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Loin de Corpus Christi, de Christophe Pellet

  Richard Hart tourne quatre films dans les années 1940 dont un avec Georges Cukor. Puis disparaît. Soixante ans plus tard, une jeune universitaire entreprend des recherches sur cette étoile filante dont les rares apparitions à l’écran la troublent et la jettent dans un désarroi incompréhensible. Images fantômes d’un être dont il ne reste apparemment nulle trace, les souvenirs laissés par Richard Hart s’avèrent bientôt aussi complexes que diaphanes, rebelles et ambigus. Insaisissable, il aura franchi tous les cercles de la réalité avec indifférence, solitaire et silencieux alors qu’un monde autour de lui s’agite entre rêves et manipulations, remords et échecs. L’itinéraire de cet enfant perdu du cinéma donne à Christophe Pellet la matière d’une pièce dense et rhétorique, où les êtres se meuvent animés par l’élan d’un idéal ardent qui les trahira. Au terme de leur vie, passants inutiles d’un monde dont ils ne perçoivent plus que les ruines, les chimères du cinéma leur offrent l’ultime illusion d’avoir vécu.

De cette société perdue qui navigue autour d’un acteur beau comme un spectre, où l’on croise l’histoire du désenchantement communiste, de Brecht à la Chute du Mur en passant par le Maccarthysme, Jacques Lassalle a dénoué les méandres, éclairé les impasses, observé les mensonges sur six décennies. C’est un travail d’érudit et d’esthète, l’oratorio d’un cinéphile et d’un homme de théâtre dont chaque note vibre de fièvre souterraine, où chaque instant médité l’est depuis l’inconstance de nos mirages.

Ente les mains du metteur en scène, une distribution prestigieuse. Tania Torrens, Marianne Basler, Annick Le Goff et Sophie Tellier sont autant de portraits de femmes hantées par le temps, sibylles dont les mains ne retiennent plus rien des vérités qu’elles ont traquées. Bernard Bloch et Julien Bal comme deux plateaux d’une balance au fléau précaire cherchent jusqu’à la nausée le sens leurs engagements politiques antagonistes. Traversant l’espace et le temps, figure inaccessible, Brice Hillairet est Richard Hart. Il lui offre la présence obsédante des morts incompris ; redonne vie à son profil immaculé d’idole jamais née du cinéma américain, si proche des visages peints par Giotto ; lui abandonne sa bouche presque muette aux fins de tourmenter les consciences. Théâtre du monde et cinéma des hommes engagés dans une sarabande funeste, il semble au spectateur entendre ces ombres coutumières crier désormais qu’il faudrait se décider à vivre.

Loin de Corpus Christi, de Christophe Pellet, mise en scène de Jacques Lassalle, au Théâtre des Abbesses à Paris, du 21 septembre au 6 octobre 2012, ; au Théâtre des 13 vents, à Montpellier du 10 au 19 octobre ; au Théâtre des Célestins, à Lyon, du 26 au 30 mars 2013.

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À propos Thierry Jopeck

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