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Le riche et Lazare (suite)

Ces lignes s’inscrivent dans la continuité de l’article d’Henri Persoz paru le mois dernier. La parabole a une portée éthique qui révèle un Dieu de justice. Mais, comme son nom l’indique, la parabole « parle à côté ». Elle anime un débat dans lequel sont dénoncés l’idolâtrie et le salut par la Loi.

   En quelques mots, Luc nous montre ce qu’est l’idolâtrie et ses conséquences. Sans reprendre ce qui a été justement souligné sur l’enfermement du riche dans ses certitudes, il faut revenir sur sa manière d’être : voici un homme habillé de lin et de pourpre, nous dit le texte. Un lecteur judéo-chrétien ou juif réagit immédiatement car il sait où il y a du « lin et du pourpre ». Dans le Temple de Jérusalem, le Saint des Saints est séparé du reste du Temple par un rideau de lin et de pourpre ! En se drapant dans ce rideau, le riche se prend pour Dieu. Dans son orgueil, il n’entend que lui. Comme tel, il est inaccessible à toute chose susceptible de le perturber… Mais il s’est isolé et a, en fait, perdu son être dans cette entreprise : il n’a pas de nom, il n’a comme identité que sa faute. En trois lignes, le récit nous met en garde contre cette idolâtrie qui consiste à croire qu’il suffit de s’envelopper des signes de la sainteté pour être protégé par Dieu, et qui consiste à aimer sa richesse pour ne plus voir la misère du monde. L’idolâtrie conduit à l’anéantissement. Ici, dans l’imaginaire et dans la théologie de l’époque, l’idolâtrie mène à l’enfer sans espoir de retour.

   En fait, le riche est déjà un être mort et dans les affres de la souffrance. Qu’est-ce qui pousse un individu à se perdre ainsi dans une recherche illusoire de toute puissance qui, au mieux, est éphémère ? Quelle angoisse a saisi notre homme ? Quelle peur devant la vie ? Sa maison aux portes bien closes est une prison, et sa vie est un silence …

   Le riche, des enfers où il est enfermé, voit, en compagnie d’Abraham, le pauvre Lazare qu’il avait laissé à sa porte, du temps où il festoyait tous les jours. Il demande d’envoyer Lazare prévenir ses cinq frères de se conduire autrement pour ne pas risquer les enfers. La réponse d’Abraham est claire : Moïse et les prophètes devraient être suffisants. La demande du riche va plus loin. En évoquant « quelqu’un venu de chez les morts » il parle du ressuscité. Peine perdue ! Le ressuscité ne sera pas plus écouté que Moïse ! La référence à Jésus Christ est claire. La parabole est le reflet d’un débat entre le judaïsme et le christianisme naissant. La référence aux cinq frères qui sont dans la même situation que le riche est une image. Ces cinq frères représentent la Thora, la Loi, les cinq livres… Comme les cinq maris de la Samaritaine dans l’évangile de Jean. La parabole est une invective à l’adresse d’un judaïsme trop légaliste : la Loi ne donne pas accès à la vie. Même s’ils rencontrent un prophète – ou ici le Christ – la certitude de ces juifs légalistes est telle qu’ils restent enfermés dans la Loi, drapés dans le rideau du Temple. Même quand on est riche de la Loi, de l’Alliance avec Dieu, on n’en n’est pas moins créature dépendante de Dieu pour le salut. La Loi peut être objet d’idolâtrie. N’oublions pas le commandement qui nous dit de ne pas prendre le nom de Dieu en vain. On ne peut pas gagner la Parole de Dieu et se l’approprier. Elle est toujours un don et, par là, nous évite l’idolâtrie. La vérité est chemin, attente, espérance ; elle n’est pas une richesse, une certitude de vie ou de salut qu’on peut confisquer à son profit. Seul Dieu peut sauver les humains. Ainsi Lazare qui est au seuil de la Loi, et qui vit des manques qui le font cruellement souffrir, est celui que « Dieu aide » (sens du nom de Lazare). Celui qui cherche et qui est prêt à se contenter de miettes, est plus près de Dieu que celui qui croit posséder toute la richesse de la Loi.

   La parabole du riche et de Lazare nous renvoie à toutes sortes de richesses, aussi bien matérielles, qu’intellectuelles ou spirituelles, afin de réaliser que le danger de l’idolâtrie ne guette pas que les richesses matérielles, mais que l’idolâtrie de la Loi, la certitude d’un salut gagné sont peut-être la pire des choses.

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À propos Vincens Hubac

est pasteur de l’Église protestante unie de France au Foyer de l’âme, à Paris. Il est engagé dans la diaconie et intéressé par le transhumanisme.

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