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Quand la ville devient le monde

Selon un rapport de l’ONU, publié en juin dernier et consacré à la population urbaine, dès cette année, et pour la 1re fois dans notre histoire, un habitant de la planète sur deux vit dans les villes et c’est là que l’essentiel de la dynamique démographique mondiale se tient désormais.

L’évolution de la population mondiale se traduit d’abord par un nombre élevé de très grandes villes : des dizaines d’agglomérations dépasseront de loin les dix millions d’habitants, même si, depuis quelque temps, la population de très grandes conurbations connaît un reflux. Il y aura surtout un réseau de plus en plus dense de villes moyennes et moyennes-grandes (entre cinq cent mille et deux millions d’habitants) ; la seule Chine par exemple aura bientôt plus de deux cents villes de plus d’un million d’habitants. Et ces villes posent un problème spécifique : elles n’ont généralement pas les structures, les compétences et les moyens de faire face aux problèmes de l’urbanisation très rapide qui caractérise notre époque.

Parmi les problèmes les plus urgents, la pauvreté prend dans les villes des proportions inégalées : plus d’un milliard d’hommes et de femmes vivent dans ce que les experts appellent des taudis, avec des conditions de logement, de santé et de salubrité d’une extrême précarité ; sans doute ces caractéristiques s’appliquent principalement aux mondes sous-développés et émergents – on y reconnaît les favelas, les bidonvilles des métropoles africaines ou indiennes –, mais on les rencontre aussi dans les villes d’Occident.

La pauvreté côtoie – parfois à distance de précaution – la richesse. La grande ville d’aujourd’hui se caractérise par des asymétries et des discontinuités territoriales qui favorisent des formes très variées de violence et d’exploitation. Les migrants portent avec eux leurs conflits interethniques ; l’économie souterraine se développe ; les commerces illégaux prospèrent ; les zones de non-droit se développent ; le sentiment d’injustice et de révolte s’impose ; les femmes et les jeunes sont souvent les victimes de ces situations qui, parfois, provoquent aussi des solidarités, des formes de courage collectif, des initiatives qui disqualifient le pessimisme de certaines analyses.

La ville d’aujourd’hui, c’est encore la difficile équation du développement durable : la destruction des écosystèmes en zone péri-urbaine, la consommation mal maîtrisée des matières premières agricoles, énergétiques et industrielles, le phénomène de l’îlot de chaleur et la pollution.

Ces problèmes concernent toutes les villes, même si les niveaux d’urgences diffèrent selon les zones géographiques. Ils laissent l’impression d’un immense ratage, d’une impuissance chronique. À première vue, ils donnent raison aux intuitions bibliques de Jacques Ellul : une malédiction pèse sur la ville : nous la voyons échapper à l’homme. Que l’on multiplie les expertises, les programmes, les milliards, tout est toujours à reprendre.

Pourtant, la ville presse encore l’homme d’aujourd’hui pour qu’il la guérisse de ses pathologies. Aussi, parce qu’elle devient le monde, elle se présente comme un grand chantier et une nouvelle chance pour l’homme.

La concentration des populations dans un espace restreint, pour peu que la proximité ne devienne pas promiscuité, est la chance de la rencontre, des services à la personne, de la réalité des liens interpersonnels et, pourquoi pas, de l’émergence d’une culture du prochain. Pour peu que l’on repense le logement, l’urbanisme, le transport, cette concentration est la chance du développement, car elle peut permettre la remise en nature de grands espaces libérés, l’émergence de nouveaux écosystèmes et l’espoir d’une ville plus respirable. Pour peu que l’on favorise les initiatives subsidiaires et solidaires où peuvent exceller les femmes et les jeunes qui accèdent au savoir, ainsi que les conditions d’une démocratie urbaine équitable, cette concentration est aussi une chance de solutions durables aux problèmes de violence et aux formes illégales de trafics.

La ville nous parle des fondamentaux des systèmes dans lesquels elle se développe, et c’est partout une vision d’échec. La civilisation urbaine est donc devant nous ; ce n’est pas une page blanche à remplir, mais bien plutôt la résurrection de quelque chose qui doit d’abord mourir et qu’il faudrait inventer.

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À propos Hervé l'Huillier

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