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L’harmonie de la nature

Après avoir été le « tableau du mois » du Louvre, ce tableau a été présenté dans le cadre de l’exposition « Turner et ses peintres ». Il est vrai qu’il mérite qu’on le contemple et qu’on y réfléchisse.

  Les tableaux du Titien sont toujours attrayants par leur beauté fastueuse, leur douceur, leurs couleurs chatoyantes, l’expressivité et l’humanité de leurs personnages.

  Celui-ci représente deux jolies jeunes femmes, charmantes et paisibles dans leur partie de campagne, avec un enfant et un lapin, devant un berger barbu caressant une brebis. Le paysage est très grand, luxuriant, avec des fleurs et de beaux arbres, un magnifique coucher de soleil derrière de hautes montagnes bleues.

  Une des jeunes femmes (on nous dit que c’est Marie) est assise dans l’herbe et retient de la main un lapin blanc qu’elle montre à l’enfant. L’autre femme lui prend l’enfant des mains ou peut-être le lui tend. Elle est très élégante et belle. Sa robe est d’un magnifique satin diapré et elle porte un diadème de perles. Il paraît qu’elle est sainte Catherine.

  Quand on montrait ce tableau à un Vénitien du XVIe siècle, en voyant une jeune femme avec un enfant, il disait tout de suite :

  – « C’est la Vierge Marie et l’Enfant. » Et la femme élégante à côté :

  – « C’est sainte Catherine d’Alexandrie. » On la reconnaît car elle est à genoux sur la roue de son supplice.

  Il s’écriait aussi :

  – « Dans le panier qui se trouve à ses pieds, on reconnaît tout de suite une pomme, symbole du péché originel et une grappe de raisins noirs, symbole du vin rouge, symbole lui-même du sang versé par le Christ pour le pardon du péché originel. »

  – « Le fraisier qui pousse près du pied de Marie est caractéristique des plantes du Paradis terrestre. »

  – « Le berger représente évidemment le monde antique qui est désormais surpassé par la chrétienté. »

  – « Le lapin blanc est symbole de la virginité de Marie. »

  C’est une scène chrétienne !

  On nous dit qu’un lapin blanc signifie la pureté de Marie, alors que s’il y en avait plusieurs, ils suggéreraient la luxure. Mais l’analyse aux rayons X a montré que le Titien avait justement d’abord peint plusieurs lapins qui entouraient la Vierge !

  Il est bien possible que, pour échapper aux critiques toujours menaçantes de l’Inquisition, Le Titien ait placé là, plus ou moins consciemment, ces quelques symboles, christianisant à bon compte une scène, somme toute tout à fait profane. Ou bien que nous donnions bien facilement un sens religieux aux fruits d’un pique-nique.

  Mais ce qui me paraît intéressant et davantage révélateur de la religion dominante alors dans la ville de Venise, est l’idée du Titien de représenter effectivement la Vierge et l’Enfant au coeur de la nature, en plein champ et non dans le cadre ecclésial d’une « adoration » des mages, des bergers ou des donateurs du tableau.

  Une scène baignée dans l’atmosphère paisible d’une nature heureuse : l’enfant Jésus intéressé par un lapin blanc, des fruits que l’on va manger, un berger caressant gentiment son mouton et un soleil couchant illuminant le paysage et les montagnes, voilà qui fait penser, par delà deux siècles, à la religion naturelle d’un Jean-Jacques Rousseau.

  Il me semble que la spiritualité émanant de ce si beau tableau est celle de l’harmonie de la nature, de l’humanité, de la paix de ces femmes avec leur enfant, le lapin et le berger, dans la douceur et la lumière du ciel illuminé par le soleil couchant plutôt que le message dramatique du sang du Christ effaçant le péché originel pour retrouver les fraisiers du Paradis perdu.

  Il est vrai que Venise avait la réputation, à cette époque, de s’épanouir dans un humanisme heureux et de vivre son catholicisme de manière libérale, bien loin des dogmes et des traditions d’un Vatican lointain.

  Le concile qui se tiendra à peine 15 ans plus tard dans la ville proche de Trente n’aura pas à se préoccuper des seuls protestants : c’est toute la spiritualité des Titien, Véronèse et des autres maniéristes qu’il s’efforcera de reprendre en main. À tort ou à raison…

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À propos Gilles

a été pasteur à Amsterdam et en Région parisienne. Il s’est toujours intéressé à la présence de l’Évangile aux marges de l’Église. Il anime depuis 17 ans le site Internet Protestants dans la ville.

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