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Le puritanisme : John Cotton et la théologie de l’Alliance

John Cotton peut être considéré comme une des trois figures emblématiques du puritanisme néoanglais du XVIIe siècle. Les deux autres sont William Bradford et John Winthrop. Le premier est à l’origine de l’épopée du Mayflower, en 1620, qui est devenue le mythe fondateur de la Nation américaine. Du second, on peut dire qu’il est, avec John Cotton, l’un des bâtisseurs du New England Way. On assimile généralement le Massachusetts à une théocratie. Ce n’est pas exact, mais la colonie fut indubitablement théocentriste, vu le poids accordé à la Bible dans son organisation et son fonctionnement puisque l’alliance de Dieu avec l’homme, thème biblique par excellence, fut la marque du New England Way sous la forme du church covenant. La vocation pastorale de John Cotton s’exprima sur deux continents, passant de la splendide église de St Botolph à Boston, Lincolnshire, à la meeting house en bois de Boston, Massachusetts. Il vécut sous trois règnes et connut, encore que de loin, la révolution cromwellienne.

Né en 1585 dans une pieuse famille bourgeoise du Derby, John Cotton baigna dès le plus jeune âge dans le puritanisme. Nous ne savons rien de son enfance, tout au plus que son père était homme de loi et qu’il envoya son fils à Cambridge à l’âge de 14 ans. L’Angleterre de John Cotton était alors « toute protestante », mais on peut douter qu’elle fût bien « réformée ». En vérité, l’Église établie était traversée de divers courants. Ce qui devint par la suite l’anglicanisme pouvait être considéré comme le courant majoritaire, et il était celui imposé par la reine Élizabeth et par ses successeurs, James et Charles Stuart.

Cette réforme fut jugée insuffisante par nombre de pieux Anglais qui auraient souhaité voir un changement de politique ecclésiale drastique afin de pouvoir reproduire la simplicité des Églises réformées du continent. À ces protestants zélés fut donné le nom de puritains, qualificatif qu’eux-mêmes réservaient aux séparatistes , les « ultras » qui avaient rompu avec l’Église établie pour ne pas se « polluer ». Si Élizabeth avait conservé l’épiscopat et la pompe d’antan, JOHN COTTON l’Église établie n’était pas moins fondamentalement protestante, ayant pour assise le Sola gratia, Sola fide, Sola Scriptura de la Réforme.

  Pour comprendre le puritanisme et, partant, l’importance de la théologie de l’alliance dans l’établissement de la colonie du Massachusetts, il faut savoir que les Anglais des XVIe et XVIIe siècle croyaient en un monde duel où le Bien et le Mal s’affrontaient en un combat perpétuel qui ne finirait qu’à la fin des temps ; et lorsqu’ils pensaient à Dieu, ils le figuraient domicilié avec les anges dans l’espace que John Milton appelle pure empyrean, ce qui est une vision encore médiévale. Mais contrairement aux hommes du Moyen Âge (et encore à Calvin) ils ne percevaient pas l’homme comme créé pour la seule gloire de Dieu. Ils comprenaient la relation avec Dieu comme un « partenariat » où les deux parties, certes, n’étaient pas égales, mais néanmoins travaillaient de concert à l’établissement d’un espace physique et moral où les hommes pourraient vivre en harmonie avec leur Dieu et avec leurs frères. Avec une habileté parfois surprenante, ils cherchèrent dans l’Écriture toutes les justifications nécessaires à la mise en place de cet espace, la lisant dans sa forme canonique, c’est-à-dire faisant leur la notion linéaire et orientée du temps biblique : le monde avait un commencement et une fin, qui s’inscrivaient à la première et la dernière page du Livre. Sur la Bible seule ils s’appuyèrent pour comprendre Dieu, l’homme, le monde, et même l’Histoire.

