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La musique et le culte

  La musique et le chant font du culte un véritable moment de grâce. La musique enrichit la liturgie d’un élément qui, dans sa nature même, souligne la liberté de Dieu, son irréductibilité à tout ce que nous pouvons dire à son sujet. Pendant le culte, la musique souligne que tout ne s’épuise pas dans le discours et que la parole de Dieu ne saurait être monotone, répétitive et univoque. Là où les mots que nous utilisons courent toujours le risque de prétendre enfermer Dieu dans des concepts, la musique nous rappelle avec bonheur que Dieu est bien, en vérité, une réalité ultime, au-delà de tout ce que nous pouvons penser, croire, comprendre. La polyphonie des mouvements ascendants et descendants, le point et le contrepoint, les ruptures d’intensité, les variations, la brisure des rythmes, tous ces éléments propres à la rhétorique musicale peuvent contribuer à témoigner d’un rapport à Dieu révélé dans toute sa richesse et sa densité.

  Le catholicisme se développe globalement sous la forme d’une théologie sacerdotale qui institue l’Église, son clergé, ou encore l’eucharistie, comme autant d’éléments qui prétendent participer du corps même du Christ incarné, un Christ qui se rendrait visible à travers ces différentes médiations. Le protestantisme, lui, se développe sous la forme d’une théologie plus prophétique qui rend secondes toutes formes d’institution et de médiations. Il souligne la primauté de l’événement d’une parole autre, qui vient librement à nous et qui nous saisit plus que nous la saisissons. On a beaucoup dit que là où le catholicisme valorise le voir, et confie à l’Église la tâche de porter la Révélation, le protestantisme donne à entendre, et reconnaît en la seule parole de Dieu la possibilité d’être saisi par la vérité de l’Évangile. La musique va précisément dans le sens, plus abstrait que matériel, de l’affranchissement de Dieu par rapport à tout ce qui prétendrait se l’aliéner.

  Le chant et la musique contribuent, lors du culte, à nous transformer de manière créatrice.

  Qu’il soit à l’unisson, antiphoné ou polyphonique, le chant renforce la dimension communautaire de l’assemblée. Celle-ci se trouve cimentée, voire captivée, par la même activité et forme alors une même composition à travers une partition commune. La communauté n’est plus la simple addition d’êtres isolés les uns des autres, elle rassemble des hommes et des femmes enleur donnant une même voix, en les reliant dans un même souffle. À travers son chant, l’Église témoigne de la possibilité de communautés, de partages et d’harmonies humaines. Chant et musique nous inscrivent dans une filiation particulière, nous mettent à l’unisson d’autres voix, celles d’hier et celles d’aujourd’hui, et vibrent à travers des variations, des modulations, des accentuations variées.

  En stimulant nos capacités auditives, en animant notre sensibilité, en aiguisant aussi nos capacités d’interprétation, la musique nous permet également d’écouter le monde autrement, de l’écouter dans sa propre musicalité. Elle contribue ainsi à l’embellissement du monde et de notre rapport au réel. On se rappelle ici des propos de Karl Barth « adressés » à Mozart : « Chaque fois que je vous écoute, je me sens transporté au seuil d’un monde bon et ordonné […]. Avec votre dialectique musicale dans l’oreille, on peut rester jeune et vieillissant et se reposer, se réjouir et s’affliger ; en un mot : 16 É l vivre. […] Votre musique est d’un réel secours. » (Karl Barth, Mozart, Genève, Labor et Fides, 1956.)

  La musique et le chant viennent aussi nous transformer en nous ouvrant à la possibilité d’émotions inattendues et à de nouveaux émerveillements. Tous deux offrent à chacun la possibilité d’être saisi par une expérience qui surmonte les contradictions et les ambiguïtés profondes de la vie. Tous deux nous libèrent de nos aliénations et de nos obscurités intérieures, et nous ouvrent, l’espace d’un temps de grâce, à la possibilité d’un autrement, autrement plus paisible et joyeux. Beethoven disait : « Celui qui comprend ma musique ne peut jamais plus connaître le malheur. » Là où la prédication entend transformer le sujet par l’irruption d’une parole vibrante, prophétique, qui engage sa responsabilité et l’appelle à se décider pour l’Évangile, la musique et le chant transforment le sujet indépendamment de son propre pouvoir de décision.

  Là où la prédication nous exhorte à consentir, à nous engager, la musique nous situe ailleurs, dans le registre du dessaisissement de soi, de l’approbation inconditionnée, de la grâce. En nous ravissant, en nous saisissant, la musique et le chant nous mettent en profond accord avec nous-même et les autres. Ils éveillent en nous ce sentiment très net que nous appartenons au monde et à Dieu. Il s’agit là d’une expérience intime qui, aussi fugace soit-elle, nous traverse en profondeur. Elle nous libère du souci de nous-même, et se vit alors comme ce temps de grâce, l’insouciance de soi qui fait du culte un véritable moment de salut et non plus celui d’un simple discours sur le salut. Il ne s’agit plus de dire oui à l’Évangile, de consentir à Dieu et de s’engager. Il s’agit de se sentir saisi, accueilli, accepté. C’est dans le temps suspendu de la décision à prendre que la musique et le chant font du culte une véritable liturgie de la grâce.

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À propos Raphaël Picon

Raphaël Picon (né en 1968) est un théologien français.

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