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Pierre Teilhard de Chardin, théologien et savant

« Tout ce qui monte converge »

 Le jeune garçon ramasse des cailloux sur les chemins de l’Auvergne. Le pays s’y prête bien grâce à sa richesse géologique. Pierre Teilhard de Chardin est né le 1er mai 1881 près d’Orcines dans le Puy de Dôme. Il est issu d’une vieille famille auvergnate et très catholique. À 11 ans, Pierre entre au collège des jésuites. Toute la vie de Pierre Teilhard de Chardin sera marquée par cette double appartenance : scientifique (géologie) et spirituelle. Ces deux volets de sa vie ne seront jamais dissociés.

  Pierre Teilhard est d’abord un scientifique mondialement connu. En entrant chez les jésuites en 1899 (noviciat à Aix-en-Provence) et prononçant ses premiers voeux en 1901, il poursuit toujours ses études et ses recherches. Toujours chez les jésuites, mais à Jersey (île Anglo-normande) à cause des lois précédant la loi de séparation des Églises et de l’État, il étudie la philosophie jusqu’en 1905. Puis il est lecteur de chimie au collège de la Sainte Famille, au Caire (Égypte). Après quatre années de théologie près de Hastings (Angleterre), Pierre Teilhard est ordonné prêtre en 1911 – événement central de sa vie. Parallèlement, il poursuit ses études de géologie. En juillet 1912, il rencontre Marcellin Boule, géologue et paléontologue connu, fondateur de l’école française de paléontologie humaine. Peu après, Teilhard vit une autre rencontre marquante : celle avec l’Abbé Breuil surnommé « le pape de la préhistoire » !

  La Grande Guerre interrompt ses recherches et rencontres, mais ne laisse pas Teilhard sans question sur l’humain. C’est précisément pendant la guerre de 1914- 18 que se précise la vocation de Pierre Teilhard. Il prononce ses voeux solennels en 1918. Il restera fidèle toute sa vie à l’Église catholique dont il a une très haute idée, bien que cette dernière ne l’ait jamais vraiment reconnu. Reprenant ses études, il dépose sa thèse à la Sorbonne en 1921 et la soutient en mars 1922. Il est chargé de cours de paléontologie à l’Institut Catholique. Toujours passionné de géologie – pierres et fossiles –, il participe aux recherches paléontologiques au Muséum d’Histoire Naturelle.

  Sous l’influence de Marcellin Boule et de l’Abbé Breuil, Pierre Teilhard est de plus en plus attiré parle problème des origines et la paléontologie humaine. N’oublions pas que sa thèse soutenue en 1922 porte sur « les mammifères de l’éocène inférieur français et leurs gisements ». Formation scientifique et recherches se poursuivent toute sa vie dans un contexte de découvertes majeures en préhistoire. Pierre Teilhard défend le transformisme contre le fixisme. Débat qui, à l’époque, est loin d’être clos. Les recherches de Teilhard sont accompagnées de voyages incessants. En Chine d’abord, où il se rend une première fois en 1923 avec le Père Licent, lui aussi jésuite et paléoanthropologue. Retour à Paris, Chine à nouveau puis Paris, le Cantal et l’Ariège (terre de préhistoire), suivi de voyage en Obock et Abyssinie (Afrique de l’Est) sur l’invitation d’Henri de Monfreid. De 1929 à 1936, c’est à nouveau la Chine avec la découverte capitale du Sinanthrope, et ainsi de suite ! On le retrouve participant comme géologue à la mythique « Croisière Jaune » d’André Citroën en 1931 ! Pierre Teilhard est aussi invité à plusieurs autres expéditions de ce type comme l’ « Harvard-Carnegie », expédition en Birmanie (1937-38). Signalons enfin un voyage en Rho désie, Afrique du Sud en 1953. Dans l’est africain, Teilhard rate de peu l’expédition du Docteur Leakey à Oldoway. Teilhard participe aussi à de nombreux congrès et colloques sur la paléoanthropologie.

