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La liberté d’être esclave

La loi est-elle une contrainte ou une libération ? Sans craindre les paradoxes, Paul proclame que le commandement de l’amour libère le chrétien de la loi en faisant de lui un serviteur du prochain.

Paul explique aux Galates que Christ nous a libérés du joug de la loi. Et que ce qui compte pour être justifié, c’est la foi agissant par l’amour. Et que la loi n’est qu’un esclavage. Pourtant ce n’est pas une idée évidente. Dans le judaïsme traditionnel, la loi est au contraire une libération. Aussi chez nos grands auteurs ; Voltaire écrit : « La liberté consiste à ne dépendre que des lois ». Et Rousseau : « L’obéissance à la loi est liberté ». En effet la loi est faite pour dire à chacun quel est son espace de liberté et par contrecoup garantit celui de l’autre. Donc pas de liberté sans loi.

  Alors que veut dire Paul ? Dans le judaïsme de l’époque de Paul, la loi n’est pas que le Décalogue ou même la Thora, mais l’ensemble des codes de vie qui fondent l’identité d’un peuple. Or Paul écrit dans un contexte de transposition de culture. La loi est juive et les Galates sont celtes. Eh oui, ils descendent de Gaulois qui ont envahi le centre de l’Anatolie au IIIe siècle avant J-C. Paul réalise qu’il n’y a aucune raison d’imposer un style de vie juif à des populations étrangères au judaïsme. Alors que le premier réflexe, lorsque des représentants d’un pays évolué entrent en contact avec un peuple étranger, aux coutumes bizarres, éloignées des leurs, est de vouloir le persuader qu’il doit vivre de la bonne manière, c’est-à-dire la leur. Nous en avons de nombreux exemples dans notre histoire, même récente. Paul, dans sa compréhension de l’universalisme, était un visionnaire. Il a compris qu’il ne fallait pas imposer ses coutumes aux autres, mais leur parler de l’essentiel et ne pas se mêler de leur manière de vivre. Paul a réalisé que les lois et les coutumes n’avaient pas de caractère universel, mais dépendaient de l’histoire de chaque peuple, et que celui de la Bible, même s’il se croit élu, n’avait aucun droit pour imposer sa loi aux autres.

  Mais quel est cet essentiel que l’apôtre veut transmettre jusqu’aux extrémités du monde ? Il y répond luimême au verset 14 de ce même chapitre : « La loi toute entière trouve son accomplissement dans cette unique parole : tu aimeras ton prochain comme toi-même. » La seule liberté est donc dans cet amour. Mais est-ce vraiment une liberté ? Paul écrit aux Corinthiens : « Bien que je fusse libre, je me suis fait l’esclave de tous. » Ce que Luther a joliment transformé dans son Traité de la liberté chrétienne de la manière suivante : « Le chrétien est l’homme le plus libre, maître en toute chose, il n’est assujetti à personne. L’homme chrétien est en toute chose le plus serviable des serviteurs, il est assujetti à tous. »

  Nous comprenons donc que le Christ nous libère de l’esclavage d’une loi pour nous faire retomber dans l’esclavage de l’amour du prochain. Mais au moins est-ce un esclavage consenti, qui nous rapproche de la vraie vie, dont nous comprenons l’utilité et qui peut nous faire vibrer au plus profond de nous-mêmes. En grec le mot doulos signifie aussi bien esclave que serviteur, car il n’y pas de distinction entre ces deux statuts. Tous les serviteurs sont des esclaves. Traduisez alors, si vous préférez, par « service du prochain ». Dieu libère l’homme en lui demandant de se mettre au service de celui qui a besoin de lui.

  À cette première assemblée de Jérusalem, où Paul et Barnabas négocient avec les disciples les conditions de l’entrée dans la communauté chrétienne, Paul conclut (Gal 2,10) que lui et ses compagnons pouvaient continuer à convertir les païens « à condition qu’ils se souviennent des pauvres ». Même conclusion, la loi est remplacée par le souci du pauvre. Soyons des esclaves aimants.

  Luther traduit tout cela par ces deux belles phrases :

  « Le chrétien est élevé au dessus de lui-même, en Dieu ; là est la foi.

  Le chrétien est abaissé en dessous de lui-même en son prochain ; là est l’amour. »

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À propos Henri Persoz

est un ingénieur à la retraite. À la fin de sa carrière il a refait des études complètes de théologie, ce qui lui permet de défendre, encore mieux qu’avant, une compréhension très libérale du christianisme.

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