éditions « La Cause » en 1996 avec une introduction et une table des matières analytique du soussigné.

   Sans avoir l’ampleur et le caractère systématique de l’Institution de la religion chrétienne de Calvin, L’Art de douter et de croire est un véritable traité de dogmatique chrétienne, un exposé de la foi qui constitue une oeuvre d’avant-garde ; elle sera saluée comme telle par les sociniens (disciples et successeurs de Socin) qui sèmeront les idées nouvelles qui auront une grande influence sur la théologie la plus ouverte au XVIIIe siècle. À l’origine du socinianisme, d’assez nombreux savants italiens sous l’inf luence de Lelio Socin, puis de son neveux Fausto Socin (1539-1604), animés par l’esprit de la Renaissance, modifient entièrement certains dogmes (trinité, christologie, sacrements) en s’appuyant sur les Saintes Écritures. Chassés d’Italie en Suisse, de Suisse en Pologne, ils trouvent refuge en Transylvanie et aux Pays- Bas, où ils ont créé des Églises qui subsistent toujours. Ils sont proches des arminiens qui ont contesté à la suite d’Arminius (1560-1609), la doctrine de la prédestination, et ont été condamnés par le Synode de Dordrecht en 1618. Les canons de Dordrecht, qui ont abouti à la déposition de deux cents pasteurs, ont été reçus en France par le Synode d’Alès de 1620. Fort heureusement, Moïse Amyraut*, qui a enseigné à l’Académie réformée de Saumur, a joué un rôle modérateur avec sa théorie de l’universalisme hypothétique. Dieu veut que tous les hommes soient sauvés. Si tel n’est pas le cas, la faute en incombe aux hommes qui font un mauvais usage de la liberté qui leur a été accordée.

   Castellion manifeste une ouverture d’esprit et une audace intellectuelle qui annoncent L’essence du christianisme (1900) de Harnack, plus près de nous la Philosophie de la Religion (1897) d’Auguste Sabatier et Foi et Vérité (1954) d’Auguste Lemaître (rééd. aux Éditions de La Cause, 2004). Il s’agit d’une remise en cause des valeurs spirituelles et théologiques du temps de la réformation, d’une réforme de la Réforme qui doit être permanente.

   L’ouvrage de Castellion commence par un discours de la méthode qui établit une théorie de la connaissance religieuse. « Je me propose avant tout de rechercher ce dont il est bon de douter, à quelle chose il faut croire, ce qu’il est permis d’ignorer, ce qu’on doit savoir. » Le christianisme n’est vrai que dans la mesure où s’impose l’excellence de la conception de la vie qu’il insuffle dans l’âme et dans l’esprit de ceux qui la professent. Ce qui constitue la grande originalité du réformateur de Bâle, c’est à la fois son étonnante indépendance d’esprit, sa curiosité intellectuelle et son inébranlable foi en l’action immanente de Dieu qui, par sa providence, attire les hommes, en dépit de multiples apparences contraires, vers la lumière. Les préoccupations spirituelles authentiques, les entreprises généreuses, les efforts pour plus de justice, de beauté et de vérité, les enthousiasmes désintéressés, tout ce qui va dans le sens de l’épanouissement de la vie, sous toutes ses formes, sont des réponses à un appel intérieur qui vient de Dieu.

   Toutes les idées religieuses de Castellion n’entraîneront pas nécessairement l’adhésion des lecteurs d’Évangile et liberté. Reprenant la vieille distinction d’un Joachim de Flore, Castellion suppose trois âges successifs dans l’histoire de l’humanité : l’âge de la Loi, l’âge du Christ et l’âge de l’Esprit. La Loi est extérieure et contraignante, le Christ a révélé aux hommes une loi intérieure et enseigné des vérités spirituelles qui lui ont permis d’accéder à une communion plus intime avec Dieu. Mais cette révélation est encore incomplète. Partant du célèbre passage de l’évangile selon Saint Jean (16,12) où Jésus annonce un autre consolateur, Castellion, qui croit au progrès religieux, affirme que les directions dans l’Esprit de Vérité succèderont aux directions du Christ des évangiles pour conduire l’humanité encore plus loin et plus haut.