  Que le lecteur peu habitué à la lecture de Teilhard ne s’étonne pas de ce très rapide, mais nécessaire survol de la vie et des recherches scientifiques de Teilhard de Chardin. Teilhard est avant tout un phénoménologue au sens étymologique du terme, c’est-à-dire un observateur. Il voit, étudie, comprend. Teilhard observe le monde dont il est un « citoyen » avant la lettre. C’est un hyperactif fasciné par la Création, l’évolution, le coeur de la matière. Dès son enfance, il a été impressionné par le fer, pour lui matière mystérieuse et puissante. Il pense le Cosmos dans son ensemble et la Terre sur laquelle il n’a cessé de voyager. Sa pensée, sa réflexion, son action ne sont jamais repliées sur elles-mêmes. Pierre Teilhard a été en relation avec un nombre incroyable de pays, de peuples et de gens de toutes sortes. Il a rencontré des philosophes comme Huxley ou Le Roy, successeur de Bergson au Collège de France, avec lequel il lance la revue Géobiologie, des aventuriers comme Henri de Monfreid et bien sûr des scientifiques de son temps. Avec Boule, Licent, Breuil, le comte Begouën, Cartaillac, Pierre Teilhard fonde la paléontologie et l’anthropopaléologie moderne. Teilhard va repenser l’évolution et l’humain. L’homme est un des centres de la penséeteilhardienne qui porte en elle un profond respect des cultures exotiques des pays qu’il traverse. Que l’on songe seulement à tous ceux qui ont rapporté des trésors archéologiques d’Orient, alors que Pierre Teilhard a contribué à monter des musées sur place avec ses découvertes. Ainsi, celui de Choukoutien, en Chine, où se trouvaient les fossiles de l’homme le plus ancien connu alors : le sinanthrope qui est un pithécanthrope vieux d’environ 600 000 ans ! Le musée que Teilhard a fondé a traversé la Révolution Culturelle et une stèle a même été rédigée en son honneur.

  On ne peut pas comprendre la pensée de Teilhard très difficile et exigeante si on ignore son parcours scientifique, ses voyages et son parcours religieux. On ne peut pas comprendre Teilhard de Chardin si, en tenant dans sa main un micaschiste, un calcaire ou un granit, on ne voit qu’un vulgaire caillou et non une pierre cosmique à la fois résultat de l’évolution et porteuse de la potentialité de la vie grâce à une énergie venue d’ailleurs…

  Teilhard est scientifique, mais aussi visionnaire et mystique. Si Pierre Teilhard est un homme de la terre, du cosmique, il est aussi un homme de Dieu. Dès l’enfance Pierre cherche l’Absolu… Peut-être la quête de toute sa vie au final. « Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs (dès avant l’âge de 10 ans), je remarque en moi l’existence d’une passion nettement dominante : la passion de l’Absolu… Le besoin de posséder, en tout, “quelque Absolu” était, dès mon enfance l’axe de ma vie intérieure. Parmi les plaisirs de cet âge, je n’étais heureux (si je m’en souviens en pleine lumière) que par rapport à une joie fondamentale, laquelle consistait généralement, dans la possession (ou la pensée) de quelque objet précieux. Tantôt il s’agissait de quelque morceau de métal, tantôt par un saut à l’autre extrême, je me complaisais dans la pensée de Dieu-Esprit. » (Mon Univers)

  Par cette citation – on l’aura compris – si Teilhard est un scientifique, il est tout autant un homme de très haute spiritualité, voire un mystique. Pour commencer à lire Teilhard, La messe sur le monde est une bonne introduction, tout comme Le Milieu divin. C’est dans ces types d’écrits que l’on mesure sa hauteur de vue. Ainsi ces quelques lignes : « Vraiment, par l’opération toujours en cours de l’incarnation, le Divin pénètre si bien nos énergies de créatures, que nous ne saurions, pour le rencontrer et l’embrasser, trouver un milieu plus approprié que notre action même. Dans l’action, d’abord, j’adhère à la puissance créatrice de Dieu ; je coïncide avec elle ; j’en deviens non seulement l’instrument, mais le prolongement vivant. Et comme il n’y a rien de plus intime dans un être que sa volonté, je me confonds, en quelque manière, par mon coeur, avec le coeur même de Dieu. Ce contact est perpétuel puisque j’agis toujours, et, en même temps, puisque je ne saurais trouver de limite à la perfection de ma fidélité, ni à la ferveur de mon intention, il me permet de m’assimiler à Dieu, toujours plus étroitement, indéfiniment. Dans cette communion, l’âme ne s’arrête pas de jouir, ni ne perd de vue le terme matériel de son action. N’est-ce pas un effort créateur qu’elle épouse ? » (Le Milieu Divin)

