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Le rêve d’Esther

Le Livre biblique d’Esther est une fête de la diversité et de l’ouverture, une opposition à l’exclusion et à l’uniformité. Un beau rêve ?

  Le héros audacieux de ce rouleau, Esther, est une jeune femme juive installée en diaspora, dans la ville de Suze. À la demande de son cousin Mardochée, elle accepte de participer à un concours de beauté. Le puissant roi païen de l’immense empire Perse, Xerxès Ier, la choisit pour épouse.

  Le contexte du judaïsme est alors celui de la restauration du Temple de Jérusalem, au Ve siècle avant Jésus-Christ. Une réforme religieuse stricte a été engagée à Jérusalem par Esdras et Néhémie, assortie d’un idéal de recouvrer la pureté d’avant l’exil à Babylone. Ainsi les règles alimentaires, la pratique du sabbat et de la circoncision sont-elles désormais à respecter scrupuleusement, et accompagnées d’une défiance envers ce qui est étranger au judaïsme : la prétendue contamination liée aux mariages mixtes issus de la période d’exil en diaspora entraîne les hommes à divorcer de leurs femmes étrangères. L’Alliance avec Dieu, fondamentalement inconditionnelle, devient dépendante de la pureté supposée d’Israël. Le légalisme pharisien du premier siècle, contre lequel se dresseront les épîtres de Paul, puis les évangiles, se réclamera de ces réformes.

  Esther, la jeune reine, se trouve donc dans une situation doublement délicate : en situation irrégulière dans sa contrée d’adoption, car elle n’a pas révélé au roi ses origines juives, impure selon les autorités de Jérusalem, car elle est mariée à un païen.

  Aucune référence n’est faite à un retour possible à Jérusalem, ni même une quelconque nostalgie de la terre d’Israël. Ajoutons à cela que le nom de Dieu n’est jamais cité dans le livre. On peut donc comprendre les précautions prises lors des différentes étapes de son intégration dans le canon biblique. Tous les ingrédients d’une situation subversive sont réunis.

  Doublement victime potentielle, juive dissimulée là où un massacre de tous les juifs se prépare, et impure aux yeux de ses pairs, Esther va provoquer un retournement de la situation : l’écartèlement entre deux appartenances, vécu par tant de migrants, est sur le point d’être transformé en nouvel ordre. « Si tu ne dis rien en cette occasion, le soulagement et la libération des Juifs surgiront d’un autre côté », l’enjoint Mardochée. « D’ailleurs, qui sait si ce n’est pas pour une occasion comme celle-ci que tu es parvenue à la royauté ? » Esther relève le défi et se dresse avec courage, en se rendant auprès du roi au péril de sa vie. Son audace, sa simplicité à se raconter, ainsi que sa capacité à transgresser, au nom d’un Dieu qui n’apparaît qu’en filigrane, provoquent la conversion du roi. Et ceux qui voulaient la perte du peuple juif seront éliminés. Esther et Mardochée seront investis des plus grands pouvoirs, et leurs pairs assurés de vivre en paix sur cette terre d’adoption.

  Ce revirement ouvre l’horizon de nouveaux possibles, où les forts n’écraseront plus impunément les faibles. Bien sûr, la vengeance finale envers les ennemis est injustifiable, et montre à quel point, sur la crête de la justice, il est difficile de tenir. L’histoire d’Esther est probablement une fiction, dont la fonction est de démontrer la capacité des juifs de la diaspora à assurer le salut de leur peuple. Ils instituent même, loin des instances centralisatrices de Jérusalem, une nouvelle fête, Pourim, tout en participant désormais à la vie politique et économique du lieu où ils vivent. Ce modus vivendi préfigure une ère nouvelle, où les relations entre les peuples permettront à chaque individu, chaque groupe, d’exprimer sa singularité, sa spécificité, tout en vivant en harmonie avec les autres, au-delà des différences de culture ou de sexe. Triomphe de l’ouverture sur l’exclusion, pari que l’universalité n’exige, ni n’entraîne l’uniformité.

  Un rêve ? Rêvé de nouveau quelques siècles plus tard, à sa manière par l’apôtre Paul, visionnaire ; il reste encore, deux mille ans après, à l’accomplir

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À propos Florence Lusetti

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