Vu de l’extérieur, le judaïsme apparaît parfois comme une religion de la loi ; à cause de la critique paulinienne, mais aussi parce que la loi occupe de fait une grande place dans la tradition juive. Ainsi, dans son tout premier commentaire portant sur la Genèse, Rashi de Troyes se demande pourquoi la Torah commence par un récit de la création plutôt que par la première loi donnée par Dieu à Israël en Exode 12.
Mais la loi, ce n’est pas que la pratique ; c’est aussi la réflexion sur la pratique. Toute la littérature talmudique, le cœur de métier du judaïsme rabbinique, ne se limite pas à énoncer la loi ; elle n’est qu’un exemple concret pour discuter de problèmes plus philosophiques. Surtout, partir de questions pratiques permet de faire participer tout le monde, puisque tout un chacun est confronté à ces questions.
La réflexion sur la loi doit donc s’adresser à tous et prendre en considération la réalité quotidienne, plutôt qu’être une discussion élitiste. Chacun peut participer au débat même s’il n’en perçoit pas l’horizon plus vaste. Ainsi, lorsque le traité Betsa du Talmud pose la question de ce qu’on peut faire d’un œuf pondu un jour de fête, il pose en apparence une question légaliste, immédiatement accessible à la société agricole d’alors. Mais derrière cette question se cache celle de ma relation au monde, car le monde a été lui-même créé un jour de fête : cet œuf qui est en fait le monde, ai-je le droit de le toucher, de le consommer, de le mettre de côté, en suis-je le propriétaire ?
Si je ne veux pas exagérer le caractère démocratique de notre tradition, il faut tout de même insister sur ce point : la loi est aussi ce qui permet d’impliquer tout le monde, car chacun a une responsabilité dans la formulation du débat. Un principe complémentaire veut que le rabbin ne décrète pas quelque chose que la majorité de la population n’est pas capable de suivre. La difficulté à mettre en place des politiques de lutte contre la pandémie nous montre combien ce principe est d’actualité !
(Ce texte est issu d’un entretien accordé à Adrien Duclos)
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