  Le monde biblique surimposa ainsi peu à peu le quotidien des Anglais. Les protestants anglais des deuxième et troisième générations en furent imprégnés, même ceux qui n’étaient pas pour une réforme de la religion de type « genevois ». Il est indispensable de prendre cette dimension en compte pour comprendre l’épopée puritaine au Nouveau Monde et l’utopie d’une société de saints fondée sur un traité d’alliance avec Dieu. Trois critères donnent à cette réforme anglaise sa coloration particulière : le premier est donc le formidable impact de la Bible sur les comportements, les mentalités et le langage ; le deuxième est un anti-catholicisme romain particulièrement virulent ; le troisième est la nostalgie de l’Église primitive qui apparaît comme l’Âge d’or de la chrétienté. Ces trois critères marquent l’oeuvre et la pensée du révérend Cotton.

L’église de Saint-Botolph à Boston, Lincolnshire, Angleterre.  Les auteurs bibliques avaient remonté le temps, mettant en évidence antécédents et conséquences pour comprendre leur histoire, celle du peuple hébreu qui, depuis les temps lointains, avaient fait l’expérience d’un Dieu qui se présenta sous le nom de « Je suis qui je suis », fit alliance avec eux et leur donna la Loi. En Angleterre, les théologiens puritains entreprirent eux aussi ce travail de va-et-vient entre passé et présent pour expliquer leur époque et les événements qu’ils vivaient, et tenter de comprendre la place qu’ils occupaient dans le plan de Dieu. Ils y trouvèrent des informations concernant trois mondes :

  Le monde créé avant la Chute.

  Le monde d’après la Chute, celui dans lequel ils vivaient.

  Le monde parfait du futur, celui du retour du Christ.

  Comme tous les chrétiens, ils s’approprièrent les mythes fondateurs et les récits prophétiques, et lurent l’Ancien Testament à la lumière du Nouveau, faisant des deux Testaments une seule histoire sainte puisque le Christ était déjà là, avant le « commencement ». Les chrétiens en général, et les protestants en particulier, ne mettaient pas en doute les premiers mots de l’évangile selon Jean, réplique de Genèse 1,1, encore qu’il s’agît dans le prologue johannique d’un début absolu et non du début du temps du monde : « Au commencement était la Parole et la Parole était tournée vers Dieu, et la Parole était Dieu. » Retour à l’origine prise dans son sens de fondement, c’est-à-dire au sens non temporel de l’événement. Mais pour les puritains,ce commencement absolu faisait partie de leur propre histoire. Celle-ci était inscrite dans les Écritures qu’ils voyaient dans une continuité sans rupture : le Messie, en tant que Parole de Dieu, avait participé à la création. Ils lisaient donc les récits bibliques comme l’histoire de l’Église du Christ depuis la création jusqu’à la Parousie. Les puritains anglais s’approprièrent aussi le concept d’alliance, la b’rît (en hébreu), dont le philosophe André Neher écrit qu’il est la contribution « la plus originale de la pensée hébraïque à l’histoire de l’humanité 1 ». La b’rît est tantôt alliance, tantôt pacte ou contrat. C’est le cas pour le mot anglais covenant et le vieux mot français convent. Qu’on traduise le terme b’rît par alliance ou par pacte, il contient toujours la notion d’obligation imposée par une personne soit à elle-même, soit à une autre, et si l’obligation que l’on s’impose à soi-même équivaut à une promesse, celle qui est imposée à autrui correspond à un commandement. En fait, la b’rît inclut toujours un partage de responsabilités. Le choix divin investit l’homme d’une tâche précise. La b’rit est une oeuvre en commun. C’est ainsi que les puritains la perçurent.

  Une caractéristique fondamentale du puritanisme est sa force émotionnelle. Le révérend Cotton adopta sans restriction l’intimité et la spiritualité de la relation entre Dieu et son peuple, telle qu’elle est comprise par les penseurs hébreux, étant entendu que les chrétiens régénérés sont maintenant les élus de Dieu. Par son intensité émotionnelle, la relation d’alliance, de covenant, va au-delà du simple contrat ; on en a un parfait exemple avec la métaphore de la relation conjugale, très présente chez les prophètes. Le covenant est une histoire d’amour entre Dieu et l’élu, et parce que la doctrine du covenant apparaît comme la pierre angulaire incontestable de la théologie puritaine, il est possible de dire que le puritanisme est une religion du coeur.

