Deux pasteurs, habitués d’Évangile et liberté, débattent sur le bonheur. Faut-il vraiment chercher le bonheur ? Et de quelle façon ? Louis Pernot et Jean-Marie de Bourqueney n’ont pas la même vision de ces questions.
Chercher le bonheur ? Bien sûr. Mais pas n’importe lequel ! Il faut rendre un bonheur possible, sans imposer le bonheur.
Pascal Bruckner écrit, dans son ouvrage L’euphorie perpétuelle, que nous vivons sous la tyrannie du bonheur ; il a raison ! Mais il évoque le bonheur tel que la pensée dominante nous le décrit aujourd’hui : un bonheur formaté où tout le monde doit être et vivre selon une doxa du bonheur. Cela génère des culpabilités nombreuses. Comme pasteur, j’en suis le témoin chaque jour auprès des personnes que j’accompagne. Mais, au nom de cette compréhension, de cette pensée médiatique contemporaine, devons-nous renoncer à l’aspiration au bonheur ? Comme théologiens, devons-nous renoncer à faire du bonheur le but de tout discours théologique ? Le débat n’est pas nouveau puisque déjà saint Augustin (dans la lignée des débats philosophiques antiques, par exemple chez Sénèque) faisait de la « vita beata », la « vie heureuse », la finalité de la théologie. Plus proche de nous, les philosophes et les théologiens du Process font de la « jubilation » (traduction de « enjoyment ») le but idéal de toute action. Pour eux, le réel est une succession d’actions qui ne cessent de créer. La volonté divine s’inscrit dans ce flux comme puissance de transformation.
Lorsque l’on compare un Bouddha et un crucifix, on est frappé des différences. Ces deux représentations évoquent les parcours de deux hommes hors du commun : Siddhârta Gautama, devenu le Bouddha, et Jésus. Tous deux ont rencontré les expériences de la souffrance multiforme des êtres humains. L’un exprime la sortie du cycle des souffrances dans l’intériorité ; l’autre exprime la souffrance partagée et combattue. Comme chrétien, je ne peux, à la suite du Christ, jamais me résigner à la souffrance. Le combat contre toute souffrance est l’une des raisons d’être de la religion. Je ne peux me résoudre à un fatum, à un destin figé de l’homme où celui-ci n’aurait dans l’existence d’autre but que d’accomplir son devoir.
Mais quel « bonheur » apporter en réponse aux malheurs vécus ? Nous ferions effectivement fausse route si nous proposions une définition unique, universelle et éternelle du bonheur. Trop souvent le christianisme s’est fourvoyé en imposant une « dogmatique du bonheur », notamment en affirmant l’idée d’un paradis mérité, dont la porte d’entrée serait dans nos églises… Le bonheur ne s’impose pas ; sinon il devient tyrannie culpabilisante. Autrement dit, notre but est de rendre possible un bonheur et non d’imposer le Bonheur.
Le malheur n’est pas une fatalité. Revenons, par exemple, à l’histoire de Joseph, abandonné par ses frères, et devenu vice-roi d’Égypte. Lorsqu’il se fait reconnaître de ses frères, il leur dit : « Vous aviez voulu me faire du mal, mais Dieu a voulu changer ce mal en bien, il a voulu sauver la vie d’un grand nombre de gens, comme vous le voyez aujourd’hui. » (Gn 50,20) Ce verset n’attribue pas l’origine du mal et de la souffrance à Dieu, mais fait de celui-ci une puissance de transformation vers un bonheur possible. Tout discours sur le « salut » est, selon Paul Tillich (1886-1965), réponse circonstanciée et contextuelle aux angoisses d’un temps. Aujourd’hui, c’est l’absence de perspective, l’absence d’avenir, l’absence de possibilité de bonheur qui tenaille nos contemporains. Notre devoir théologique est d’apporter des possibilités de vivre des puissances de transformation. En protestants libéraux, nous avons toujours cherché à concilier humanisme et théologie. Notre humanisme chrétien passe par des discours audibles sur le bonheur comme finalité de nos propositions théologiques. Nous avons à aider tout être humain à trouver sa voie de bonheur.
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