Cécile Souchon, conservateur aux Archives nationales, s’émerveille d’un livre déjà ancien qui présente Abraham, le nomade, l’exilé, l’homme libre, comme un frère pour tous.
Il y a 25 ans paraissait un petit bijou, perdu dans la masse de la « collection blanche » plutôt beige et rouge, des éditions Gallimard. Michel Léturmy publiait dans les années 1960-80. Féru de littérature biblique et ancienne, il a beau être l’un des auteurs de la traduction de la Bible dans la collection de la Pléiade, ses livres se vendent aujourd’hui d’occasion à moins de 10 euros, et c’est bien injuste.
Dans Abraham a vu mon jour, il a fait de l’Abraham de l’Ancien Testament un frère pour tous, et de nous lecteurs, des bergers mêlés à ses troupeaux. Des coulées de parents, de femmes, d’enfants, de bêtes à laine et à bosses, encerclent un nomade qui bouge sans cesse, dans un pays aux vocables râpeux, pourvu de beauté et d’horizons, dont on sent les cailloux, les parfums, l’herbe. Un nomade qui ne se targue d’aucun destin, qui ne se prend pas au sérieux, qui n’a pas fait de projets – les projets sont pour les habitants des villes qui rêvent de belles maisons et d’installation pérenne – mais qui est disponible. Dans l’étonnement et l’émerveillement, les questions (sans réponse) et les doutes, il apprend la terre de Palestine au gré des marches et des pâturages, une terre déjà bien habitée : il faut des ruses de bergers pour venir à bout des conflits entre tribus et roitelets, mais voilà, cette terre lui est promise, nommément réservée !
Abraham est un nomade qui écoute : il écoute sa femme, dont il respecte les intuitions et partage les drames, de stérilité puis d’enfantement ; il écoute des rencontres, comme l’étrange Melchisédek ; ou des voix plus intimes, d’abord étiquetées « Hasard », puis dessinées de plus près, « Moi-Vivant » par exemple, de ces voix intérieures qui construisent une relation, une confiance (une foi ?) des convictions, une espérance qui dépasse de beaucoup le présent.
Abraham le nomade, père d’Ismaël et d’Isaac, est libre. Cette libre approche de Dieu trace sa route, le mène jusqu’au grand âge et au plein accomplissement de ce destin particulier qu’il a laissé s’installer en lui, puis au-delà de lui. Dieu se construit petit à petit pour Abraham comme Abraham se construit progressivement pour Dieu, et cette présence réciproque culmine dans la nouvelle Promesse, celle de Jésus, dont Abraham, sans le réaliser vraiment, a vu le jour.
Cette familiarité avec un Dieu bien étrange[r] avec qui cependant parler, donne des ailes à ma petite foi, allège mes doutes, renouvelle mon envie de rester fermement accrochée à sa parole, à sa promesse, à sa fidélité. J’aime les livres qui savent donner ce plaisir à partager !
- Michel Léturmy : Abraham a vu mon jour, Paris, Nrf – Gallimard, 1982, 196 p.
Pour faire un don, suivez ce lien