T. Hicks, Protrait de jeune fermière puritaineOn peut attribuer à Henrich Bullinger, le successeur de Zwingli à Zurich, les prémices du concept d’alliance, de pacte avec Dieu tel qu’il fut adopté et développé par les divines anglais dès le XVIe siècle, en particulier par le théologien élisabéthain William Perkins, maître à penser de Cambridge lorsque John Cotton y faisait ses études. Aussi bien, retrouvons-nous dans l’oeuvre du révérend Cotton les cinq points qui marquent la théologie de l’alliance selon Bullinger :

  1. Une seule alliance entre Dieu et les hommes, conclue d’abord avec Adam – ce que Perkins appellera le covenant of works (l’alliance des oeuvres), accomplie et renouée par le Christ et enseignée par les apôtres.Bullinger insiste sur la nécessité de retourner au temps de l’Église primitive.

  2. Conditionnalité de l’alliance : Dieu offre sa grâce, promesse réalisée en Jésus- Christ, tandis qu’à l’homme sont demandés la foi et l’amour.

  3. Importance de l’Écriture, considérée comme le livre même de l’Alliance.

  4. Remplacement par le Christ des anciens sacrements ou sceaux de l’alliance – circoncision et Pessah – par le baptême et l’eucharistie.

  5. Foi chrétienne conçue comme l’essence de l’alliance contractée d’abord avec Adam ; de ce fait, l’accent est mis sur la place suprême de la Réforme dans l’histoire du salut, puisque Bullinger voit la foi réformée comme la seule véritable, et fait remonter la religion réformée à Adam.

  John Cotton mit le concept d’alliance au coeur de sa pensée religieuse et de son organisation ecclésiale. Il écrivit et publia plusieurs traités et nombre de ses sermons ont été recopiés par ses fidèles ou ses disciples, qui les firent imprimer. Deux ouvrages majeurs sur le covenant, fondés sur des sermons prêchés en Amérique, tous deux traitant de la grâce, sont parvenus jusqu’à nous : The Covenant of Grace as it is dispensed to the elect seed effectually unto Salvation et The Covenant of Gods Free Grace, most sweetly unfolded and comfortably applied to a disquieted soul from that texte of 2 Sam 23,5. Il a également abordé le thème dans ses prédications anglaises. Ces sermons, réunis dans deux recueils, Christ the Fountaine of Life et The Way of Life, ont été prêchés sans doute entre 1624 et 1632. La date est vague, j’en conviens, mais il est en tout cas certain qu’ils furent prêchés en Angleterre, et c’est ce qui importe, car sa pensée évolua au fil des ans en fonction des événements auxquels il fut confronté. Il est un fait que la prédication de John Cotton, vicaire de Saint Botolph à Boston, Lincolnshire, n’était pas le même que celle de John Cotton, pasteur de l’Église congrégationaliste 2 de Boston, Massachusetts. À Saint Botolph, paroisse multitudiniste 3, il réussit à rallier toutes les sensibilités autour de lui en prêchant avant tout la miséricorde et l’amour de Dieu pour ses élus. Prenons pour exemple le sermon qu’il fit sur 1 Jn 5,12. Il commença par exposer trois formes d’alliance présentes dans l’Ancien Testament, « alliance entre le Prince et le peuple… entre l’homme et son épouse…. entre amis ». Ne s’arrêtant que brièvement sur les deux premières alliances, il développa la troisième, utilisant pour montrer l’amour mutuel de Dieu et de son peuple l’image de « l’alliance de sel » de 2 Ch 13,5 parce que « le sel mangé ensemble exprime la familiaritéet la durabilité ». Cette ouverture l’amena à parler de l’obéissance que l’élu doit à Dieu et des bienfaits que Dieu lui dispense :

  La ligue d’amitié n’implique pas seulement la préservation de l’affection, mais réclame une sorte de communication secrète entre eux : Dieu satisfait nos supplications en tant qu’ami, et nous observons ses commandements en tant qu’amis grâce à l’intégrité de notre coeur.

