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Sursum corda (Haut les coeurs)

Dans ce tableau, Cécile Souchon apprécie le contraste, que le peintre souligne, entre le découragement et l’abandon d’Élie, et la ferme douceur de l’ange qui le pousse à poursuivre son chemin.

Comme on dit de certains écrivains qu’ils ont une belle plume, on peut dire de ce peintre brabançon du XVIIe siècle qu’il a un beau pinceau, mis au service de portraits et d’oeuvres religieuses fort nombreuses, car il a bien servi la Contre- Réforme catholique, pour notre bonheur ou du moins notre admiration. Sans doute se sentait-il « concerné » personnellement, l’une de ses filles étant entrée chez les religieuses de Port-Royal, dont grâce à lui, nous connaissons quelques brûlants regards dans d’austères visages.

En tout cas, dans l’harmonieuse maison qui abrite aujourd’hui le musée du Mans, un choc : me voici emportée, suffoquée, dans l’ample écharpe du messager de Dieu d’un rose si improbable, comme un point d’interrogation posé sur le dormeur.

Le prophète gît sur le sol, une terre nue, sèche et caillouteuse. Il s’est retiré pour mourir dans le désert, un désert cependant arboré, dans le ciel duquel de superbes nuages d’aube, ou de crépuscule, témoignent, comme l’écharpe de l’ange, du souffle impalpable mais omniprésent de Dieu dans le monde des vivants, sa Création.

Les mains abandonnées du prophète réfugié dans le sommeil, ses pieds lacés de chaussures trop fines pour marcher longtemps, son visage fermé tourné vers un tronc mort, tout marque le renoncement, le découragement, la défaite, l’arrêt de la lutte. « Je voudrais mourir » a-t-il répété. Bientôt son grand manteau bleuviolet pourra lui tenir lieu de linceul, tout près pourtant d’une vie possible, discrètement matérialisée par une miche de pain plate et une cruche d’eau, une aiguière visiblement neuve. Reléguée dans l’ombre, poussiéreuse, une vieille cruche n’a plus lieu d’être utilisée ; il y a un temps pour tout, et Dieu s’emploie à renouveler avec l’humain celui de la rencontre.

La grâce fluide et lumineuse de l’Ange n’exclut pas l’autorité. Son doigt tendu trace la route d’Élie, qui doit sortir du sommeil et même de la scène du tableau, pour reprendre sa mission, reprendre vie.

Mais cette autorité indiscutable est toute tempérée de compassion. Les yeux baissés du messager transforment en douceur ce que le doigt a d’impérieux. C’est très délicatement que l’autre main de l’Ange touchant la tête d’Élie, siège de sa conscience et de la parole, lui donne l’impulsion d’un nouveau courage.

En contrepoint du texte biblique (1 R 19), ce message de consolation et d’encouragement peut se méditer sans modération, comme si toute épreuve extrême trouvait une fin dans les manifestations d’un amour de Dieu qui se donne sans cesse à déchiffrer, dans notre monde raboteux et violent, mortifère et autiste. Au plus noir des vies difficiles, écouter l’Ange qui nous conduit vers le « sursaut » possible des courages oubliés, que l’on entend si bien dans les mots du latin : « sursum corda » où coeur et courage ne font qu’un.

L’Espérance ne passe-t-elle pas, souvent, par la beauté du monde ?

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À propos Cécile Souchon

ancien conservateur du Patrimoine, a travaillé aux Archives départementales du Maine et Loire et de l’Aisne, puis aux Archives nationales à Paris. Elle a été membre du Conseil National de l’Église réformée de France, de 1986 à 2001.

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