Qu’est-ce que l’humain ?
Quelle est sa place dans l’évolution du vivant ? Comment le défendre ?
Avec des conférences de :
Marylène Patou-Mathis, préhistorienne.
Frédéric Rognon, professeur de théologie.
Joëlle Nicolas, médecin en cancérologie infantile.
Philippe Pedrot, professeur de droit.
Laurent Gagnebin, théologien.
Les fichiers audios des interventions sont en écoute libre ici :
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Prédication du culte présidé par Titia Es-SbantiQu’est-ce qu’un humain ?
Avec tous les spécialistes qui sont intervenus, tous plus pointus les uns que les autres – théologiens, biblistes, historiens, préhistoriens, juriste, médecin – vous savez tout sur la question depuis hier, en supposant qu’avant-hier, vous ne saviez rien, ce dont je me permets de douter…
La Bible répond-elle à la question ?
En tous cas, les 3 premiers chapitres du 1er livre mettent en scène le récit sans doute le plus célèbre au monde. Elevé au rang de « success-story », l’histoire dite d’Adam et Eve a marqué l’inconscient collectif de la culture judéo-chrétienne pendant plus de 2000 ans.
Et pourtant, quelle drôle de célébrité, celle d’un couple plus proche du zéro de conduite que des héros mythiques ! Enfin, c’est le propre de la célébrité : qu’on soit minable ou admirable, la popularité est plus forte que tout. On la retrouve dans le logo d’une des plus puissantes multinationales avec sa très médiatique pomme croquée.
Qu’est-ce qu’un humain ?
La réponse sera toujours… humaine ! Y compris dans la Bible. La supériorité affichée de l’humain sur l’animal a dominé pendant des millénaires, mais ce qu’on en retient aujourd’hui c’est moins l’intelligence que l’arrogance.
En attendant, les stupéfiantes découvertes scientifiques sur la vie animale et végétale font bouger les lignes en matière de définition de l’humain : ainsi, on apprend que les chimpanzés savent rire, éprouver des émotions, de la compassion, ils savent mentir pour s’approprier un tronçon de bananes. Les arbres pratiquent l’entraide par l’intermédiaire de leurs racines ; les éléphants s’occupent de leurs morts ; de nombreuses plantes se préparent depuis longtemps aux changements climatiques…. Bref, la liste est longue, et pose question : l’humain est-il supérieur à l’animal et au végétal ?
A quoi ses recherches et expériences génétiques conduiront-elles : le concept d’homme «augmenté » saura-t-il ne pas diminuer notre humanité ?
Qu’est-ce qu’un humain ?
Le livre de la Genèse n’est pas un documentaire sur la question mais il a eu le génie de nous laisser non pas un mais deux récits de création très contrastés, dans le contenu comme dans le style, à datation différente.
Le premier est solennel, théologique. Le second pittoresque, presque folklorique, nous replongeant dans la culture antique. Dans le premier récit, le monde est créé en six jours, dans le second en une journée. Dans le premier, Dieu est lointain dans le second il est familier. Dans le premier, il démarre du cosmos et dans le second d’un jardin. Dans le premier, l’humain est créé en dernier, dans le second, il est créé en premier.
Alors, six jours ou un jour ? Dernier ou premier ? Provocation des auteurs bibliques ou incitation à la réflexion ? A nous de choisir !!
En tous cas, n’avons-nous pas, en présence de deux récits aussi différents, voire contradictoires, le meilleur vaccin contre la lecture fondamentaliste de la création ? Et n’est-ce pas aussi un rappel salutaire que nous n’avons aucune maîtrise sur les origines ?
Qu’est ce qu’un humain ?
La Bible ressemble à une montagne dont personne n’a encore touché le sommet: nos points de vue seront toujours partiels, ce qui nous permet d’être des marcheurs infatigables car toujours émerveillés et jamais au bout de nos surprises !
J’ai choisi pour ce matin quelques extraits du second récit de la création.
Lecture : extraits de Genèse 2
5 Au jour où le Seigneur Dieu fit la terre et le ciel, il n’y avait encore aucun arbuste de la campagne sur la terre et aucune herbe des champs ne poussait encore,
Car le Seigneur Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre et il n ‘y avait pas d’humain pour cultiver la terre argileuse.
