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Romans en noir et blanc

Guylène Dubois, responsable de la librairie protestante « Un temps pour tout » (47, rue de Clichy, 75009 Paris), a choisi pour nous deux ouvrages qu’elle a particulièrement appréciés. Des lectures à emporter en vacances….

  Darkroom est le récit de la vie de Lila, argentine, qui débarque avec sa famille dans l’État d’Alabama dans les années 60. Un récit écrit à la première personne, qui pointe cette sensation perçue par l’étranger admis dans un pays d’accueil sans y être unanimement invité. L’auteur donne langue à cette petite fille de 5 ans, puis à l’adolescente et fait intervenir l’adulte devenue consciente du déroulement de l’histoire, et qui donne du sens aux sensations éprouvées : le regard de l’Américain sur son étrangeté, la découverte de la ferveur des Églises protestantes notamment méthodistes, les revendications des noirs américains et le militantisme fervent de Martin Luther King. Cette juxtaposition des deux points de vue – celui de l’enfant avec ses émotions spontanées et celui du narrateur devenu adulte – donne toute la densité à ce récit : « Aux États-Unis, les gens ne savaient pas dans quelle case nous mettre. Nos traits, notre teint typiquement hispanique, nos lèvres charnues ne leur échappaient pas et s’ils ne posaient pas la question, l’expression de leur visage suffisait : vous êtes quoi au juste ? » Ce sont les questions de l’identité, de la violence, de l’engagement qui sont posées ici. La forme du roman graphique dans lequel la narration par les mots tient une place aussi importante que la narration dessinée est remarquablement exploitée. Les dessins, très figuratifs, au crayon noir, sont comme des marques du souvenir crayonnées. Ils expriment ce que les mots suggèrent avec concision, comme la violence d’une pendaison accompagnée du texte suivant : « J’avais entendu beaucoup d’histoires autour du Klan. » Une belle réussite éditoriale où la forme et le fond s’enrichissent mutuellement.

Lila Quintero Weaver, Darkroom. Mémoires en noirs et blancs, Paris, Steinkis, 2013, 251 pages.

 

  Une deuxième histoire en noir et blanc, à Saint- Germain-des-Prés, qui se déroule aussi dans les années 60. Noir est l’étudiant tchadien fasciné par la couleur blanche de sa directrice de mémoire à la Sorbonne. Il ne s’agit pas là d’une quête d’identité par le jeu des différences mais une reconnaissance de mondes intérieurs. Pour Nimrod, écrivain et poète, la littérature et la passion amoureuse sont des passerelles intangibles qui passent au-dessus des différences de surface. L’un et l’autre – l’étudiant, qui a transféré sa bibliothèque de l’Afrique en France, et l’universitaire – se reconnaissent mutuellement à travers la littérature. « Cette vie agglomérée en savoir de papier qu’on appelait livres représentait l’intimité de chacun de nous. » Mais la littérature malgré sa force d’union, ne le comble pas, et ce sont les mots d’Aimé Césaire sur la négritude et sa rencontre avec Zouna l’Algérienne qui le bouleversent. Ce roman nous interroge sur le lieu où se loge l’identité et comment elle se fait jour, précisément dans l’exil et la rencontre amoureuse. Questionnant et envoûtant.

G. D. Nimrod, Un balcon sur l’Algérois, Arles, Actes sud, 2013, 173 pages.

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À propos Guylène Dubois

entrée au comité de rédaction en 2014, fut bibliothécaire puis libraire. Elle travaille aujourd’hui dans l’univers radiophonique.

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