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Guérir, soulager, consoler

Bien que l’éthique médicale se soit construite en dehors de références religieuses, la foi est un des déterminants majeurs de la relation médecin-malade. Elle permet de préserver une relation basée sur le respect réciproque et la confiance mutuelle.

La relation médecin-malade est une relation complexe qui a évolué au cours des siècles avec les progrès de la science et de la société. Dès l’antiquité, Hippocrate avait théorisé une éthique médicale propre, indépendante des croyances religieuses, mais il aura fallu attendre les lois du 4 mars 2002 et du 22 avril 2005 pour voir apparaître en France les notions juridiques d’information, de consentement éclairé et de droit des malades jusqu’en fin de vie.

  Sur le plan général, la relation médecin-malade est influencée par de nombreux facteurs individuels et socio-culturels, mais il s’agit dès le départ d’une relation trés asymétrique. Le principal facteur de déséquilibre est la nécessité des actes de soins qui ne permet pas toujours au malade d’exercer son libre choix. Cette réduction de la capacité à disposer de soi-même peut être aggravée par de multiples facteurs, comme l’isolement, la diminution physique, la capacité de compréhension ou l’appartenance à un milieu défavorisé.

  Le deuxième facteur important d’inégalité est le pouvoir des soignants sur le corps. Pour certaines personnes, devoir se dénuder et devoir se laisser toucher dans le cadre d’un simple examen clinique peut générer un malaise important. De même certains gestes invasifs comme les actes chirurgicaux ou les examens intimes peuvent également être ressentis comme une atteinte à l’intégrité de la personne, alors que le médecin n’en a pas toujours conscience. La possibilité d’une telle atteinte est d’ailleurs inscrite dans le code civil (art. 16) : « Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne. » La formulation négative souligne le caractère exceptionnel de cette atteinte.

  Un troisième élément de perturbation est la culpabilité ressentie par certains malades. Elle agit comme un filtre empêchant la guérison, à tel point qu’il semble parfois que la pathologie physique en soit une conséquence directe. La maladie serait alors le prix à payer pour une faute, réelle ou imaginaire, commise par le malade. Ce mode de pensée, souvent inconscient, ne touche pas que les patients mais peut également s’étendre à leurs proches. Le malade est un coupable : il n’y a donc pas d’injustice, ce qui est finalement très rassurant pour les biens portants.

  Au cours du temps, plusieurs modes de relation médecin-malade se sont succédé. Le modèle le plus ancien, qui existe depuis Hippocrate, est dit « paternaliste » car le médecin est à la fois protecteur et gardien de l’intérêt du malade. Il administre les soins à sa guise et prend seul les décisions thérapeutiques, ce qui implique que le soigné n’a pas la capacité de choisir pour lui-même. Cette notion se retrouve dans la version originale du serment d’Hippocrate : « Je dirigerai le régime des malades à leur avantage, suivant mes forces et mon jugement. » Ce serment a été remplacé en 1996 par le serment de l’ordre français des médecins qui insiste beaucoup plus sur l’implication du patient dans les soins.

  Au cours du XXe siècle les évolutions de la société ont profondément modifié ce rapport et, actuellement, les droits et les règles de protection des personnes en matière de santé sont inscrits dans le Code de la Santé publique (art. L1110 à L1115). Deux éléments majeurs sont à retenir : l’obtention du consentement « à rechercher dans tous les cas », et le droit à l’information : « Toute personne a droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés. » Il est important de noter que le patient peut choisir d’être tenu dans l’ignorance de sa maladie et qu’il peut refuser les soins s’il le désire. Ce modèle dit « autonomiste » pense la relation médicale comme une prestation contractuelle dans laquelle le médecin et le malade sont partenaires à part égale. Son principe moral n’est pas de soigner àtout prix mais plutôt de respecter la liberté de choix du patient. Ce modèle présente cependant des limites, car l’information n’est pas toujours facile à donner et peut être mal comprise. Le problème le plus délicat pour le médecin n’est pas de donner une information exhaustive mais plutôt de savoir comment la rendre compréhensible. La question du consentement reste également à débattre car il est difficile à obtenir chez les personnes incapables d’exercer leur jugement et se trouve parfois imposé au patient par le corps médical simplement par le mécanisme de la suggestion.

  Depuis quelques décennies de nombreux textes de loi encadrent les actes médicaux et la judiciarisation de la médecine est devenue une tendance de fond. De nombreux patients n’hésitent plus à demander réparation en cas de faute médicale et l’avalanche de procès dans certaines spécialités est devenue un véritable problème de santé puisque les médecins, qui ne peuvent plus s’assurer à des tarifs convenables, en viennent à refuser de réaliser certains actes. Les tribunaux peuvent également être saisis pour régler des conflits avec les professionnels lorsque le dialogue et la conciliation ne sont pas possibles. Cette évolution s’est faite en parallèle avec la pratique d’actes médicaux sans but thérapeutique qui ont marchandisé la relation médecin-malade en transformant le praticien en prestataire de service, comme dans le cas de la chirurgie plastique d’agrément demandée par le malade sans qu’il n’y ait de pathologie à traiter.

  Bien que l’éthique médicale soit indépendante de toute religion, je pense sincèrement que la foi reste un déterminant majeur de comportement face au malade pour les médecins croyants. Il est d’ailleurs important de noter qu’elle anime de nombreux praticiens chrétiens, musulmans ou venant d’autres religions et que, dans ce contexte, aucune croyance n’est supérieure à une autre. Toutes peuvent se côtoyer à condition qu’aucune ne cherche à imposer sa vision morale du monde. Discuter avec des collègues d’une autre religion apporte d’ailleurs très souvent un grand enrichissement. Si les problèmes courants n’entraînent, en général, que peu de divergences, il n’en va pas de même pour la conduite à adopter face à certains problèmes d’éthique comme la question de la contraception, l’interruption volontaire de grossesse, ou l’euthanasie pour lesquels il existe des lois mais pas de consensus. C’est alors l’appréciation individuelle de chaque médecin qui s’impose, ce qui revient à dire que le malade n’a plus de libre choix. Sur ces sujets, les divergences entre chrétiens de confessions différentes sont assez marquées et les discussions parfois très animées. La principale raison de ces désaccords est la différence d’interprétation du texte biblique : il est vrai que tout et son contraire peut être dit à partir de versets soigneusement sortis de leur contexte. L’exemple type est celui de la transfusion sanguine qui est rejetée, parfois au risque de la mort, par les témoins de Jéhovah. Le médecin se trouve désarmé devant de telles attitudes en contradiction totale avec l’enseignement qu’il a reçu et il se trouve de plus confronté à un dilemme très difficile à résoudre car son éthique peut se trouver en opposition avec la loi. Ainsi des médecins qui ont pratiqué des actes transfusionnels pour sauver des malades dans le cadre de l’urgence, tout en connaissant le refus du patient, se sont retrouvés devant un tribunal.

  Dans la foi, on peut comprendre que l’homme est une « personne » sensible, fragile, portée par sa culture, ses relations, ses sentiments et agitée par ses passions. En cette période d’évolution rapide de la science, elle permet de préserver une relation basée sur le respect réciproque et propose une attitude préventive contre la dépersonnalisation des malades. En fait, l’application des progrès scientifiques à la médecine n’annule pas le mystère de la vie et la foi suggère la réflexion. Comme le disait le chirurgien huguenot Ambroise Paré : « Guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours. »

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À propos Éric Hernandez

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