6 Mais une vapeur montait de la terre et irriguait toute la surface du sol argileux.
7 Le Seigneur Dieu façonna l’être d’argile de la poussière du sol argileux et il souffla dans ses narines une haleine de vie et l’être d’argile devint un être vivant.
8 Le SEIGNEUR Dieu planta un jardin en Eden, du côté de l’est, et il y mit l’humain qu’il avait façonné.
9 Le SEIGNEUR Dieu fit pousser de la terre toutes sortes d’arbres agréables à voir et bons pour la nourriture, ainsi que l’arbre de la vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais.
(…) 15 Le SEIGNEUR Dieu prit l’humain et le plaça dans le jardin d’Eden pour le cultiver et pour le garder.
16 Le SEIGNEUR Dieu donna cet ordre à l’humain:
de tous les arbres du jardin tu mangeras;
17 et de l’arbre de la connaissance de ce qui est bon ou mauvais, tu ne mangeras pas car le jour où tu en mangeras, tu mourras.
18 Le SEIGNEUR Dieu dit : Il n’est pas bon que l’humain soit seul; je vais lui faire une aide qui sera son vis-à-vis.
19 Le SEIGNEUR Dieu façonna de la terre tous les animaux de la campagne et tous les oiseaux du ciel. Il les amena vers l’humain pour voir comment il les appellerait, afin que tout être vivant porte le nom dont l’humain l’appellerait.
20 L’humain appela de leurs noms toutes les bêtes, les oiseaux du ciel et tous les animaux de la campagne; mais, pour un humain, il ne trouva pas d’aide qui fût son vis-à-vis.
21 Alors le SEIGNEUR Dieu fit tomber un sommeil profond sur l’humain qui s’endormit ; il prit un de ses côtes et referma la chair à sa place.
22 Le SEIGNEUR Dieu forma une femme de la côte qu’il avait prise à l’humain, et il l’amena vers l’humain.
23 L’humain dit : Cette fois c’est l’os de mes os, la chair de ma chair. Celle-ci, on l’appellera « femme », car c’est de l’humain qu’elle a été prise.
24 C’est pourquoi l’humain quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme, et ils deviendront une seule chair.
25 Ils étaient tous les deux nus, l’humain et sa femme, et ils n’en avaient pas honte.
1ère partie
Un regret d’abord: traduit de l’hébreu, (comment faire autrement ?) une partie du charme immense de ce récit s’est perdue en cours de route.
Truffé de jeux de mots, de clins d’œil, de paradoxes et de détails insolites, ce passage mérite pourtant bien un arrêt sur image.
Au-delà du modeste feuillage dont le couple mythique du jardin d’Eden s’est couvert, celui-ci a surtout été recouvert de 20 siècles d’interprétations – des plus austères aux plus farfelues, en passant par de très nombreux clichés.
Alors, plutôt que de retenir le pagne, passons au peigne fin un certain nombre de mots de cette histoire, sachant que dans la bible, les mot sont parfois l’arbre qui cache la forêt.
Qu’est-ce qu’un humain ?
Nous avons beau avoir entendu le mot « humain » seize fois dans le passage que je viens de vous lire, nous ne sommes guère plus avancés sur la question ! En effet, à quoi ressemble-t-il, cet « humain » ? On n’en sait fichtre rien.
Ecoutons un extrait d’une traduction plus littérale, plus proche de l’hébreu :
6 le SEIGNEUR Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre, et il n’y avait pas d’adam pour cultiver le adama.
7 Le SEIGNEUR Dieu façonna le adam de la poussière de la terre ; il insuffla dans ses narines un souffle de vie, et le adam devint un être vivant. Le SEIGNEUR Dieu planta un jardin en Eden, du côté de l’est,et il y mit le adam qu’il avait façonné. (…)
Tiens, le mot HUMAIN couvrait un autre mot hébreu, éludé par la majorité des traductions : « le ADAM ».
Quel dommage ! C’est comme si on enlevait à un paysage son relief. En effet, au commencement « le adam » ne signifie ni humain, ni homme, ni masculin. Il désigne ce qui est tiré du sol, de la terre.
Nous n’avons pas affaire à Monsieur Adam, mais à un « glébeux » pour reprendre la traduction de Chouraqui. Ou bien : une « grande motte » – puisque nous y sommes. Disons : une petite grande motte serait encore plus juste.