Teilhard de Chardin est, comme beaucoup de mystiques, un actif. Il puise les ressources de son action, de ses recherches et découvertes scientifiques, dans la contemplation de Dieu et la vision du monde en évolution qui va avec et dans lesquelles « il voit » Dieu – ce qu’il appelle la diaphanie* (les astérisques renvoient au Glossaire, en fin d’article). C’est bien dans cette hauteur de vue, cette mystique au service de laquelle sont mises toutes ses connaissances scientifiques, que Teilhard élabore la théologie évolutionniste et vivante qui le caractérise.

  Pierre Teilhard est un phénoménologue* : il regarde les choses, cherche à en percer le mystère, le sens. Paléologue, son regard porte loin en arrière. L’évolution est une évidence qui s’impose. À l’infini de l’espace et l’infini du temps de Pascal, il ajoute un troisième infini qui est l’infiniment complexe. Pour Teilhard, la matière se diversifie à l’extrême, se complexifie dans le foisonnement du vivant, sous l’action créatrice de l’énergie divine de telle sorte qu’apparaît la pensée, l’immatériel issu du matériel. La matière se spiritualise et par là, c’est le cosmos qui se spiritualise dans un infini atemporel et immatériel. De la matière brute à l’algue bleue, de l’océan primitif suivi par l’apparition de la vie, Teilhard voit cette évolution qui, par stades successifs, va de la cosmogénèse* à la biogénèse* et l’anthropogenèse*. Le « phénomène humain » (titre d’un de ses ouvrages de base) illustre cette émergence d’un « toujours plus » de conscience et d’esprit.

  L’anthropogenèse est le lieu, l’aboutissement de l’évolution. Certes, l’homme est un être intelligent comme d’autres espèces animales. Surtout, l’homme pense et sait à un niveau jamais égalé : il pense qu’il pense et il sait qu’il sait. En l’homme est la conscience, ce qui – avec l’apparition de la vie et de l’intelligence – est source d’émerveillement. L’homme est davantage que le roseau pensant pascalien perdu entre les « infinis glacés » de l’espace et du temps. L’humain est présence même de l’infini complexe pensant, conscient. Il est esprit, spirituel et signe visible de la noosphère* (sphère de l’esprit en grec). La noosphère vient se superposer, compléter et dépasser la biosphère. Couche pensante de l’humain, elle est le lieu et l’union des esprits pensants en communication les uns avec les autres et mus par l’esprit dynamisant de Dieu, le Christ-Évoluteur*. La noosphère est centrée sur Dieu et résolument tournée vers l’en-avant, le point Oméga.

  Cette anthropogenèse, toujours à construire, n’émerge que par la dynamique d’une énergie spirituelle inscrite sur l’axe d’évolution du monde : le Christ-Évoluteur. Le Père Jésuite est ici influencé par les apôtres Paul et Jean. Le Christ pantocrator du premier (cf. les épîtres aux Colossiens, aux Philippiens et aux Éphésiens) et le Verbe créateur du second (cf. Jn 1) se retrouvent évidement dans cette recherche. Pour Pierre Teilhard, l’anthropogénèse est la pointe de l’axe de l’évolution et dans l’humain, c’est l’Église qui est à l’extrême pointe de cet axe. Le Père Teilhard voit dans la messe la présence du Christ-Évoluteur, c’est-à-dire d’un Christ présent dans le monde, actif, dynamisant la cosmogénèse et centre des énergies. Le Christ-Évoluteur recentre en lui la noosphère et attire le monde à lui en Christ-Oméga*. Par le Christ-Évoluteur, « peut-on passer, sans déformation pour l’attitude chrétienne, de la notion d’ “humanisation par rédemption” à celle d’humanisation par évolution ? » (Comment je vois) À travers la diaphanie christique – et la présence réelle – le prêtre associe le cosmos entier à l’événement. Le plérome* apparaît comme la plénitude, la totalité qui réunit Dieu et le multiple créé sans confusion, mais en préservant l’identité, l’altérité dans l’union. Le plérome est l’achèvement de l’évolution matérielle, biologique et spirituelle en Dieu, autre manière de dire le point Oméga. Ne perdons pas de vue que Teilhard est catholique ! Et que l’Église catholique est pour lui « la pointe » de l’évolution. Quoi qu’il en soit, il y a une dynamique créatrice formidable dans la vision teilhardienne qu’on va retrouver, dans une certaine mesure, dans la théologie du Process.

