D’après une antique légende, Romulus fonde Rome en créant un enclos, en l’entourant d’un fossé qu’il interdit de franchir. Il délimite un espace qui sera le sien, qu’il aménagera et qui définira l’identité de sa nation. Il symbolise le paganisme (religion « paysanne », selon l’étymologie) qui donne la priorité au terroir, au champ et à la maison qu’on possède. En agrandissant démesurément son empire, Rome a élargi son particularisme spatial à un mondialisme impérialiste.
D’après un récit biblique, Abra(ha)m, répondant à un ordre de Dieu, quitte son pays, sa patrie, la maison de son père et part sur les routes. Il ne trace pas des frontières, il les transgresse. Il ne s’établit ni ne s’enracine ; il voyage et va toujours autre part. Il engendre un peuple dont l’identité sera marquée par des déplacements et des dispersions (même si l’attachement à la Palestine finit par y jouer un rôle important). Il symbolise une religion où le temps, l’histoire, la marche en avant ont la priorité.
À mon sens, à travers Abraham, Dieu nous invite à ne pas nous enfermer dans nos identités et à ne pas les sacraliser. Il nous demande d’en sortir pour aller vers un ailleurs qui n’est pas un autre territoire, mais ce que le Nouveau Testament appelle le Royaume, autrement dit une paix et une justice universelles qui s’étendent à tout ce qui existe. La suprématie de l’espace fige, divise et oppose ; la primauté du temps rend possible des évolutions, des rencontres et des relations qui soient une bénédiction pour tous.
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