  Dans l’alliance d’amitié, il y a réciprocité. Dieu fait connaître sa volonté,

  parfois dans la Prière, parfois dans l’Humiliation, parfois à notre manière, parfois d’une autre, afin que nous puissions voir qu’il marche vers nous dans une alliance d’amitié ; et ainsi il jouera le rôle d’un ami. Il nous conseillera pour le mieux, il nous dira quelle est la meilleure voie que nous puissions emprunter (Ps 25,12). Il viendra pour nous dire ce qu’il veut que nous fassions…

  L’élu s’engage de son côté à toujours faire la volonté de Dieu et à ne rien entreprendre sans d’abord consulter le Seigneur. La pointe de son sermon est que le Christ nous est offert dans l’alliance de grâce : à nous de le saisir et d’avoir la vie. Pour mieux faire comprendre à ses paroissiens la force de l’amour entre Jésus-Christ et l’âme fidèle, notre révérend le compare à l’affection qui lie le mari et la femme et sa définition devient charnelle ; il voit la rencontre entre Christ et l’âme comme celle de deux amants :

  Regardez l’affection qui existe entre le mari et la femme, est-ce que vous avez ressenti pareille affection dans votre âme pour le Seigneur Jésus-Christ ? Avez-vous un désir fort et profond de le rencontrer dans le lit des amours, toutes les fois que vous vous rendez à la congrégation ? Et désirezvous que les semences de sa grâce soient répandues dans votre coeur, et désirez-vous lui offrir les fruits de la grâce ? Et désirez-vous être à lui et à nul autre, et désirez-vous lui faire part de tous vos projets et secrets, et désirez-vous ne rien faire qu’il ne vous ait conseillé et instruit ?

Cotton croyait au double covenant, celui de la grâce et celui des oeuvres. Il insista toujours sur l’impuissance de l’homme à se saisir du Christ si Dieu ne l’avait appelé et donc sur la passivité humaine dans l’accueil de la grâce. Il n’en exhorta pas moins ses fidèles à « aplanir le chemin pour lui » par l’espérance qu’ils mettaient dans les promesses divines et l’expérience qu’ils tiraient de ses réalisations et aussi, disons le, par une bonne conduite. On voit combien il est difficile pour un ministre puritain de ne pas teinter sa prédication d’une touche d’arminianisme 4, alors même qu’il clame pour seulcredo le Sola Gratia / Sola Fide et la conversion soudaine et irrésistible. En fait, par le concept d’alliance entre Dieu et l’homme, Cotton allait pouvoir réhabiliter la Loi sans tomber dans l’arminianisme. Ainsi, nous lisons dans son premier traité américain sur le Covenant of Grace :

  Quoique le Seigneur se donne gratuitement à l’âme, et donne son Fils, et tous les bienfaits de l’Alliance de Grâce, sans qu’aucune oeuvre de la Loi ne soit prise en compte, néanmoins, la Loi est d’un usage particulier et notable pour les fils des hommes, tant pour ceux qui n’ont pas encore été amenés à Dieu par la grâce de la conversion, que pour ceux qui sont régénérés en Jésus-Christ.

  Il est clair que John Cotton craint une spiritualité qui ferait négliger la loi morale. Et en termes très pauliniens, il va expliquer pourquoi la Loi est nécessaire aux élus de Dieu :

  Pour aggraver leur péché, et le multiplier en eux, c’est à- dire, pour aggraver en leur conscience l’appréhensionqu’ils ont du péché et faire sentir le fardeau de leurs péchés sur leur âme, afin de les contraindre à percevoir le grand besoin qu’ils ont du Seigneur Jésus-Christ…

  Cette sagesse ne l’empêcha pas d’être accusé « d’antinomisme » 5 par ses collègues de la Nouvelle Angleterre où il émigra en 1633, pourchassé par les autorités ecclésiastiques anglaises pour « non-conformité » aux directives de l’évêque Laud. Il y retrouva un certain nombre de ses ouailles de Saint Botolph et, tout naturellement, fut nommé teacher, c’est-à-dire docteur selon Calvin, de la petite Église de Boston. Il avait aussitôt prêché un Réveil religieux, qui avait provoqué conversions et enthousiasme. Il prêcha l’alliance de grâce, apportant le réconfort aux fidèles en proclamant

qu’elle était la substance de leur salut. Certains prirent son message comme une invitation à rejeter l’Église au profit d’une relation directe avec Dieu.

