Cette parabole du semeur est décidément trop connue. Aussi, ne lisez pas cet article ! Si… lisez-le quand même. L’explication qui est donnée ici n’est pas celle que l’Église répète depuis des siècles.
L’explication traditionnelle est d’ailleurs donnée par les évangiles eux-mêmes : après avoir raconté la parabole à la foule, Jésus en explicite aux disciples le sens : la semence qui est tombée en des endroits pierreux correspond à l’homme qui n’a pas de racines. Celle qui est tombée dans les épines vise l’homme séduit par les richesses, etc.
Une majorité de théologiens contemporains considère que ces explications ne peuvent pas venir de Jésus pour les raisons principales suivantes :
– Le contexte des explications ne correspond pas au temps de Jésus, mais à une époque ultérieure. Par exemple la mention des persécutions, qui ne commencèrent que bien après la mort de Jésus.
– Les explications font appel à l’allégorie qui est un jeu de correspondances entre les objets du récit et ceux de la vie courante (la semence, c’est la Parole de Dieu ; le chemin, c’est le domaine du diable etc.). Les juifs utilisaient peu cette forme d’expression qui vient de la culture grecque. Par contre l’Église primitive s’en est abondamment servie.
– On retrouve la parabole dans l’évangile apocryphe de Thomas, mais sans les explications proposées aux disciples.
– On ne voit pas bien pourquoi Jésus aurait raconté cette parabole à toute une foule et réservé les explications seulement aux disciples.
Nous proposons donc ici un autre sens que celui donné par les évangiles.
En ce temps-là, dans ce pays pauvre d’Israël, un grain était un grain. Il ne fallait pas le perdre et bien faire attention de ne rien envoyer hors des limites du champ, là où se trouvaient les épines et les pierres. Un bon semeur ne sème pas hors des limites de la bonne terre. C’est la première chose à savoir dans ce pays de misère.
Et voila que celui-là sème à tous vents, déborde de tous côtés, envoie les précieux grains sur les rochers, dans les épines et sur les chemins. C’est dans ce comportement déraisonnable, que nous devons rechercher la pointe de la parabole.
Ce semeur est un généreux. Bien sûr, il y a des rochers et des épines. Mais s’il les évite, comme il ne peut pas être trop précis, il devra éviter aussi la bonne terre juste à côté de ces obstacles. Il a le choix entre : éviter les obstacles et ne pas ensemencer toute la bonne terre. Ou bien perdre une partie de la précieuse semence tombée sur des terrains hostiles, mais être sûr que toute la bonne terre recevra les grains et que la moisson sera la plus belle. Perdre des grains, ou perdre de la terre ensemencée. Voila donc le dilemme qui est une parabole du Royaume. Elle parle d’un semeur généreux qui n’a pas peur de perdre sur les mauvais terrains, pour gagner sur les bons.
Nous voyons tous les jours des situations qui ressemblent à celle de la parabole. Sommes-nous sûrs que tous ceux qui viennent bénéficier des actions de solidarité en profitent vraiment ? Et qu’ils ne reçoivent pas des grains qui ne leur serviront de rien parce qu’ils lèveront aussitôt, puis retomberont, faute de racines ? Nous réalisons bien que, pour ensemencer le champ du monde, il faut des gestes larges qui dépassent le strict calcul de la rentabilité. Il faut accepter des actions qui s’avèreront inutiles, du temps et de l’argent perdus, un peu de gâchis. Le royaume de Dieu est à ce prix.
Dans son livre « Une vie », Simone Veil raconte que, délivrée des camps de concentration, elle a traversé toute l’Europe en train, dans des wagons à découvert. Avec elle, tous ces prisonniers qui étaient à peine libérés, mouraient de faim et de soif. Lorsqu’ils traversèrent la banlieue de Prague, les habitants, du haut de leurs fenêtres, leur jetaient de la nourriture. Les trois quarts tombaient à côté. Mais le reste tombait bien et sauvait des vies.
Cette scène nous rappelle tous ces hommes de Dieu qui annoncent le Royaume en semant sur la terre, et en n’hésitant pas à perdre du temps et de l’argent pour sauver le maximum et pour que la moisson soit réussie.
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