Mettez en pratique la Parole et ne vous bornez pas à l’écouter

Cette prédication d’Albert Schweitzer a été prononcée le 14 juin 1903 à Saint-Nicolas de Strasbourg. Ici, elle est un peu écourtée pour tenir compte des contraintes de la publication. Elle est extraite des cahiers « Albert Schweitzer », avril 2002.

  on entend dans cette lettre la voix du bon sens. […] Jacques se montre fidèle à Jésus qui a toujours souligné la valeur de l’action. « Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. » (Mt 7,16) Il en ira ainsi au jour du jugement dernier, car « toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous les avez faites » (Mt 25,40).

  La question à poser ici : la religion consiste-t-elle dans la foi ou dans l’action ? Les Réformateurs ont mis l’accent sur la foi. Mais Jacques insistait déjà : foi et action. Et d’après Jean 2, dès les premiers récits, à l’occasion des noces de Cana, Jésus fit une première action, qui était le premier de ses miracles, en transformant de l’eau en vin, « et ses disciples crurent en lui ». L’oeuvre est réalisée en vue de la foi. […]

  On pourrait discuter de tout cela : priorité donnée à la foi ou aux oeuvres ? Laissons ces disputes. J’ai une opinion personnelle là-dessus. Mon expérience dans la vie quotidienne m’a appris ceci : les oeuvres ne viennent pas de la foi, c’est la foi qui vient des oeuvres. Je ne ressens vraiment ma foi que comme un effet de mes actions, et lorsque je veux me réjouir d’avoir la foi, il faut que je fasse quelque chose. Les moments de grande lassitude, vous savez ce que c’est : on se sent si loin de Dieu, sans joie intérieure, on se sent si vide. Quand pendant des jours vos pensées se traînent, comme un chariot lourdement chargé […], que faire pour se dégager ? Eh bien justement, il faut agir, il faut se chercher un attelage de renfort, et si quelqu’un, à ce moment-là, croise votre chemin et que vous pouvez l’aider d’une façon ou d’une autre, lui prêter votre concours, lui témoigner de l’amitié, alors vous aurez trouvé ce renfort qui vous était nécessaire. Alors vous vous sentirez plus léger et ce sera vraiment comme de voir le ciel s’ouvrir, vous aurez de nouveau foi en Dieu et dans les hommes, et l’Évangile, éclairé par le soleil de l’amour à nouveau brillera pour vous.

  Je me dis souvent : les hommes agissants, quelle chance ! Ils vont également devenir des hommes de foi, car ils sont si proches de Dieu, par leur vie même ! « Dieu est amour et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu. » (1 Jn 4,16) Toute action prolonge et fait rayonner l’amour créateur de Dieu. Celui qui est agissant se trouve dans une relation vivante avec Dieu ; de là cette ineffable joie dans nos coeurs.

  Pourquoi y a-t-il tant de scepticisme autour de nous ? Pourquoi tant d’indifférence ? Tant d’hommes pour lesquels « Dieu » ne veut plus rien dire ? On a déjà avancé plusieurs explications : les contradictions entre les données de la science et les révélations religieuses, l’aptitude au doute de l’esprit moderne etc. Mais la cause principale, selon moi, c’est qu’on n’agit pas assez. J’aimerais vous recommander : commencez par agir, par faire quelque chose ! Vous n’arrivez pas à croire ? Vous n’arrivez pas à prier ? Vous y arriverez dès que vous serez engagé dans une action.

  Nos vies sont généralement tièdes. Pourquoi ? Parce que nous n’agissons pas assez ! Nos coeurs sont intérieurement pauvres, sombres, froids, parce que la lumière de l’amour divin n’y pénètre plus. En devenant agissants, nous apprendrons aussi que Dieu est action.

  Dieu ne peut être connu par la pensée seulement ; un homme simple, mais qui est agissant, connaît Dieu et tous ses mystères mieux que les plus grands penseurs. Se ressaisir en agissant, là est l’essentiel !

  La réconciliation des différentes confessions est un but précaire. Notre époque ne soulève que trop de querelles autour de mots, autour des formules de la foi. Nous devons regarder par-dessus les clôtures. Nous attendons la venue d’un temps où tout cela sera dépassé. Mais comment arriver à l’union ? Par l’action. Pas par les discussions. La fraternité naît de l’action.

  C’est pourquoi nous trouvons aujourd’hui si pertinents ces mots de l’apôtre Jacques : « Mettez en pratique la Parole, et ne vous bornez pas à l’écouter.

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