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Dürrenmatt, un art protestant

Friedrich Dürrenmatt est sans conteste, avec Max Frisch, l’un des plus grands auteurs suisses alé­maniques du XXe siècle. Du côté suisse franco­phone, il faudrait sans doute ajouter Charles Ferdinand Ramuz pour obtenir quelque chose comme une trinité littéraire helvétique… Malheureusement, Dürrenmatt est assez peu connu des lecteurs franco­phones. On connaît surtout La Visite de la veille dame, en particulier depuis qu’elle a été campée par Line Renaud au théâtre du Palais Royal. Mais, comme nous le montre avec talent Pierre Bühler, Dürrenmatt fut en réalité un auteur aux mille visages puisqu’il ne pratiqua pas seule­ment l’écriture de pièces de théâtre mais aussi d’essais et de romans, sans parler de son œuvre picturale dont le présent dossier nous permet de découvrir quelques exemplaires marquant. Ceux-ci nous permettent en parti­culier de mesurer à quel point certains thèmes bibliques et certaines questions théologiques n’ont cessé d’accom­pagner Dürrenmatt. Fils et père de pasteur, ses interro­gations rejaillissent en effet dans son œuvre dramatique et suscitent encore aujourd’hui la réflexion. On pourrait y voir un paradoxe. Le protestantisme, en particulier réformé, n’a en effet pas toujours été très favorable au théâtre et à la littérature en général. On connaît les prises de position de Rousseau, venant à la rescousse des Gene­vois pour défendre leur opposition à l’installation d’un théâtre à Genève en plein siècle des Lumières. On a donc souvent le sentiment que ce refus du théâtre remonte à Calvin lui-même. Or c’est faux. À Genève, ce n’est qu’en 1617 que des lois somptuaires interdirent les spectacles. Tout au contraire, la Réforme protestante a soutenu le théâtre et son statut « théologique ». Bien sûr, le théâtre a surtout été utilisé comme arme contre le « papisme ». Ainsi, à Genève, en 1561, du temps de Calvin, on joua une Comédie du pape malade, satyre dont on aimerait savoir si Calvin la vit et surtout si on le surprit à rire ! En 1562, on joua une autre pièce satyrique dans laquelle Rome était représentée sous le nom évocateur de « Pornapolis »… Que pensa Calvin ? Mystère ! Mais n’allons pas en tout cas nous imaginer que le rire était absent du théâtre pro­testant comme, d’ailleurs, des autres types d’écrits des Réformateurs : on se pince encore les lèvres en lisant le traité des reliques de Calvin, sans parler des Satyres chrestiennes de la cuisine papale de Théodore de Bèze… Le théâtre protestant a donc connu ses auteurs comiques mais il a aussi eu ses auteurs tragiques. Ici encore, c’est Théodore de Bèze qui l’illustre le mieux avec son somp­tueux Abraham Sacrifiant de 1550. La pièce nous fait plon­ger dans les tourments d’Abraham au moment de sacrifier Isaac, un Abraham que Satan vient tenter pour chercher à le détourner de Dieu. Comme Bèze le dit dans sa préface, sa pièce tient de la tragédie mais aussi de la comédie, le Réformateur n’hésitant pas à faire se déguiser Satan… en moine ! Le rire réformateur, encore et toujours !

À lire l’article de Pierre Bühler  » Friedrich Dürrenmatt (1921-1990): un œuvre à résonances religieuses « 

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À propos Pierre-Olivier Léchot

est docteur en théologie et professeur d’histoire moderne à l’Institut Protestant de Théologie (faculté de Paris). Il est également membre associé du Laboratoire d’Études sur les Monothéismes (CNRS EPHE) et du comité de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (SHPF).

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