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Halte au clivage !

«Ne le répétez pas à mon pasteur, il serait déçu. » « Ça, je ne peux pas le dire à mes paroissiens, ils ne l’accepteraient pas. » Ce dont il est question, dans ces secrets, c’est de convictions en matière de foi. Ne pas répéter que je ne crois pas que Jésus est physiquement ressuscité ; ne pas dire à ses paroissiens que la résurrection de Jésus n’est pas matérielle. Terrible situation où tout le monde pense la même chose, mais n’ose pas le dire parce que personne ne s’y sent autorisé.

Lorsque deux attitudes contradictoires coexistent en nous, nous sommes victimes d’un clivage, au sens psychanalytique du terme. Nous sommes tiraillés entre deux rapports contradictoires au réel : l’un tient compte de la réalité, l’autre la dénie. En matière de religion, nous sommes servis : les possibilités ne manquent pas d’être tiraillés entre ce que nous pensons devoir croire et ce que nous éprouvons effectivement. Non seulement nous constatons que les miracles de Jésus ne fonctionnent pas tels quels dans la vie quotidienne, mais Dieu ne nous parle pas de la même manière qu’il parle aux personnages bibliques, nous ne pouvons pas boire de poison sans dommage comme nous y invite la fin de l’évangile selon Marc, etc. La religion chrétienne peut être source de clivage par l’écart qu’il y a entre ce que les textes bibliques disent, selon une lecture littérale, et ce que nous constatons au jour le jour. À cela nous pouvons ajouter les méfaits d’éléments de la tradition qui vont, eux aussi, à l’encontre de nos expériences personnelles (du pain qui changerait de nature, le premier récit de la Genèse qui serait un récit scientifique de la fabrication du monde, Moïse qui serait l’auteur des cinq premiers livres bibliques, Jésus qui, d’après les reliques, aurait eu prépuce de plusieurs mètres ou de quoi construire des dizaines de bateaux avec tous les morceaux de la croix, un homme qui aurait écrit la stricte parole de Dieu sous sa dictée, la Bible qui serait le seul endroit où le divin s’exprime…).

Ces clivages s’installent d’autant plus que personne n’ose briser le silence complice qui unit ceux qui transmettent ces aspects sans s’interroger à leur sujet. Personne n’y croit, mais tout le monde joue un rôle auquel il pense devoir être fidèle : le pasteur ne dit pas ce qu’il pense, il ne partage pas le fruit de ses réflexions, de ses études, mais ce qu’il imagine être attendu de ses paroissiens. Quant aux paroissiens, ils se glissent dans le costume prêt à porter du chrétien qui, c’est ce qu’ils imaginent, n’est chrétien qu’à la condition de tenir pour vraie une série d’affirmations parmi lesquelles celles que nous avons relevées comme peu crédibles. Ce qui est préjudiciable, c’est ce clivage qui gagne les individus : comment concilier en soi deux attitudes inconciliables, sinon par la formule magique « il est grand le mystère de la foi » qui s’écroulera le moment venu, lorsque le noyau dur de notre foi, ce à quoi nous sommes vraiment attachés, sera radicalement contredit ? Le clivage est strictement diabolique. Il sépare ce qui devrait être uni, il divise l’homme qui devrait être un, et non un être fragmenté, incapable de tenir ensemble les différents aspects de sa vie. Quand la religion génère de tels clivages, elle contrevient à sa vocation qui est de permettre l’unité de la personne par des symboles.

Jusque là, j’ai évoqué des situations malheureuses qui tiennent surtout à un déficit de pensée. Il est des situations où l’attitude du pasteur conduit à une prise de pouvoir sur le paroissien. Cela arrive lorsque le pasteur s’arroge un droit sur celui qui vient à lui : le droit d’accueillir ou non, le droit de bénir ou non, le droit d’enseigner ou non et, pire que tout, l’appropriation de la personne, lorsque le désir du pasteur l’emporte sur le réel et sur le droit du paroissien, lorsque les décisions du pasteur sont dictées par son clivage personnel et qu’il cherche à préserver l’institution contre ce qui est en fait le réel. Ce faisant il ne sert ni l’institution ni l’Évangile qui, lui, nous libère de nos cliv ages.

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À propos James Woody

Pasteur de l'Église protestante unie de France à Montpellier et président d'Évangile et liberté, l'Association protestante libérale.

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