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Favoriser la vie

291-09-3La région Alsace commémore cette année, à travers une trentaine d’événements, le cinquantième anniversaire du décès d’Albert Schweitzer. Théologien, pasteur, penseur, docteur en médecine, musicologue, l’homme et son œuvre ont largement dépassé les frontières de l’Alsace pour traverser le monde, via le Gabon. Beaucoup, au vingtième siècle et en ce début du vingt et unième, se sentent au bénéfice de sa réflexion et de son action, tant pastorale qu’humanitaire.

Ma première rencontre avec le « bon docteur » date de l’adolescence. J’étais tombé, je ne sais plus comment, sur l’ouvrage de Gilbert Cesbron Il est minuit, Docteur Schweitzer. Puis, bien des années plus tard, je dénichai sur l’étal d’une brocante, un grand livre présentant des photographies du médecin de Lambaréné. On le voyait tour à tour faisant jouer ses doigts sur le clavier d’un orgue dans son pays natal, conversant dans son village hôpital africain avec soignants et patients, naviguant sur le fleuve Ogooué, écrivant à sa table de travail, prêchant adossé à une case face à un auditoire attentif et nourrissant au biberon une jeune antilope. Ce dernier cliché semblait, somme toute, trancher dans ce panel photographique par son côté « image d’Épinal » quelque peu attendrissante. Comment cet homme, tout entier donné à des enfants, des femmes et des hommes souffrants pouvait-il aussi s’intéresser au sort des animaux ? Par une réelle compassion envers toute forme de vie tel qu’il l’exprime, par exemple, dans une prédication dont voici un extrait : « Je vous ai déjà dit que j’exige quelque chose de bien plus universel que la compassion envers les animaux : il faut que cette compassion croisse sur le sol d’un respect universel devant tout ce qui est vie. Sinon, cette compassion reste incomplète et inconstante. » (Predigten « Sermons » 1898- 1948) D’aucuns n’ont pas manqué, d’ailleurs, de réduire cette connivence avec le monde animal et le végétal au rang de la puérilité.

Au cours de mes études de théologie, je fis une découverte qui produisit sur moi une forte impression. Du coup j’entrai, à la manière de l’explorateur, dans un univers nouveau, découvrant avec émerveillement la possibilité d’une harmonie entre vivants mariant la pensée et l’action en donnant sens et poids à l’existence quotidienne.

Je découvris que Schweitzer a apporté, bien avant la création d’associations humanitaires et d’ONG, une pertinence éthique au rapport au « vivant ». Plus que jamais, je crois, que son concept actif d’ « Ehrfurcht vor dem leben », rendu en français par « respect de la vie » ou « révérence envers la vie », trouve écho pour penser et agir dans notre monde où tant de déploiements technologiques ne produisent pas, somme toute, de grandes avancées dans le domaine du respect des droits de l’homme et, plus largement, du vivant.

 « Je suis vie qui veut vivre, entouré de vie qui veut vivre. Chaque jour et à chaque heure cette conviction m’accompagne. Le bien, c’est de maintenir et de favoriser la vie ; le mal, c’est de détruire la vie et de l’entraver. » (La civilisation et l’éthique, éd Alsatia, 1976)

Ce qu’apporte Schweitzer, c’est une proposition éthique qui dépasse la seule réflexion et n’en reste pas à l’intention mais qui implique un effort, un travail, un engagement. Une éthique qui engage une volonté de vivre en relation respectueuse avec toute forme du vivant. Il s’agit bien d’une volonté engagée dans le sens où nous nous trouvons inscrits dans une lutte de tous les instants pour reconnaître que toute forme de vie réclame respect et révérence. Si cette volonté de vivre s’impose sans cesse à ma conscience, si elle fait surgir en moi le bonheur immédiat, si je m’applique à conserver cette existence menacée par tant de vents contraires, alors j’intègre, par l’effort de la pensée, la nécessité de respecter toute volonté de vivre autour de moi.

Grand penseur, le docteur Schweitzer montre donc que c’est dans l’existence de tous les jours, dans tous les moments, que se déploie cette éthique. Il ne s’agit pas d’en rester à la spéculation mais de passer sans cesse à l’acte. Il y a nécessité pour l’être humain, fruit de l’évolution créatrice de Dieu et habité par une volonté de vivre, de reconnaître cette même volonté pour toute forme de vivant, animal et végétal.

Comment, alors, dans notre monde où chacun rivalise pour conserver sa vie, où il y a d’incessants combats entre vivants pour survivre, est-il possible de s’inscrire dans cette éthique du « respect de la vie » ? Pour le théologien Schweitzer, il me semble qu’il faille reconnaître que l’être humain est habité par une force, une dynamique qui rejoignent sa pensée, se proposent à son esprit, et qu’il convient, pour employer le langage convenu, d’appeler l’Esprit Saint, l’Esprit de Christ. Ce même Esprit qui nous conduit à l’Évangile.

Je pense que Schweitzer nous montre que l’on ne peut entrer dans le message évangélique sans, du même coup et quasi immédiatement, y trouver le développement et les motivations d’un engagement concret au service de la vie de toute créature. Il ne s’agit pas de fuir le monde, de s’en extraire par un refus de s’impliquer dans les questions du quotidien, les défis relationnels, mais bien au contraire d’y être en responsabilité diaconale. Les paroles et les actes de Jésus de Nazareth ne sont pas figés dans une époque mais ne cessent d’évoluer pour se rendre jusqu’à nous. C’est là, pour moi, le fruit du travail de l’Esprit.

 « Son Esprit [l’Esprit du Christ] résume tout ce que le Christ est venu apporter à l’humanité. Il parcourt le monde et cherche à se lier à l’esprit de l’homme, afin de faire de chacun une personne qui poursuivra l’œuvre initiée en Jésus, afin que la paix et la joie qui furent siennes se répandent parmi ceux qui se reconnaîtront en lui. Une petite étincelle est jetée dans chaque âme. » (L’Esprit et le Royaume, traduit de l’allemand par J.-P. Sorg, Arfuyen, Paris, Orbey, 2015).

Aujourd’hui, j’ai la conviction que la seule réponse éthique à apporter à tant d’agressions envers toute forme de vie exige d’entretenir avec humilité « l’étincelle » qui nous habite pour penser que toute volonté de vie doit être favorisée. Cela ne peut se déployer que par nos efforts, en maintenant une conscience éclairée par l’Esprit. Les écrits de Schweitzer trouvent-ils encore aujourd’hui écho chez nombre de nos contemporains ? Sa pensée est-elle jugée pertinente ? Certains s’appliquent à faire connaître la profondeur de sa pensée exigeante qui n’en reste pas aux élaborations intellectuelles mais nous réclame tout entier, avec humilité, au combat non-violent pour la révérence à toute vie par des actes engagés.

 « La pensée qui est parvenue à la véritable profondeur est humble. Sa seule préoccupation est que la flamme de vérité qu’elle entretient brûle du feu le plus ardent et le plus pur, et non de savoir jusqu‘où pénètre sa vérité. » (Les grands penseurs de l’Inde, éd. Payot, 1936)

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À propos Jean-François Blancheton

est pasteur de l’EPUdF au sein de l’Église locale de Sens et environs.

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