Le Christ est-il « mort pour nos péchés » ? Anselme de Cantorbéry a beaucoup participé au XIe siècle à la diffusion de cette façon de voir. Mais on peut aussi penser que Dieu n’a pas eu besoin du sacrifice de Jésus pour nous accorder son pardon.
Les pharisiens, gardiens d’un intégrisme puritain qu’ils croyaient être la volonté de Dieu, n’ont pas admis la réforme libératrice et joyeuse que proposait Jésus, faite de compassion et d’espérance, certainement dans la ligne des grands prophètes d’Israël comme Ésaïe, Michée ou Amos, mais radicalement opposée à la sclérose dans laquelle s’enfonçait le judaïsme qui se prétendait rattaché à Moïse lui-même.
Ils ont réussi à obtenir la condamnation de Jésus et, nous dit Matthieu qui rapporte ce symbole de mort, ont scellé sa tombe de leur sceau et l’ont fait garder par leur propre garde !
Lors de sa terrible nuit d’angoisse à Gethsémané, Jésus aurait sans doute pu fléchir, abandonner son ministère, nous laisser aux mains des pharisiens en leur faisant allégeance ou en fuyant à l’étranger. Son engagement total en faveur du Dieu d’amour et de vie dont il nous révélait le dessein l’a amené au sacrifice de sa vie, scandale pour Dieu qui voyait mettre à mort le chantre de son Royaume, tristesse profonde pour « les hommes de bonne volonté » qu’il avait entraînés dans son enthousiasme et qui, aujourd’hui encore ne se consolent pas de cette horrible et scandaleuse Croix.
Le sacrifice de sa vie, Jésus ne l’a pas fait, comme l’enseignait saint Anselme au Moyen Âge, dans un but d’expiation afin d’apaiser la colère d’un Dieu en rage de voir l’humanité lui échapper et menaçant d’expédier tout le monde en enfer.
Le professeur André Gounelle écrit :
« Anselme s’inspire du droit féodal. L’être humain est un vassal qui doit à Dieu, son suzerain, soumission et respect. Or, l’être humain se conduit comme un mauvais vassal et fait ainsi doublement tort à Dieu. D’abord, il le vole en ne rendant pas le service qu’il doit à son seigneur. Ensuite, il l’offense, en faisant de lui un maître incapable de se faire obéir. Cette situation, Dieu ne peut pas la tolérer. Il doit ou bien punir les humains, ou bien recevoir d’eux une indemnité qui compenserait le tort qu’il a subi, et lui restituerait l’honneur qui lui a été enlevé.
Cette réparation, les humains se trouvent dans l’incapacité de la faire. En effet, toutes leurs bonnes oeuvres, ils les doivent normalement à Dieu. De plus, la majesté infinie de Dieu rend infinie toute offense à son égard, et les humains, êtres finis, n’ont pas les moyens d’offrir quelque chose qui soit à la hauteur du dommage et de l’injure. La justice, que Dieu ne peut pas transgresser sans se renier lui-même, exige donc la condamnation de l’humanité.
Mais Dieu n’est pas seulement juste, il est aussi miséricordieux. Il vient lui-même, ou plus exactement, il envoie l’une des personnes de sa Trinité, pour payer à la place des humains la dette et l’indemnité qu’ils sont hors d’état de régler eux-mêmes. La mort de Jésus rachète leurs fautes, rétablit sa gloire et manifeste sa compassion. Jésus se substitue aux humains, il subit à leur place la punition qui devrait normalement leur être infligée. Il y a “expiation substitutive”.
En quoi Dieu fait-il ici preuve de miséricorde ? Il se préoccupe beaucoup de ses intérêts et de sa gloire. Il envoie son Fils à une mort horrible pour satisfaire son honneur. Il pardonne seulement quand on l’a payé. On est très loin du salut gratuit.
En quoi le supplice d’un innocent à la place d’un coupable satisfait-il la justice ? N’est-ce pas une scandaleuse injustice ? » (« Jésus-Christ est-il mort pour nous ? » É & l n°248, avril 2011)
Jésus a vécu le tragique de l’existence humaine aux prises avec les forces obscures de la défaite et de la mort. Il est mort en récitant, comme tant de gens avant lui et après lui, le début du Psaume 22 : « Mon Dieu, mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » Il prend place dans la longue lignée des martyrs qui sont morts en criant leur détresse à la face du ciel. Et à cause de ce premier vendredi saint, la Croix est le symbole du christianisme, religion du Dieu dont la Présence nous donne le courage d’affronter la souffrance et de l’assumer avec la force du souffle divin qui monte en nous.
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