La crise éclata en 1637 au sein de sa paroisse entre les partisans d’une certaine Anne Hutchinson, qui ne voulaient entendre prêcher que la grâce, et les partisans de l’autre pasteur, John Wilson, dont la prédication était qualifiée par ses adversaires de « légaliste ». L’affaire, qu’on appela la « controverse antinomiste », se solda par un procès. Craignant le chaos civil plus que l’hérésie religieuse, les magistrats expulsèrent les Hutchinsonians de la colonie et le révérend Cotton subit une disgrâce passagère car beaucoup, dans la colonie, le tinrent pour responsable des « déviances » théologiques d’une partie de ses paroissiens.

Anne Hutchinson conduite à l’échafaud. Gravure du XIXe siècleSon prestige une fois restauré, Cotton reprit sa paroisse en main et poursuivit la tâche qu’il avait entreprise dès son arrivée, qui était d’établir une société de saints, liés entre eux et avec Dieu et avec l’Église par une alliance. Déjà, à Saint Botolph, Cotton et une dizaine de fidèles s’étaient unis dans une alliance avec le Seigneur. Sitôt arrivé à Boston avec sa femme et son fils né en mer, il renoua avec cette coutume qui devait devenir la marque du congrégationalisme : dans la piété, l’émotion et l’enthousiasme, le nouveau membre de l’Église s’unissait à Dieu et aux frères par un « saint covenant » après avoir reconnu ses errements, raconté sa « conversion » et s’être engagé à obéir à Dieu et à ses lois. Seuls ceux qui s’étaient engagés par alliance dans une Église de leur choix pouvaient recevoir les sacrements et aussi avoir accès au statut de freeman (c’est-à-dire d’homme ayant droit de suffrage). Par ce mode de fonctionnement, John Winthrop et ses pairs, qui l’avaient imposé dès 1631, voulaient s’assurer de la conformité religieuse, de la piété et du comportement moral de ceux qui détiendraient le pouvoir au Massachusetts. Foi et moralité remplaceraient dorénavant les privilèges héréditaires. Seulement, le système provoqua des dissensions au sein de la population. Nombre de pieux colons s’opposèrent au church covenant, car ils ne voyaient pas la nécessité de se lier à une Église par une alliance, et s’insurgèrent contre l’inéligibilité politique dont ils étaient frappés s’ils ne professaient publiquement leur foi. L’abondance de traités et ouvrages apologétiques défendant la cause du congrégationalisme montre que les puritains de la Nouvelle-Angleterre ne représentèrent jamais une société monolithique et que, dès les premières années de la colonisation, le modèle d’Église visible cher à Cotton était contesté. Cotton défendit sa position dans une lettre qu’il adressa à ceux qui, à l’issue de la crise antinomiste, avaient préféré l’exil plutôt que de rester dans une paroisse où l’on prêchait le « légalisme ». Il leur rappela qu’il y avait deux covenants : le covenant of grace et le covenant passé avec Moïse et renouvelé dans les plaines de Moab (Dt 2,1-3 ; 29,1), c’est-à-dire le covenant of works. Puis il avait posé la question :

   Est-il possible que vous puissiez croire que le church covenant avec les Juifs faisait partie du Covenant of grace et pourtant croire que le church covenant avec les Gentils ne fait pas partie du Covenant of Grace ? Il est manifeste que l’Église sous l’Évangile est appelée une épouse, une fiancée, comme l’est l’Église sous la Loi, et qu’il ne peut y avoir de mariage sans un contrat. Quand un certain Akân 6 pécha, toute la congrégation fut considérée comme ayant péché parce qu’ils étaient liés ensemble par un covenant. De ce fait, nous espérons qu’aucun de vous n’est tellement convaincu par le familism 7 qu’il en est venu à penser qu’il n’y a pas de church Covenant, mais Christ seulement. Mais le Church covenant est sacré et inviolable, il est perpétuel et éternel, c’est un covenant ; perpétuel et éternel qu’aucun pouvoir d’homme ne peut dissoudre il fait partie du Covenant of grace 8.

Nous voyons une nouvelle fois la portée de l’Ancien Testament dans la conception que John Cotton a de l’alliance avec Dieu et le parallèle qu’il fait entre l’Église des juifs et celle des chrétiens, le mot Église étant pris dans le sens de communauté de l’Alliance, c’est-à-dire le peuple de Dieu, le peuple élu.

