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Fin de vie. Mais qu’est allé faire François Clavairoly dans cette galère ?

Lundi 9 mars. Dans une réunion, mon regard accroche sur la « une » du Monde, amené par un participant : « Chrétiens, juifs, musulmans : l’appel des religions contre la loi sur la fin de vie. « L’interdit de tuer » doit être préservé, écrivent Philippe Barbarin, François Clavairoly, Mgr Emmanuel, Haïm Korsia et Mohammed Moussaoui. »

Mais qu’allait-il faire dans cette galère ?  Comment  François Clavairoly se retrouve-t-il à signer – sans consulter ni le Conseil de la Fédération, ni la Commission éthique et société – un texte à ce point contraire aux positions des Eglises unies d’Alsace-Lorraine et de « France de l’intérieur », de la FPF, des « grands laïcs » travaillant le sujet comme Didier Sicard et Pierre Encrevé ? A s’opposer à une loi d’une incroyable prudence, n’allant sans doute pas assez loin par exemple sur la directive anticipée, ni la mise en place d’instance plus collective dans les prises de décision, n’ouvrant pas la moindre persienne sur le suicide assisté ? Au de-là de ce que le Mouvement du Christianisme social critiquera comme un « exercice bien solitaire la parole collective »[1], au-delà d’une obsession interreligieuse qui érige l’ambiguïté des textes en qualité, au-delà d’une naïveté sur le fonctionnement de la presse, il y a – à nouveau après le refus du mariage pour tous – un alignement de l’éthique protestante sur l’approche la plus réductrice de l’éthique catholique, une nouvelle dérive de l’éthique publique de la Fédération protestante.

Dans une vision catholique conservatrice, on est « pour » ou « contre », on dit « le » divorce, « le » mariage pour tous : les réalités sociales existent comme des essences éternelles et sont en elles-mêmes bonnes, naturelles, saintes ou au contraire mauvaises, anti-naturelles, pécheresses etc. Sur ce sujet : les soins palliatifs, ça serait « bien » ; abréger la vie ce serait « mal ».

Parce qu’il insiste sur le caractère incarné et vivant de Dieu, vraiment homme et vraiment divin donc travaillant le monde de manière dialectique et contradictoire, le protestantisme n’a pas cette vision binaire et essentialiste des réalités sociales. Dans le vécu des personnes, du social dans sa réalité complexe, ce binaire n’existe pas et le problème n’est pas d’être pour au contre (en l’occurrence l’euthanasie) mais de créer des cadres. Des cadres qui permettent à chacun de décider en conscience (et devant Dieu pour les croyants) et dans chaque situation, toujours unique (à aucun moment le texte des « responsables » religieux ne mentionne le désir ou la volonté du patient !).

Des cadres qui protègent le bien commun. Mais avant tout, des cadres qui protègent les plus faibles. Dans le cas de la fin de vie, il y a d’un côté des milliers de situations où l’acharnement thérapeutique – entre toute puissance médical ou au contraire paralysie des soignants qui n’osent pas intervenir, craignant les plaintes, les procès – produit massivement de la maltraitance, de l’autre côté les milliers de vies abrégées de manière sauvage, à la va vite, parce que ça arrange la famille et les médecins… Des cadres qui font que les écosystèmes sociaux se développent plutôt dans un sens que dans un autre. La directive anticipée, par exemple, qui déjà permet que des vies se terminent, dans la volonté du patient même quand il ne l’exprime plus, mais ne laisse pas sa famille dans des situations impossible.

Chercher le bon cadre, refuser le binaire, ne pas croire que tout se règle parce qu’il suffit d’indiquer un interdit, une limite, c’est parier – comme l’ont fait les riches et complexes réflexions protestantes déjà évoquées  – sur l’intelligence démocratique en ces temps de démagogie égoïste, assumer les nuances de gris plutôt que de tenter d’exister dans le débat public par du noir ou du blanc contre-productif qui remet en selle – après le mariage pour tous – un « front uni » des religions. Cette photo trop souvent répétée de trois ou quatre hommes, bras-dessus-bras-dessous sur un parvis de l’Elysée ou de Matignon,  donne une image caricaturale du débat éthique et théologique dans la société civile chrétienne, qui n’est ni uniforme ni caserne mais belle diversité qu’il faut honorer et cultiver.

Comme l’a écrit le Christianisme social, « notre éthique protestante n’est ni de faire descendre de l’Olympe des principes divins sur le pauvre monde pécheur, ni d’asséner une lecture littéraliste du commandement de ne pas tuer qui fait violence au texte biblique mais une éthique de responsabilité qui assume la réalité au coeur du monde (…) Nous avons autre chose à dire qu’ « Amen » ou « Vade retro » aux évolutions du monde : être imaginatifs pour minimiser les risques et maximiser les potentialités positives, être des levains créateurs dans la dialectique du monde pour préparer les chemins du Royaume. » Ni éthique de situation, ni éthique normative mais éthique créatrice de normativité, de cadres pour habiter et jardiner le monde, accompagner la vie de l’humanité et des personnes dans les risques et les chances de son échappée belle.

[1]    http://christianismesocial.org/spip.php?article471

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À propos Stéphane Lavignotte

Diplômé de l’IEP de Bordeaux et du CFPJ, et docteur en théologie, Stéphane Lavignotte 12 est pasteur de la Mission populaire évangélique à Montreuil (93), et militant écologiste. Il est chargé de cours à la Faculté de théologie protestante de Bruxelles. Ces derniers ouvrages André Dumas : Habiter la vie et L’écologie, champ de bataille théologique.

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