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Les Églises wallonnes aux Pays-Bas (2)

 

Langue d’Église depuis plus de quatre siècles, le français a engendré un lien particulier pour ces Églises wallonnes qui, de ce fait, sont aussi restées plus ou moins à l’abri des nombreuses querelles théologiques ayant agité le protestantisme néerlandais au travers des siècles. On pourrait dire qu’elles ont bénéficié d’une espèce de libéralisme au sens strict du mot : liberté de confession, liberté d’expression et union dans la diversité.

Mais avec le temps, la maîtrise du français a diminué. Pas seulement en raison de la relative perte d’influence de la langue de Voltaire comme langue internationale : aussi parce que, grâce surtout à leur implication dans l’économie locale, aux mariages mixtes, à la scolarisation et à l’apprentissage de la langue locale, les protestants francophones aux Pays-Bas se sont très bien intégrés dans leur pays d’accueil, comme en témoigne notamment la « néerlandisation » des noms français.

Jusqu’à ce jour, les Églises wallonnes ont réussi à maintenir leur présence et leur particularité au sein du protestantisme local, mais il faut bien dire que le choix se fait de plus en plus cornélien entre isolement ou assimilation linguistique : maintenir coûte que coûte la langue française ou passer au néerlandais, comme l’ont fait par exemple les Vaudois en Italie ? Depuis deux bons siècles, c’est un peu une solution médiane qui s’est naturellement appliquée : « Le culte en français et le café dans toutes les autres langues ! » Une solution qui fait le bonheur de tous en tenant compte du fait que le français n’est plus la première langue étrangère, loin s’en faut : les jeunes générations lui préfèrent l’anglais et l’accès à d’autres destinations touristiques a fait baisser l’attrait pour la langue et la culture françaises. Au final, des 80 paroisses à la fin du 17e siècle, il n’en reste que douze situées dans les principales grandes villes : Amsterdam, Arnhem, Breda, Dordrecht, Groningue, Haarlem, La Haye, Leyde, Middelbourg, Rotterdam, Utrecht et Zwolle. Douze communautés wallonnes où se retrouvent régulièrement près de 80% de paroissiens de nationalité néerlandaise, auxquels s’ajoutent les familles protestantes issues de pays francophones présentes pour un séjour bref (expatriés) ou plus long (immigrés). Tout cela fait de ces Églises wallonnes, comme on l’a dit précédemment, des lieux privilégiés de multiculturalisme.

Dans le cadre de la récente réorganisation de l’Église Protestante aux Pays-Bas, la subdivision en 72 classes a fait place à une organisation en onze classes régionales. Au sein de la classe Nord-Brabant/Limbourg/ Églises wallonnes, nos communautés forment depuis mai 2018 une entité comparable aux « consistoires » dans l’Église Protestante Unie de France. Cela veut dire moins de bureaucratie et moins de poids sur le plan décisionnel… mais aussi la fragilisation d’un lien séculaire entre ces paroisses dont la solidarité est désormais davantage liée au bon vouloir des communautés locales. Disons qu’elles ont perdu le secours institutionnel d’une classe qui les obligeait à se serrer les coudes. La solidarité, il faudra dorénavant la vouloir, la désirer, la rechercher. Les paroisses se retrouveront dans un « cercle wallon » (ring) mais, au lieu d’une « assemblée wallonne » délibérante où siégeaient des délégués paroissiaux, il n’y aura plus que le vœu pieux et la vive exhortation à la rencontre et à la solidarité.

Très concrètement, cela signifie un premier défi pour ces Églises : entretenir et développer la solidarité entre elles sans le concours d’un règlement contraignant. Pour y parvenir, les Églises wallonnes se sont toutefois dotées d’une charte, un « projet solidarité & vitalité » où sont formulés des visées communes et les moyens d’y parvenir, et où est réaffirmée « leur vocation particulière d’annoncer l’Évangile par le moyen de la langue française, en valorisant l’esprit wallon qui les a toujours caractérisées : l’accueil chaleureux, la liberté d’expression et la diversité spirituelle ».

Ce défi comprend un autre défi qu’il est bon de souligner : celui de l’accueil. Si à certains égards le fait d’être un petit nombre peut constituer un avantage en matière d’hospitalité (parce qu’on est plus attentif aux nouveaux visages), il y a aussi le risque de se sentir tellement bien entre soi qu’on finit par oublier les arrivants. C’est un risque partagé par toutes les communautés, religieuses ou non, mais auquel nos Églises wallonnes se veulent plus que tout attentives. Parce qu’elles se souviennent de leur propre passé fait d’exils et de migrations. Parce qu’elles savent leur identité chrétienne comme « étrangers et voyageurs sur la Terre, cherchant une patrie » (Hébreux 11,13). Parce qu’avec leurs contemporains, elles entendent cet appel à ouvrir les portes et dresser les tables, pour célébrer ensemble.

 

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À propos Roger Dewandeler

Après des études de théologie (Bruxelles) et d’orientalisme (Liège), Roger Dewandeler 5 exerce le ministère pastoral depuis une trentaine d’années – en Suisse, en Belgique et actuellement aux Pays-Bas dans les Églises Wallonnes (Dordrecht, Breda et Middelbourg). Il a tout récemment publié Spiritualité du Doute, un ouvrage préfacé par A. Gounelle.

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