Claire Dionne Valois : Cosmo-génèse  Si Teilhard connaît bien les oeuvres de Bergson (et de son successeur Édouard Le Roy avec lequel il a une correspondance suivie), il s’en distingue car la dynamique de l’esprit est pour lui transcendante. Elle vient de l’avant et traverse le monde pour le soulever, le dynamiser, le faire évoluer et le spiritualiser vers cet « en-avant » qui n’est rien d’autre que le point Oméga. Cet Esprit est de Dieu et permet la conscientisation du Cosmos, l’apparition de la noosphère. C’est « en-avant » que le présent se passe, et vers l’avant que se tendent les énergies créatrices et spiritualisantes, n’en déplaise à ceux qui voient la fin des temps comme une destruction du monde ou un « Big Crunch » (contraire du Big Bang). Ici, la courbe évolutive de complexité-conscience sort de l’espace temps, échappe au matériel, suit l’axe christique et échappe ainsi à l’entropie*. Cette entropie est une forme du mal qui s’oppose à cet « effort » de spiritualisation et d’Amour. Hiroshima est ainsi pour Pierre Teilhard un exemple du mal car, outre les dégâts humains et matériels, l’énergie est détournée de l’usage qu’elle aurait dû avoir : au lieu d’être au service de l’Esprit, elle est mise au service de la destruction et de la mort. Cette question des énergies détournées avait déjà frappé Pierre Teilhard pendant la Première Guerre mondiale. C’est en-avant de nous, vers le point Oméga, que se trouve l’immortalité. La pensée et la vie de Teilhard sont en fait une recherche de sens pour le Cosmos et pour l’humain. Teilhard restera toujours un peu l’enfant qui ramassait des cailloux sur les chemins d’Auvergne, comme Théodore Monod, un autre visionnaire. Leurs routes se croisent. Pour eux, Dieu est Dieu du Monde, ce monde qu’il faut aimer.

  L’Amour est bien sûr une idée centrale pour Teilhard. Amour de l’autre, du prochain au sens le plus classique de l’agapè, mais il ne développe pas sa pensée dans ce sens – peut-être évident mais pour lui insuffisant. L’Amour, c’est aussi l’amour dans le couple où chaque partenaire est porteur « de la réalité universelle qui brille spirituellement à travers la chair ». En fait, ces deux manières de voir l’amour sont englobées dans une troisième conception de l’amour, cette dernière voyant dans l’Amour une manière d’aimer dynamique et dynamisante permettant de tisser, construire la noosphère. Tout le système de pensée de Teilhard est fondé sur la charité.

  Toute relation marquée du sceau de l’Esprit s’inscrit dans cette manière de voir. Peut-être dirait-on aujourd’hui « faire du lien ». Toutes les relations d’amour permettent ainsi au monde de se rencontrer en Christ et d’entrer dans la spirale aspirante autour de l’axe conduisant au point Oméga. Le Christ-Évoluteur est bien présent dans cette manière dynamique de vivre l’amour chrétien, réserve sacrée d’énergie. « L’Amour est la plus universelle, la plus formidable, et la plus mystérieuse des énergies cosmiques », écrit Teilhard dans son livre Je m’explique. L’Amour, énergie cosmique, permet une union qui différencie tout, comme l’union au Christ-cosmique différencie aussi. Dans ce domaine, le Père Teilhard s’inscrit dans la vision de la Genèse où l’acte créateur est un appel, une différenciation, une identité des éléments constituant le chaos initial « En tête Elohim créait les ciels et la terre, la terre était tohu et bohu (chaos), une ténèbre sur la surface de l’abîme, mais le souffle d’Elohim planait sur les faces des eaux […] » (Gn 1,1, traduction Chouraqui). L’Amour christique, amour de Dieu, est bien un acte créateur continu. Cette manière de voir l’amour chez Teilhard est typique de sa pensée et de sa vision de l’univers et de Dieu tout en mouvement et en action. « Dans l’univers devenu pensant, tout se meut dans et vers le personnel, c’est forcément de l’Amour qui forme, et qui formera de plus en plus, à l’état pur, l’étoffe de l’énergie humaine… L’Amour ne serait-il pas, tout simplement, dans son essence, l’attraction même exercée sur chaque élément conscient par le Centre de l’Univers ? »Le Centre est ici un Dieu présent dans le monde et enavant du monde qu’il attire à lui. L’Amour pour Teilhard n’est pas que la simple charité. Il englobe celle-ci dans une dynamique de vie plus totale.