Voilà la première définition biblique de l’humain : un « terreux ». Autrement dit: un être sexuellement indifférencié. Il y aurait de quoi être déçu ! Le premier récit de la création ne fait guère mieux : il raconte que le « adam » est créé « masculin et féminin ». Un être androgyne en somme. Et qui, de plus, est créé à l’image de Dieu, autrement dit : à l’image de Celui dont on n’a pas d’image ! Nous voilà guère avancés.
Alors, pas d’image de Dieu ? A moins que…
Dans la Genèse et dans le récit qui nous intéresse, le Créateur se révèle par ce qu’il fait : après avoir débuté comme jardinier, le voilà potier, façonnant le « adam » avec la poussière du sol et lui soufflant une haleine de vie dans les narines.
Aurions-nous enfin l’ébauche de ce qu’est un humain ? Oui, mais si c’est « ça » un humain, alors il n’est vraiment pas grand chose parce que, entre nous, être fait de poussière et d’haleine divine, c’est a priori ne pas peser bien lourd dans la balance.
Alors, qu’est-ce qu’un humain, enfin : un « adam » ?
C’est un être vivant, est-il dit. Vivant et donc mortel. Non seulement ça mais c’est aussi un être créé volontairement fragile. Oui, ici tout commence dans un magnifique balbutiement.
Après la fonction de jardinier et potier, voilà le Seigneur Dieu nourricier :
« De tous les arbres du jardin tu mangeras mais tu ne mangeras pas de l’arbre de la connaissance car le jour où tu en mangeras tu mourras … »
Première parole de Dieu à sa créature : on aurait pu imaginer des mots plus poétiques, par exemple: « tu as du prix à mes yeux », ou bien « voici ma créature bien-aimée qu’il m’a plu de façonner » …
A croire que le adam n’est pas encore capable de l’entendre. Serait-il immature ? Au stade de l’enfance et de la nudité ignorée ? Pas encore humain à part entière ?
Mais comment pourrait-il s’humaniser sans faire l’expérience de l’altérité ?
Considérant sa création toute neuve, le Seigneur Dieu constate un manque et se met à la recherche d’un vis-vis pour ne pas laisser son adam tout seul.
Cela commence par un défilé insolite des animaux : Dieu les crée de la terre, puis les fait passer devant le adam pour voir comment il les appellerait.
On n’en saura pas plus. Tant mieux – ça ferait trop d’animaux –
Le adam appelle les animaux d’une « voix forte » dit le texte (qara). Pour le théologien A.Chouraqui, cet appel est l’équivalent d’un cri.
Premiers balbutiements vers l’acquisition du langage ? Après interruption de du carnaval des animaux, le Seigneur Dieu échange son tablier de potier contre la blouse blanche de chirurgien et d’anesthésiste en plongeant le adam dans un profond sommeil. Pour celui-ci, sacrée surprise en salle de réveil.
Je vous lis le passage dans une traduction littérale :
22 Le SEIGNEUR Dieu forma une (isha) du côté qu’il avait pris à adam, et il l’amena vers le adam.
23 Le adam dit : Celle-ci, cette fois, l’os de mes os, la chair de ma chair. Celle-ci, on l’appellera isha, car c’est de ish qu’elle a été prise.
La surprise s’appelle ISHA. A sa vue, le-adam devient tout rouge… euh pardon : tout ISH.
On entend le jeu de mots de l’hébreu : ISHA signifie femme. Celui qui était de glaise, adam, humain indifférencié, devient homme-masculin, ISH.
ISHA fait passer le adam du cri à la parole. ISH s’émerveille : le voilà face à une autre que lui semblable à lui.
Pourtant, avec ce passage biblique, théologiens, pères de l’Eglise et exégètes de tous bords sont tombés… sur un os au moment de le traduire.
Voyons voyons… ISHA vient-elle de la côte d’adam ou de son côté ? Est-elle placée côte-à-côte ? Ou est-elle tout simplement « la femme d’à côté » ?
Que de débats idéologiques austères, parfois sordides et très humains (!) sur la question.
Dommage : une étymologie intéressante aurait pu rassembler tous ces théologiens et biblistes et nous éclairer sur ce qu’est un humain : TSELA : c’est le mot hébreu pour dire côte et côté ; mais il veut aussi dire boiter.
