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« Le Christ mort pour nos péchés »

La doctrine de l’expiation à la naissance de la théologie chrétienne.

Introduction

Lire les évangiles après avoir fréquenté assidûment les épîtres du Nouveau Testament, c’est s’exposer à un certain étonnement, voire à une déception. Car on n’y trouve pas, sinon rare et isolé, un thème qui est devenu la pièce maîtresse de la doctrine chrétienne, l’affirmation du pardon des péchés acquis par le Christ mourant sur la Croix. De Paul : « Quand nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils. » (Rm. 5, 10) D’un auteur johannique : « Dieu a envoyé son Fils en victime expiatoire pour nos péchés. » (1 Jn 4,10). Ces formules devenues classiques dans nos catéchismes trouvent peu d’échos dans les textes des évangiles relatifs à la mort de Jésus. Il y a pourtant, mises dans sa bouche, sa déclaration « le Fils de l’homme venu pour donner sa vie en rançon » (Mc 10,45). Et aussi Mt. 26,28 : « Le sang de l’Alliance versé pour le pardon des péchés ». Heureusement, dira-t-on.
Mais attention, la présente étude risque de modérer cet enthousiasme.

Mon projet

Car je me propose d’examiner si le thème sacrificiel appliqué à la mort du Christ figure déjà dans les couches les plus anciennes de la tradition évangélique, voire dans l’enseignement de Jésus lui-même.
Sur ma table de travail, deux textes pour commencer : Mc 10,45, justement, dans le contexte de la discussion où Jacques et Jean réclament les premières places dans le Royaume, et alors la parole que Jésus leur oppose : « Si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous. Car le Fils de l’homme est venu non pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. » (Mc 10,44-45)
Et l’autre texte, chez Paul en Philippiens 2, c’est l’hymne décrivant les étapes de l’abaissement du Christ jusqu’à la mort sur une croix, puis célébrant son élévation souveraine (Ph.2,6-11).

Je commence par ce dernier.

Un texte prépaulinien
« Jésus Christ, qui est de condition divine, n’a pas considéré comme une proie à saisir d’être l’égal de Dieu. Mais il s’est dépouillé, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes et, par son aspect, il était reconnu comme un homme ; il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’à la mort, à la mort sur une croix. C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse, dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que le Seigneur, c’est Jésus Christ, à la gloire de Dieu le Père. »(Ph 2, 6-11)
Cet hymne, au jugement général des exégètes, n’est pas de la facture immédiate de l’apôtre. Il l’a inséré dans son épître pour renforcer l’exhortation à l’humilité qu’il adressait aux Philippiens. L’intérêt de ce texte est qu’il exprime une pensée chrétienne antérieure à la rédaction des premiers écrits pauliniens, qui datent du début des années 50. Ainsi nous sommes en présence d’une des plus anciennes réflexions de croyants relatives à la mort du Christ.
L’hymne, dans sa première partie, parcourt toutes les étapes de son abaissement, de la condition divine jusqu’à la mort infamante sur une croix.
Je relève ici ce qui est dit et ce qui est tu.
Partageant le sort de tous les humains, qui est de devoir mourir, le Christ a poussé l’obéissance jusqu’à se soumettre à un supplice non seulement atroce, mais aussi et surtout immérité et avilissant. Être pendu à une croix, c’est le comble de la honte. De la condition divine à partager le sort des droit commun, quelle chute !
Ce qui a amené le Christ jusqu’à ce dénouement, le texte le dit, c’est son obéissance. Obéissance à Dieu, ou à sa vocation. Mais l’hymne ne dit rien des éventuels bénéficiaires de ce don de soi. « Mort pour nous », la formule volontiers appliquée à la mort du Christ n’apparaît pas ici. C’est un acte gratuit dans toute l’acception du terme, en ce sens que personne n’est dit en profiter.
Dans ce cas, il ne peut être question de parler d’un sacrifice expiatoire. Car un sacrifice suppose des bénéficiaires, or ici ne sont en présence que le Christ et Dieu.

Colossiens 2, 13-15, un texte parallèle ?
« Vous qui étiez morts à cause de vos fautes et de l’incirconcision de votre chair, Dieu vous a donné la vie avec lui : il nous a pardonné toutes nos fautes, il a annulé le document accusateur que les commandements retournaient contre nous, il l’a fait disparaître, il l’a cloué à la croix, il a dépouillé les Autorités et les Pouvoirs, il les a publiquement livrés en spectacle, il les a traînés dans le cortège triomphal de la croix. »
Encore un hymne au Christ, centré également sur la Croix, mais là le thème de la rédemption, absent de Ph 2, domine tout le développement.
Le cadre de pensée et le vocabulaire nous éloignent de Ph 2. Certes, la Croix est de nouveau au centre du discours, mais sous un autre éclairage. En Ph 2, elle avait été évoquée comme le lieu de l’humiliation suprême. Ici au contraire elle porte en elle le pouvoir d’un triomphe assuré. La condition de serviteur obéissant acceptée par le Christ n’est plus du tout exprimée.
Est-ce dû à la date plus tardive de cette épître, qui est soit de la captivité de l’apôtre soit d’un disciple, toujours est-il que le glissement est manifeste. Le rappel de la Passion n’a plus ici la force percutante que lui donnait la sobriété d’évocation de Ph 2.

