Michel Barlow : Stéphane Lavignotte, vous êtes pasteur de la Mission populaire évangélique et très engagé dans l’écologie et la gauche alternative, comme en témoignent les titres de vos livres Vivre égaux et différents (L’Atelier, 2008), La décroissance est-elle souhaitable ? (Textuel, 2010).
Stéphane Lavignotte : Il y a un autre titre qui me tient à cœur : Au-delà du lesbien et du mâle (Van Dieren, 2008) !
M. B. : J’aimerais que nous parlions de votre dernier livre : Les religions sont-elles réactionnaires ? Comment définiriez-vous votre méthode d’analyse, dans ce livre ?
S. L. : J’applique les outils de la sociologie et de l’histoire, en y introduisant la grille de la lutte des classes – sans oublier le rôle des imaginaires et des mouvements sociaux. Autrement dit, je tente une lecture politique des phénomènes religieux (principalement chrétiens), en analysant les ressorts qui poussent les religions dans un sens réactionnaire.
M. B. : C’est un ouvrage militant !
S. L. : Bien sûr ! Penser politiquement les phénomènes religieux (notamment chrétiens) devrait permettre de réintégrer certains d’entre eux dans l’histoire de la gauche – disons dans la volonté d’un monde plus juste. Cela devrait permettre aussi de repérer certains courants religieux qui ont tout à fait leur place dans une gauche qui se voudrait plus inclusive des milieux populaires, des croyants, des personnes issues du monde associatif ou du mouvement social. Tout cela oblige à revoir les modes de militance, mais aussi de débat, la structure même des mouvements politiques souvent trop centrés sur eux-mêmes…
M. B. : Venons-en à ce qui est le cœur de votre livre : quels ressorts poussent les religions dans un sens réactionnaire ?
S. L. : Comme elles sont liées à l’imaginaire, et que l’imaginaire ne se laisse pas facilement enfermer, les représentations religieuses ont un potentiel subversif spécifique : pensons aux ordres mendiants du Moyen Âge, à la Guerre des paysans au temps de Luther, ou à la théologie de la libération en Amérique latine. Mais il y a une tendance permanente à l’institutionnalisation des phénomènes religieux qui les fait glisser vers le conservatisme : à un message initial se projetant sur l’espérance d’un changement radical et rapide, succède une défense des traditions et de l’immobilisme.
M. B. : Vous analysez dans votre livre certains des outils de prédilection de la réaction religieuse. Par exemple le littéralisme biblique…
S. L. : C’est vrai que la pensée religieuse réactionnaire s’oppose violemment aux sciences bibliques qui contextualisent et donc relativisent les textes. Elle fait preuve d’une approche fortement sélective en ne citant que les passages qui justifient ses positions.
M. B. : Y a-t-il pour autant une fatalité à ce que le christianisme soit réactionnaire ?
S. L. : Si la religion reste majoritairement réactionnaire, si elle est prise dans des logiques de pouvoir et de domination comme toutes les institutions, si elle reproduit les mécanismes conservateurs, il y a aussi en elle des réactions à ces réalités. L’histoire montre de beaux surgissements subversifs portés par des minorités qui ont parfois mobilisé de grandes masses populaires et qui dessinent une autre histoire des religions, celle qu’on n’écrit pas souvent !
S. L. & M. B.
L’intégralité de cet entretien mené par Michel Barlow est parue dans le magazine catholique Golias Hebdo N° 362, déc. 2014 qui a, bien entendu, autorisé cette réédition.
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