La Voie lactée  On pourrait penser que Teilhard est créationniste. Il n’en est rien. Dieu est ici énergie, dynamique, dynamisant, force convergente qui entraîne en l’enroulant sur lui-même le mode spiritualisé vers son achèvement Oméga. Teilhard reste un chrétien classique qui évite toute confusion, n’en déplaise au New Age qui le récupère et le cite souvent. Teilhard ne voit pas Dieu comme un « Grand Tout » dans lequel on se perdrait, ou se diluerait. Au contraire, la convergence en Christ présent au monde permet de conserver l’identité de tous les éléments qui concourent à la noosphère, parce qu’il y a individuation dans l’amour. Si panthéisme il y a, c’est un panthéisme de convergence et d’union, sûrement pas de confusion et d’unification. Dieu se manifeste dans le monde par le Christ-Évoluteur. La diaphanie christique permet la visibilité du Christ dans le monde et du monde en Christ.

  Si Dieu reste le Dieu classique que l’on connaît par la Révélation et l’incarnation en Jésus-Christ, la spécificité de Dieu tel que le perçoit Teilhard de Chardin est d’être transcendant. Dieu appelle le monde et l’humain à « Toujours-Plus » de spiritualité, d’humanité, de liens et de vie entre chaque personne. La hauteur de vue, la mystique, revêtent un intérêt particulier. L’appel au « Toujours-Plus » vient de Dieu « au-devant-de-nous » qui attend, attire, dynamise la cosmogénèse, c’est-à-dire l’évolution du monde de la matière à l’Esprit. Si Teilhard ne rejette pas les idées classiques sur la rédemption fondée sur la mort et la résurrection de Jésus, il n’empêche que pour lui, le Salut du monde et le sens sont bien dans l’évolution, la cosmogénèse. Pour lui, le christianisme moderne (et futur) ne peut pas faire l’impasse sur cet aspect du Salut lié à l’évolution. C’est bien là un des aspects les plus fondamentaux de la pensée de Teilhard : le Salut en Christ-Évoluteur, Christ-Oméga tout entier en Dieu- Omega. Le point Oméga, à l’horizon de nos vies et du monde, n’est donc pas un point de dilution, mais Dieu entièrement personnalisant où est posé notre être, notre personnalité.

  La pensée teilhardienne est optimiste. Malgré les deux Guerres mondiales, Teilhard garde une espérance fondée sur la Révélation et la science. C’est une porte ouverte sur une nouvelle manière de vivre et d’exprimer le christianisme.

  La lecture des oeuvres de Pierre Teilhard de Chardin est souvent difficile car il a créé son langage propre comme par exemple la noosphère, le ChristÉvoluteur, le point Oméga, la cosmogénèse, etc. Et l’auteur mêle sans cesse science, mystique, philosophie et dogmatique ! Il faut souvent dépasser un ou deux volumes pour enfin y voir clair. Mais l’effort (encore un concept Teilhardien) en vaut la chandelle. La pensée reste éblouissante et d’une haute spiritualité. Pensée qui appartient au fonds commun du christianisme, même si les protestants peuvent être surpris par une approche parfois très catholique du Père jésuite.

  Comment classer cette pensée chrétienne et moderne ? Avec le Pasteur Georges Crespy, un des meilleurs connaisseurs de Teilhard, nous ne voyons pas une gnose (même moderne) dans le système de Teilhard, mais plutôt une Sagesse, ce qui s’inscrit bien dans la Sagesse juive, Sagesse créatrice comme au chapitre 8 des Proverbes, Sagesse qui a inspirée le logos créateur du prologue de Jean ou le Christ Pantocrator de l’Épître aux Colossiens. Cette sagesse, parole agissante, présence du Christ ne se manifeste-t-elle pas aujourd’hui sous nos yeux de manière spectaculaire dans nos sociétés modernes d’hyper-communication où chaque élément de l’humanité peut être en relation avec tous les autres ? Reste à poursuivre l’effort de spiritualisation dans ces sociétés modernes si on veut que la courbe de complexité-croissance qui nous a conduits jusque-là,reflète vraiment le monde spiritualisé de la noosphère.

