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Le christianisme est-il un humanisme ?

Que nous apprend l’histoire ? L’homme n’est-il pas inhumain ? Comment penser l’humain aujourd’hui ?

  Quand la philosophie se place sous le signe de la déconstruction du sujet et que les héritiers des maîtres du soupçon (Nietzsche, Marx, Freud…), qui proclamaient la mort de Dieu, proclament, eux, celle de l’homme, une telle question peut paraître désuète. L’interrogation du psalmiste, cependant, nous poursuit : « Qu’est-ce que l’homme que tu te souviennes de lui, et le fils de l’homme que tu le visites ? » (Ps 8,5)

  Nous aimerions alors répondre qu’assurément le christianisme est un humanisme. Car le contraire de l’humanisme, c’est la barbarie. Or au coeur de l’expérience chrétienne demeure un héritage, celui de la Loi de Moïse : « Tu ne commettras pas de meurtre. » Pas plus qu’il n’est permis de mettre la main sur Dieu, il n’est loisible d’attenter à la personne humaine créée à l’image et à la ressemblance de Dieu. L’humanisme est d’ailleurs toujours hanté par cette figure de la barbarie, dans la considération d’une énigme : l’homme, un peu moindre qu’un Dieu, est néanmoins capable de monstruosité.

  Le christianisme a progressivement élaboré un discours doctrinal sur l’homme. Une théologie de la création voyait en l’homme, être de mémoire, d’intelligence et de volonté, situé dans un cosmos harmonieux et hiérarchisé, une image de Dieu, encore à l’ébauche. Une théologie de l’incarnation affirmait que cette image déjà esquissée trouvait sa parfaite réalisation dans le Christ, dont la nature humaine était intimement liée à la personne du Verbe éternel de Dieu. Figure humanodivine quasi mythologique, le Christ, nimbé de toutes les vertus de la perfection, était présenté comme le modèle d’une vie entièrement accomplie, ordonnée au souverain bien.

  Avec l’émergence de la modernité, au passage du monde clos à l’univers infini, la pensée occidentale a redécouvert l’homme comme un être hors normes, indéfinissable, en charge de lui-même, mesure de toute chose. Ce qu’au regard de l’histoire, on appelle l’humanisme est d’ailleurs plus qu’une conception de l’homme. Il se veut parti pris d’éducation et pari sur un sujet conçu comme un antidestin et une antiprovidence, invité à « faire l’homme », pour reprendre l’expression de Montaigne, dans une parfaite honnêteté, en une requête d’autonomie et de liberté.

  On a aussi vu émerger un humanisme chrétien, animé d’une confiance en la nature humaine. Mais le christianisme a également été traversé par des courants antihumanistes, un Pascal par exemple, nourris tout particulièrement de la lecture d’Augustin. L’antihumanisme n’est cependant pas le contraire de l’humanisme. Il correspond à une certaine manière de concevoir l’humanisme, animé par le refus de l’anthropolâtrie et de l’affirmation d’une totale autonomie de l’homme. L’antihumanisme est somme toute un humanisme traversé par le sentiment tragique de la vie et habité par la peur que plus on invite l’homme à se tenir debout, plus on l’invite à se passer de Dieu.

  Mais la modernité a fait long feu. Que peut-il rester de l’humanisme, après Verdun, Hiroshima, Auschwitz ? Qu’est-ce qu’être chrétien, juif, musulman, athée ou libre penseur, à quoi bon vouloir donner une définition de l’homme, si on est inhumain ? Désormais, s’il y a encore un défi de l’humanisme, ce serait alors celui de s’abandonner au risque de l’autre, en délaissant tout modèle d’humanité et toute théorie du sujet, pour éprouver en chaque individu la valeur de l’humain, la rareté sans prix de ce qui n’existe jamais qu’en un seul exemplaire et qui, à ce titre, est digne d’un infini r espect.

  À ce point, il peut être bon d’en revenir à Jésus, en son absolue singularité de prophète galiléen et de maître de sagesse. Un Jésus ouvert à la transcendance, en une familiarité avec un Dieu qu’il appelle papa ; dans une intériorité qui le rend entièrement présent à soi ; en une présence au monde qui l’établit dans une disponibilité permanente à la rencontre d’autrui, aussi inattendue soit-elle. Jésus, non plus comme un modèle éthique ou comme l’idéal d’une humanité régénérée, mais un homme comme personne.

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À propos Richard Cadoux

a été professeur d’Histoire à l’Institut Catholique de Paris avant de devenir pasteur de l’Église Protestante Unie de France, d’abord en poste à Vernoux puis actuellement à Paris (Oratoire du Louvre).

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