L’impression qui domine la vie contemporaine est celle d’un temps extérieur et dominateur. Le temps semble un bien de plus en plus rare, dont nous ne disposons jamais en quantité suffisante. En témoigne, dans les propos que nous tenons chaque jour, la récurrence d’expressions comme « je n’ai pas le temps », « le temps m’a manqué » ou encore « si j’en ai le temps ». Dans la société, mais aussi dans la vie privée, règne désormais un climat d’urgence généralisé. À l’origine de l’urgence, il y a toujours une contrainte extérieure, qui vient imposer un rythme. L’urgence est, en quelque sorte, le déferlement du temps. Elle est ce moment critique où le temps prend le pas sur l’homme et lui impose sa loi. Dès lors, l’urgence est également une suspension de la pensée critique ; elle est du côté de l’émotion, contre la raison.
Le christianisme offre une rupture avec ce modèle d’accélération du temps, en introduisant un temps fléché, c’est-à-dire orienté vers une fin et, par là même, pourvu d’une signification. Pour les chrétiens, l’histoire doit s’achever par l’avènement du Royaume de Dieu. La Révélation est d’abord une histoire des interventions de Dieu en faveur de l’humanité et c’est sur ces faits historiques, qui ont cependant une portée qui transcende le temps, que peut se fonder toute interprétation concernant la vie spirituelle du chrétien.
Irénée de Lyon (v. 115-v. 200) écrivait au IIe siècle : « Où il y a composition, il y a mélodie ; où il y a mélodie, il y a temps opportun ; où il y a temps opportun, il y a profit. » On a ainsi, déjà, l’idée d’un progrès sans fin de l’homme dans la vision de Dieu, que l’on retrouvera chez Grégoire de Nysse (v. 335-v. 395) et beaucoup d’autres grands spirituels chrétiens : l’essence de l’homme est de devenir Dieu, alors que celle de Dieu est d’être, et d’être infini, inépuisable. C’est pourquoi le progrès est constitutif de la nature de l’homme : comme Dieu est toujours le même, ainsi l’homme qui se trouve en Dieu progressera toujours vers Dieu.
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