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Le pardon : une impossible nécessité

Le pardon est l’un des grands mots de la prédication du Christ, tant pour dire que nous sommes pardonnés et que nous devons pardonner. Cela n’est pas étonnant dans le Nouveau Testament qui prêche un Dieu « rédempteur », c’est-àdire « libérateur ».

  En effet, le pardon est une libération, c’est vrai pour le pardon reçu de Dieu évidemment, et c’est vrai aussi pour le pardon que nous sommes appelés à donner aux autres.

  Les deux, bien sûr, sont liés, et on ne saurait concevoir l’un sans l’autre. Celui qui se sent coupable aura toujours du mal à pardonner aux autres, et celui qui ne sait pas pardonner se sentira nécessairement coupable, de ça, ou de toute imperfection de sa part qui lui rappellera qu’il est aussi pécheur, et mériterait d’être, lui aussi, condamné. Le Notre Père, exprime ce double lien par la formule : « Pardonne nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. » Cette traduction calamiteuse laisse penser que le lien de condition est à sens unique, alors qu’il est à double sens. Ces deux pardons, reçus et donnés, participent à un même mouvement qui est de croire dans le pardon et de vouloir en vivre. Pardonner, c’est adhérer à une logique d’existence, c’est croire dans un Dieu qui est pardon, qui nous pardonne et nous invite à pardonner. Et c’est dans ce double mouvement que se joue notre libération.

  En effet, si Dieu nous invite à pardonner les fautes de ceux qui nous ont offensés, ce n’est pas simplement pour leur faire plaisir. Certes, pardonner à quelqu’un, c’est le libérer, lui, de la culpabilité qu’il ressent peut-être à notre égard, mais les offenses les plus graves et les plus blessantes pour nous sont souvent celles que l’autre ne veut même pas reconnaître, lorsque celui qui a fait le mal ne demande absolument pas notre pardon, ni n’est prêt à l’entendre.

  Or là aussi le pardon est essentiel. Parce que le pardon ne libère pas seulement celui qui est pardonné, mais peut-être plus encore celui qui pardonne. En vouloir à quelqu’un, c’est être encombré de haine, de ressentiment, de désir de vengeance, tant de choses qui pourrissent notre vie et nous éloignent de la paix. Pardonner, c’est, en un sens, se libérer soi-même de tous ces sentiments négatifs et mortifères. Pardonner, c’est se libérer soi-même pour pouvoir réapprendre à vivre d’une manière posi-tive. Pardonner, c’est accepter de dépasser la blessure que l’on a eue, c’est vouloir reconsidérer l’autre autrement, accepter qu’il existe, et donc que soi-même on puisse aussi exister sans se référer sans cesse au mal qui nous a été fait. Pardonner, c’est encore, dans bien des cas, accepter de reconstruire une relation avec l’autre, en enlevant ce qui fait obstacle entre nous et lui dans la relation. Pardonner, c’est déjouer le jeu de la haine et de la vengeance, c’est briser le cercle vicieux de la violence qui finalement ne peut que se retourner contre nous. C’est ainsi, que l’on peut comprendre le célèbre : « Si quelqu’un te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre » (Mt 5,39). Le but n’est évidemment pas de se laisser frapper une deuxième fois, en tendant une seconde joue, mais de tendre une joue autre, une joue différente, de se présenter autrement devant l’autre de façon à briser le cercle vicieux d’un échange de violence et de ressentiments.

  Il est vrai que ce n’est pas facile, mais c’est la seule voie possible pour qu’il advienne quoi que ce soit de constructif, dans notre vie, pour trouver de la paix et du bonheur. Il n’y a, en fait, pas d’alternative, il faut pardonner… ou apprendre à pardonner, ou vouloir pardonner… Et c’est pour cela sans doute que le pardon se trouve dans la prière modèle de notre Seigneur. Ce n’est pas dit comme un commandement moral : « tu dois pardonner », mais cela se trouve dans une prière, parce que  dans ce domaine, la volonté ne suffit pas toujours. C’est seulement ce que nous pouvons désirer, et il nous faut nécessairement l’aide de Dieu pour y cheminer.

  C’est aussi un domaine dans lequel il nous faut apprendre à grandir petit-à-petit. Heureusement d’ailleurs que ce n’est pas dit comme un commandement, parce que cela ajouterait à notre culpabilité. Nous serions non seulement encombrés de haine et de ressentiment, mais en plus, nous serions nous-mêmes coupables de ne pas parvenir à pardonner, ce serait ajouter la souffrance à la peine…

  Le pardon, c’est un souhait, un voeu, une prière, quelque chose que nous désirons ardemment et que nous recevons de Dieu, ce vers quoi nous voulons tendre, ce qui oriente toute notre vie, ce vers quoi nous voulons nous diriger, ce qui fonde notre foi, la logique même de notre existence. C’est un des aspects fondamentaux de notre foi qui consiste à croire en un Dieu qui est un Dieu de pardon. Croire en lui, ce n’est pas nécessairement pouvoir l’atteindre, ce n’est pas imaginer pouvoir, un jour, être aussi parfait que lui, mais c’est se laisser orienter par lui, et se laisser re-créer par lui pour être tendu vers ce but qui nous sauve.

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À propos Louis Pernot

est pasteur de l’Église Protestante Unie de France à Paris (Étoile), et chargé de cours à l’Institut Protestant de Théologie de Paris.

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