  La révolution cromwellienne fit monter la fièvre en Nouvelle Angleterre et donna au révérend Cotton l’occasion d’ouvrir le livre de l’Apocalypse johannique afin d’y chercher, par une exégèse historico-prophétique, à donner un sens aux bouleversements survenus en Angleterre. Le concept du millenium avait d’ailleurs tout pour plaire aux puritains puisqu’il y est question de nouveau cieux, de nouvelle terre, compris comme un retour au temps anciens, de restauration, de régénération, de pureté et de justice. Afin d’y préparer ses fidèles Cotton prêcha toute une série de sermons sur le dernier livre de la Bible. D’évidence, il était maintenant persuadé que la Nouvelle Angleterre occupait une place particulière dans le plan de Dieu, puisqu’il affirma que le Seigneur avait choisi ses habitants pour établir un modèle ecclésiastique qui fut totalement libre des pollutions de la Bête. Le thème était de plus propre à rassembler les saints et à stimuler leurs espérances en l’avenir.

  Ce qui est très intéressant, c’est l’interprétation qu’il donne des mille ans à venir et de la première résurrection annoncée par le visionnaire Jean (Ap 20). Cotton comprend les mille ans comme le temps de la régénération de l’Église du Christ et conçoit la première Résurrection spirituelle et non corporelle, en opposition avec la seconde Résurrection. Il s’oppose donc à l’interprétation selon laquelle ceux qui ont droit à cette première Résurrection sont les « saints aux Cieux », parce qu’il ne voit pas pourquoi il y aurait une limite de mille ans à la félicité des saints dans les Cieux. Il est persuadé que les membres de l’Église seront ressuscités par la régénération et le travail de la grâce de Dieu dans les coeurs. Les mille ans seront un temps de combat pour la purification de l’Église et donc, de militantisme pour les Églises du Christ (lisez congrégationalistes). Car c’est  bien de cela dont il s’agit. Cotton a l’intime conviction, et dans son traité intitulé The Way of Congregational Churches Cleared, publié en 1648, il le dit clairement, que le « système congrégationaliste » est un retour à ce que Christ « nous avait légué ».

  Une question se posa à moi durant mes recherches sur la pensée de John Cotton : y a-t-il un rapport entre la théologie du covenant et les espérances eschatologiques ? Je crois pouvoir affirmer que le rapport est étroit. Le concept de l’alliance avec Dieu est enraciné dans l’histoire du Salut, celui des juifs, puis celui de l’humanité. L’essence même de cette alliance est éternelle. Partie de l’aube des temps, elle demeurera jusqu’à la fin des temps qui est aussi fin de l’Histoire. La lecture qu’en fait John Cotton lui permet de relier les fins dernières aux temps qui ont précédé et d’associer les saints de la Nouvelle-Angleterre, peuple choisi par Dieu, il en est persuadé, à la régénération de l’Église du Christ. Dans la théologie du révérend Cotton les espérances eschatologiques s’entremêlent à l’élection et au concept d’alliance. Le Dieu qui appelle et qui s’allie au croyant, est le Dieu qui met en mouvement, et oriente vers l’à-venir promis.

Pour aller plus loin, on pourra lire, de Liliane Crété :

John Cotton 1585-1652 – Au coeur de l’émotion puritaine,

Genève, Labor et Fides, 2007.

  • 1 André Neher, L’essence du prophétisme, Paris, Calmann Levy, (1958), 1983, p. 111. 2 Les Églises congrégationalistes sont autonomes, tant dans leur organisation ecclésiale que financière. 3 C’est-à-dire ouverte à tous. 4 Terme qualifiant la doctrine de Jacob Arminius (1560-1609) qui identifia la prédestination avec la prescience de Dieu et soutint que l’humanité avait une responsabilité dans son salut. 5 Selon l’étymologie du terme, il s’agit de la doctrine qui rejette la Loi. 6 L’infidélité d’Akân est racontée en Josué 7. 7 Souvent assimilés aux anabaptistes, les Familists, assez nombreux alors en Angleterre, se fondirent au XVIIe siècle dans le mouvement Quaker. 8 « John Cotton to Members of the Boston Church Living at Aquidneck », September [20 / 26], 1640.

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