  Dans le cadre de la noosphère, parce qu’il est le Christ d’en-haut, pour Teilhard, la Fête de l’Ascension – aujourd’hui un peu oubliée – est une des fêtes les plus importantes du christianisme. Jésus ressuscité, en montant au ciel, nous montre la direction, nous attire sur l’axe de l’évolution du monde qui se spiritualise et se complexifie tout en s’enroulant sur lui-même, se dynamisant et se rapprochant de cet axe qui conduit au point Oméga, du Christ en gloire, point final de la spiritualisation et de la vie qui se réalise au final en Christ.

  Laissons pour finir la parole à Pierre Teilhard. En mars 1955, quelques jours avant sa mort à New York (le 10 avril 1955), il écrit : « Il y a longtemps déjà que, dans la Messe sur le monde et Le Milieu Divin, j’ai essayé, en face de ces perspectives encore à peine formées en moi, de fixer mon admiration et mon étonnement. Aujourd’hui, après quarante ans de continuelle réflexion, c’est exactement la même vision fondamentale que je sens le besoin de présenter et de faire partager, sous sa forme mûrie une dernière fois. Ceci avec moins de fraicheur et d’exubérance dans l’expression qu’au moment de sa première rencontre. Mais toujours avec le même émerveillement – et la même passion. » (Le Milieu Divin)

                                                                               GLOSSAIRE

Définitions tirées de Teilhard de Chardin, de Claude Cuénot, « Écrivains de toujours » aux éditions du Seuil.

Anthropogénèse : Apparition d’un groupe zoologique humain qui correspond à un rebondissement original (à travers le pas de la réflexion) de l’évolution sur elle-même.

  Science synthétique traitant de la formation de l’homme et se refusant à tout compartimentage.

  Biogénèse : Axe principal de la cosmogénèse* en tant qu’animée d’un mouvement de complexification organisante aboutissant à l’édification des êtres vivants.

 Christ-Évoluteur : Le Christ en tant que moteur suprême de la cosmogénèse*. Verbe incarné, le Christ est essentiellement évoluteur. Il l’est dès sa naissance, il l’est en tant que Rédempteur, comme il l’est en tant que Consommateur de l’univers.

  Christ-oméga : Le Christ en tant que réalisant la coïncidence entre le centre universel christique, fixé par la théologie, et le centre universel cosmique, postulé par l’anthropogénèse*.

  Cosmogénèse : L’univers conçu comme un système animé d’un mouvement orienté et convergent.

  Diaphanie (christique) : Transparence de l’univers qui permet au regard purifié et adapté d’y discerner la présence du Christ.

  Entropie : D’après le second principe de la thermodynamique, dans un système thermiquement isolé, tous les changements physiques spontanés se font dans un sens qui ne peut être renversé. Il y a augmentation de l’entropie, c’est-à-dire de l’involution du système (principe de la dégradation de l’énergie). Plus simplement, ce principe exprime la tendance qu’a tout système à évoluer vers des états de plus grande probabilité.

  Noosphère : Couche réfléchie (humaine) de la Terre, constituant un règne nouveau, un tout spécifique et organique, en voie d’unanimisation, et distinct de la biosphère (couche vivante non réfléchie), bien que nourrie et supportée par celle-ci.

  Phénoménologie : Introduction à une explication du monde. Effort pour établir autour de l’homme, choisi pour centre, un ordre cohérent entre conséquents et antécédents, pour découvrir entre éléments de l’univers, non point un système de relations ontologiques et causales, mais une loi expérimentale de récurrence exprimant leur apparition successive au cours du temps.

  Plérome : Organisme surnaturel où l’Un substantiel et le multiple créé se rejoignent sans confusion dans une totalité qui, sans rien ajouter d’essentiel à Dieu sera néanmoins une sorte de triomphe et de généralisation de l’être (mot grec emprunté à saint Paul).

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À propos Vincens Hubac

est pasteur de l’Église protestante unie de France au Foyer de l’âme, à Paris. Il est engagé dans la diaconie et intéressé par le transhumanisme.

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