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Construire une arche ne suffit pas

Film de Darren Aronofsky, avec Russell Crowe, Jennifer Connelly, Emma Watson. Sortie le 9 avril 2014. Durée 2h18

 

« Quand Noé a-t-il construit son arche ? Avant le déluge ! Avant le déluge ! », Robert Redford, Spygame.noe

Construire une arche ne suffit pas à sauver l’humanité de la noyade. C’est le principal enseignement qu’offre le film Noé, réalisé par Darren Aronofsky.

Au commencement était le récit biblique de Genèse 1, raconté par Lémec à son fils Noé. Il est toujours possible de regretter qu’il soit dit qu’au commencement il n’y avait rien, alors que le texte biblique évoque le tohu-bohu ; il est également possible de regretter que l’épisode du jardin d’Eden soit résumé par le fait que l’homme fut tenté par le péché en mettant de côté l’expérience de la liberté. L’essentiel, pour le réalisateur, n’est pas là : il bâtit son récit sur l’observation du monde faite par le personnage Noé.

Ce que voit Noé, c’est une humanité qui s’entredévore, une humanité gouvernée par la maxime « je prends ce que je veux » dont le personnage Tubal-Caïn sera la figure. Noé voit si bien qu’il verra aussi à quoi tout cela mènera : un déluge.

Que faire face à ce monde qui se condamne à sa perte ? Le réalisateur inscrit cette question dans le quotidien du spectateur par des scènes évoquant les situations de désolation qui succèdent aux catastrophes contemporaines. Noé, dans un premier temps démuni, n’ayant que le silence de Dieu pour écho, se rend auprès de Methushélah, son grand-père. C’est par ce dialogue avec un autre que lui que l’idée d’une arche verra le jour.

Là encore, il est possible de regretter que le réalisateur laisse entendre au spectateur que l’arche du texte biblique est effectivement un navire qui serait capable d’accueillir les couples d’êtres vivants. Nous pouvons regretter qu’il n’ait pas réussi à transcrire cinématographiquement le fait que le récit de Genèse 6 et suivants, avec les dimensions de l’arche et la durée du déluge, suggère qu’il faille entrer dans le nom propre de Dieu. Cet inconvénient n’est pas si grave car la deuxième partie du film, le séjour dans l’arche, de loin la plus intéressante, fait oublier l’arche qui pourrait tout aussi bien être le gros poisson du livre de Jonas ou tout autre métaphore qui exprime la possibilité d’une introspection. C’est là que le film déploie toutes les potentialités du mythe biblique et c’est là que nous découvrons qu’il ne suffit pas d’être entré dans une arche pour que l’humanité soit sauvée.

A la manière du juste de Proverbes 18/10, Russell Crowe qui interprète le personnage Noé, va courir dans cette arche/nom de Dieu jusqu’à y trouver son véritable refuge. C’est un voyage intérieur qui s’engage avec d’autres épisodes bibliques utilisés pour expliquer la transformation de ce Noé qui est au départ tout d’un bloc de certitudes en un véritable fils d’Adam, autrement dit en un humain fécond comme l’est l’humus. Il y a Abraham sacrifiant : Noé sera-t-il un fanatique qui obéit aveuglément à ce qu’il pense être une mission divine ? Il va croiser sur sa route deux femmes (Emma Watson et Jennifer Connelly) prenant chacune la posture d’une Stabat Mater, qui lui permettront de répondre, personnellement, à la question « qu’est-ce qu’un homme ? »

Ce voyage intérieur fait de Noé un être éthique, qui cesse de n’en faire qu’à sa tête. Il découvre que la parole de Dieu, qu’il nomme le créateur, s’entend par le truchement du visage de l’autre qui me met en question. Un nouveau commencement est alors possible, non pas à partir de rien, mais à partir de ce reste d’humanité qui s’affirme face à l’orgueil, face à l’individualisme forcené, face aux tenants du « après moi… le déluge ».

 

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À propos James Woody

Pasteur de l'Église protestante unie de France à Montpellier et président d'Évangile et liberté, l'Association protestante libérale.

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