   Nous serons sans doute tous et toutes d’accord avec la conclusion qui termine la première partie de L’Art de douter et de croire : « Si vous avez dans l’âme un assez grand désir de la vérité pour être prêt à la suivre, soit qu’elle cadre ou non avec notre opinion, j’espère que vous trouverez alors quelques lumières de vérité, et assez vives pour que vous en rendiez grâce au Père de toute lumière. »

   Les idées de Castellion sont sorties de l’obscurité quelques années à peine après sa mort. Penseur solitaire, considéré de son vivant comme un doux rêveur ou un dangereux conspirateur, son influence posthume a été considérable. Son rôle pédagogique l’a fait connaître comme le Lhomond de l’Allemagne et de la Suisse. En France, Richard Simon sera le premier à le « mettre à la tête des critiques du Nouveau Testament ». Traducteur de la Bible en latin et en français, champion de la liberté de conscience, théologien fécond, son Art de douter et de croire, comme tous les grands classiques, est d’une prodigieuse actualité. C’est alors qu’il travaillait à son fameux ouvrage De Jésus-Christ Sauveur que Fausto Socin a eu la bonne fortune de lire les manuscrits de Castellion, de s’en inspirer et de faire connaître sa pensée qui va acquérir peu à peu une popularité qu’elle n’a pas connue de son vivant. C’est ainsi qu’ont été tirées de l’oubli une vie indignement méconnue et une pensée puissante et nuancée.

   N’ayons pas la naïveté ou la présomption de croire que les idées les plus fortes et les sentiments les plus fraternels étaient, quelques générations avant nous, inaccessibles à l’esprit humain. Ce serait une erreur philosophique et historique. Toutes les grandes causes ont eu des précurseurs. L’oeuvre de Castellion suscite toujours aujourd’hui des désapprobations et des réserves. C’est le signe d’une pensée stimulante. Le dernier point sur la question a été fait par Hans R. Guggisberg dans un ouvrage essentiel publié en allemand à Göttingen en 1997 et qui n’est pas encore traduit en français. Malgré les efforts de ses détracteurs, Castellion a fini par faire école. Déjà le 1er novembre 1557, Philippe Mélanchthon, l’ancien bras droit de Luther, n’hésite pas à lui écrire de Worms : « En voyant les horribles malentendus entre ceux qui se donnent pour les amis de la sagesse et de la vertu, je me sens gagné par une immense tristesse. Pourtant à voir votre manière d’écrire, je vous ai toujours estimé […] Plusieurs sont témoins […] des éloges que j’ai souvent faits de vous dans nos conversations entre amis […] Je souhaite qu’une amitié éternelle nous unisse. En déplorant je ne dirai pas les discordes, mais les haines cruelles dont quelques-uns poursuivent les amis de la vérité et de la science prises à ses sources, vous augmentez une douleur que je porte pourtant en moi […] Si je vis, je causerai avec vous de vive voix de bien des choses, car les frémissements des pays de la Baltique me menacent de nouveaux exils. Adieu. »

   Évangélique par les idées, libéral avant la lettre par la méthode, moderne par la tournure d’esprit et le respect qu’il professe pour les idées d’autrui, Castellion n’est pas l’homme d’une Église, d’une caste ou d’une école. Penseur libre et libre croyant, Castellion a sauvé l’honneur de la Réforme, comme l’a si bien souligné Charles Dartigue dans une excellente brochure publiée à La Cause, avant la Seconde Guerre mondiale, et intitulée Un précurseur ignoré : Sébastien Castellion.

   Jusqu’à la fin de sa vie ses adversaires ne désarment pas. Il songe à fuir en Pologne, alors l’asile des adeptes non-conformistes de la Réforme. Sa santé s’est altérée à la suite des privations et d’une surcharge de travail. Il s’éteint le 29 septembre 1563 à l’âge de 48 ans, laissant une veuve et huit orphelins, pris en charge par ses amis. L’université de Bâle lui fait de somptueuses funérailles. Son cercueil est déposé dans le cloître de la Cathédrale. Trois jeunes polonais, ses étudiants, font graver en sa mémoire une plaque de marbre aujourd’hui disparue.

   On a appelé Castellion la chandelle de Savoie. Face aux bûchers de toutes les inquisitions, face à toutes les excommunications et à toutes les exclusions, il n’a été qu’une petite lumière, mais une flamme vive et pure, la flamme de l’esprit qui brûle perpétuellement dans le sanctuaire intérieur qu’est la conscience.

   Indépendamment des travaux d’érudition que nous avons salués un peu vite au passage, nous tenons à rendre hommage au pasteur Jean Schorer, de la cathédrale Saint Pierre de Genève, pour avoir contribué à sortir Sébastien Castellion de l’ombre en incitant le talentueux Stefan Zweig à écrire un Castellion contre Calvin, biographie légèrement romancée, il est vrai, mais qui a attiré l’attention des milieux littéraires sur la noble et courageuse figure du grand penseur d’avant-garde de la Réforme. Il faudrait inscrire au fronton de toutes les églises, de tous les temples, de toutes les synagogues, de toutes les mosquées, de toutes les pagodes, sur les murs de toutes les sacristies et de toutes les salles de conférences : Hominem occidere, non est doctrinam tueri, sed ad hominem occidere : Tuer un homme, n’est pas tuer une idée, c’est tuer un homme.

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À propos Philippe Vassaux

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