Y aurait-il donc d’emblée quelque chose de bancal au sein de l’humanité créée ? En effet, pour devenir ISH, un « morceau » d’Adam lui a été enlevé, lui signifiant son manque, son insuffisance. Quant à ISHA, elle participe à ce manque.
ISH-ISHA: au fond, ce qui les réunit, côte à côte, c’est ce qui leur fait défaut.
Voilà une définition de plus : qu’est ce qu’un humain ? C’est un être manquant, et qui ne l’assume pas toujours.
Ecoutez donc : « Voici celle-ci, os de mes os et chair de ma chair… »
Cette exclamation souvent admirée (par opposition à ce qui se passera au chapitre suivant) je la trouve plutôt disgracieuse : ne cache-t-elle pas le premier dérapage, bien avant le chapitre 3 ?
En effet : dès que le « adam » devenu ISH se met à parler à la vue de ISHA, la rencontre est déjà biaisée ! C’est que ISH peut dire ce qu’il veut. Le Créateur n’a pas mis sa parole sous contrôle. Il l’a créé comme un être libre. Libre d’entendre ou non.
Car s’il est vrai qu’Il lui a soufflé son haleine de vie, il ne lui a pas soufflé ce qu’il faudrait qu’il pense et dise une fois devenu un être de parole !
Adam semble émerveillé, comblé, joyeux. Et pourtant, tout chaleureux qu’il soit, son accueil rend un son étrange.
Il s’adresse à ISHA à la 3ème personne, la désignant par « celle-ci ». Il ramène tout à lui. Franchement, pour entrer en dialogue avec l’autre, on peut faire mieux.
« On l’appellera ISHA » car elle a été tirée de ISH : ISH se trompe : ISHA a été tirée non pas du mâle mais de l’humain argileux et indifférencié.
C’est étrange: Adam parle comme s’il était au courant du projet de Dieu, il fait comme si rien n’échappait à son savoir. Comme si c’était lui l’auteur.
Où est la belle altérité attendue ? Le chapitre 2 présente-t-il vraiment la situation du couple idéal « perdue » un chapitre plus tard ?
Il y a bel et bien un « manque » chez Adam : ISHA est ce qui lui a été enlevé, mais il tente de réduire cette fracture, il affirme que l’autre vient de lui, et, en quelque sorte, lui appartient.
Adam-ISH est-il enthousiaste ? Si on veut. Il se met surtout lui même au centre et ramène la femme à lui. Adam-ISH c’est l’ancêtre du Selfie. Et le jeu de mot « ISH-ISHA est bien de lui. En fait, les tous premiers mots de Adam-ISH trahissent ce désir-phantasme (humain !) d’autonomie absolue qu’une toute petite phrase prononcée fièrement résume parfaitement : « je me suis fait tout seul ».
Alors voilà : on découvre dès le début de ce récit que dès que Adam-ISH se met à parler, il est tenté : il aurait pu s’ouvrir à la reconnaissance, mais il choisit l’indépendance.
Et aucun mot pour le Seigneur Dieu ! Il oublie Adonaï son Créateur et ce qu’il a fait pour lui, ou alors il n’en tient pas compte.
On notera en souriant que le nom de ISH disparaît peu après pour laisser de nouveau la place à ADAM, c’est-à-dire l’humain en formation, l’humain dans toute sa splendeur et médiocrité.
Alors : Voici l’Homme ? Ecce Homo ?… sapiens ? Euh… Disons plutôt: voici l’humain, voici le Adam, autrement dit : celui qui essaye d’échapper à son Créateur. Mais Celui-ci le sait bien. Et l’assume.
Parce qu’il aime ce qu’il crée et refuse d’imposer ce qu’Il ne donne que par amour.
Devant Lui, en sa présence, il y a un devenir humain toujours possible, toujours promis, mais la réponse doit venir de nous. Maître Eckart disait : « Dieu veut naître en nous. Il désire faire sa demeure en chacun de nous. Encore faut-il oser se perdre de vue pour lui ouvrir la porte du cœur. »
Avons-nous oublié, comme Adam que Quelqu’un est parti à notre recherche ?
Qu’est ce qu’un humain ? C’est celui qui passe beaucoup trop de temps dans sa courte vie à se cacher mais que Dieu continue de chercher et d’appeler, inlassablement : Ayeka ! Où es-tu ?(Genèse 3/9) Où en es tu ?
Amen
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