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La prière qui dérange

Curieuse histoire d’amis dérangés et dérangeants. Elle explique que la prière, en plein milieu de ce dérangement, se fait à trois.

  Cette jolie histoire d’un homme qui, n’ayant rien à offrir à un ami de passage qu’il accueille chez lui, s’en va au milieu de la nuit demander à un autre ami s’il pourrait lui prêter trois pains, est manifestement placée ici par Luc pour éclairer sur le sens de la prière. En effet, elle vient juste après l’énoncé du Notre Père. Et elle lui est accrochée par : « Jésus leur dit encore ».

  Les tournures de phrases sont un peu compliquées ; on ne sait pas si finalement l’ami de l’ami, dérangé dans son lit, ouvre sa porte ou ne l’ouvre pas. Pour bien comprendre, il faut se rappeler les règles de l’hospitalité dans ce Moyen-Orient : on accueille toujours la famille et les amis, quelle que soit l’heure et quelle que soit la durée nécessaire. Ce serait un véritable déshonneur de ne pas ouvrir sa porte, de ne pas offrir le couvert, de refuser un dépannage de quelques pains. Ce serait la honte, comme on dit aujourd’hui.

  Dès lors, la phrase « lequel d’entre vous aurait un ami et se rendrait chez lui au milieu de la nuit et lui dirait : mon ami prête-moi trois pains » doit être comprise dans le sens « pouvez-vous imaginer que l’un d’entre vous ait un ami, qu’il se rende chez lui pour lui demander trois pains… et que finalement l’ami refuse d’ouvrir ? Non cela n’est pas imaginable ». Et après ce récit des faits suit un commentaire prêté à Jésus et qui signifie : « Même si celui qui est couché n’a pas envie d’ouvrir, il le fera quand même parce que l’autre a été téméraire, il s’est déplacé dans la nuit dangereuse et la tradition de l’hospitalité l’oblige à ouvrir. »

  Il s’agit donc de la prière d’un ami à un ami, dont un des sens est de dire : si même un homme qui est barricadé chez lui et dérangé au plus profond de son sommeil accède à la demande de son ami, à plus forte raison, Dieu, dont la bonté est bien supérieure, accèdera-t-il à vos demandes. La prière à cet ami voudrait éclairer les lecteurs de Luc sur la prière à Dieu. Ceux-ci doivent être assurés d’être entendus par Dieu, même s’ils dérangent, même si Dieu se repose, même s’il a fermé sa porte. Si l’ami se lève, tenu par les règles de l’hospitalité, à plus forte raison Dieu, qui est l’hospitalité par excellence, se lèvera et aura le souci de l’ami de l’ami.

  Mais le principal du message de Luc est ailleurs. Parce que pour lui la prière se fait à trois. On ne prie pas pour soi-même, mais pour un autre ; parce qu’un autre est dans le besoin. La prière ne s’exprime pas dans le jardin fermé de la relation personnelle à Dieu, mais dans un espace ouvert sur les besoins des autres, de ceux qui ont frappé à notre porte. Cette relation à Dieu, est enracinée dans la vie sociale, dans la relation au frère. Elle est ouverte sur le monde. Ce n’est pas la peine d’aller déranger Dieu, si c’est juste pour soi. Soyez certains d’être entendus et exaucés, surtout s’il s’agit de secourir celui-là qui est arrivé sur le tard et qui voudrait bien manger un peu de pain.

  Et puis la prière ne consiste pas à aller tout de suite déranger Dieu parce qu’un ami a un problème. Elle n’est raisonnable qu’après avoir été soi-même dérangé, après avoir soi-même ouvert la porte, après avoir constaté l’impossibilité de satisfaire l’ami par ses propres moyens. La prière a du sens lorsque nous nous rendons compte que nous ne pouvons plus secourir par nous-mêmes.

  Elle est d’abord un dérangement, une sortie dans la ville à l’heure la plus dangereuse de la nuit, un acte de courage, de bravoure. Un déplacement téméraire vers celui dont on est à peu près certain qu’il aura du pain, qu’il se lèvera et qu’il ouvrira la porte. Elle ne porte donc pas sur des demandes insensées, illusoires, mais plutôt sur des demandes raisonnables, qui entrent dans le domaine du possible. Le déplacement est courageux, mais la prière est raisonnable. Et peut-être que nous pouvons être d’autant plus certains que nos prières seront entendues et exaucées qu’elles seront courageuses et raisonnables.

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À propos Henri Persoz

est un ingénieur à la retraite. À la fin de sa carrière il a refait des études complètes de théologie, ce qui lui permet de défendre, encore mieux qu’avant, une compréhension très libérale du christianisme.

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