Vers les synoptiques

J’adresse maintenant ma quête au texte évangélique qui m’avait attiré d’emblée : le Fils de l’homme venu pour donner sa vie en rançon (Mc 10,45). J’y joindrai ensuite le récit de l’institution de la Cène, pour y étudier notamment la mention du corps donné et du sang versé pour la multitude (Mc 14, 22-24), avec les diverses versions parallèles en présence.
Mais un premier problème doit être abordé, celui du statut littéraire de ces textes.
Les évangélistes rassemblent dans leurs écrits des traditions de date et d’origine diverses. Puisque je cherche une attestation ancienne de la façon dont la mort du Christ a été comprise, je suis contraint d’examiner chaque verset et même chaque logion pour déterminer autant que possible l’ancienneté des éléments qu’il contient.
Le logion qui m’intéresse est la conclusion d’une remise en place par Jésus de ses disciples Jacques et Jean qui demandent de siéger tous les deux aux premières places lorsqu’il sera dans sa gloire. Jésus s’adresse à tout le groupe : « Vous le savez, ceux qu’on regarde comme les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination. Il n’en est pas ainsi parmi vous. Au contraire, si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur. Et si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous. Car le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. »(Mc 10,42-45)
La cohérence interne de cette péricope doit être examinée.
Confronté à un espoir des deux disciples de partager sa gloire et son pouvoir futur, Jésus leur oppose un autre idéal, celui qui a cours parmi les valeurs du Royaume de Dieu, l’humilité. Les premières places seront pour ceux qui ne les recherchent pas. Si quelqu’un veut être grand, qu’il soit votre serviteur.
Alors Jésus illustre son propos par son propre exemple. Il a pris la place du serviteur.
Jusque là, le logion présente une parfaite cohérence, sans interférence d’un élément étranger. Ensuite, c’est moins évident.
De l’idée de service, on passe à celle du don de sa vie. Certes, on ne s’éloigne pas du propos en cours, on le renforce. Ce n’est pas
vraiment un élément étranger, mais sans cet ajout la mise en garde de Jésus était déjà claire et suffisante. On peut donc se demander si l’on n’est pas en présence d’un commentaire rédactionnel, d’une explicitation du thème du service par l’évocation de la mort de Jésus, qui a eu lieu quand l’évangile est rédigé. Mais ce n’est pas décisif, ne dramatisons pas.
Voyons maintenant le parallèle lucanien : « Les rois des nations agissent avec elles en seigneurs, et ceux qui dominent sur elles se font appeler bienfaiteurs. Pour vous, rien de tel. Mais que le plus grand parmi vous prenne la place du plus jeune, et celui qui commande la place de celui qui sert. Lequel est en effet le plus grand, celui qui
sert ? N’est-ce pas celui qui est à table ? Or moi, je suis au milieu de vous comme celui qui sert. » (Lc 22,25-27).
Au début, le parallélisme avec les récits de Marc et Matthieu est bien marqué : convoitise des meilleures places, comparaison contrastée avec l’attitude des dominateurs humains, exemple de Jésus comme celui qui sert.
Mais chez Luc, le service s’illustre par une place modeste à la table du repas, non par la perspective du don de sa vie comme c’est le cas dans les deux autres évangiles.
Cette observation diminue les chances d’ancienneté de Mc 10,45 et Mt 20,28.
Et enfin, l’absence chez Luc des mots « donner sa vie en rançon » aggrave encore le doute. On pouvait encore considérer comme normal le passage de la notion de service à celle du don de sa vie, mais qualifier ce don comme un acte pour le rachat des péchés est un élément nouveau et hétérogène par rapport à ce qui précède. Là, Marc et Matthieu se singularisent franchement.
Je n’oserais donc pas considérer Mc 10,45 comme l’expression originelle de la pensée de Jésus. Je prends acte et passe plus loin.

L’institution de la Cène
Le dernier objet de mon investigation, le plus important, c’est le récit de l’institution de la Cène. Il se donne à nous en quatre versions : dans les trois synoptiques (Mt 26,26-29 ; Mc 14,22-25 ; Lc 22,14-20), ainsi que chez Paul, au chapitre 11 de la première épître aux Corinthiens.
Avant de l’aborder, je fais le point.
Je cherchais une attestation très ancienne, antérieure aux épîtres pauliniennes, de l’affirmation que Jésus était mort pour le pardon des péchés.

La récolte est modeste, et le résultat plutôt négatif.
D’abord, en examinant l’hymne au Christ humilié jusqu’à la Croix, j’y ai noté l’absence du thème sacrificiel. Ensuite, chez Matthieu et Marc, la parole de Jésus sur la valeur du service, je viens de conclure que l’annonce de sa mort en rançon a peu de chance d’être authentique.
Je reviens au récit de la dernière Cène. Sous les mots « Ceci est mon corps », « Ceci est mon sang » prononcés par Jésus à la veille de sa mort, trouverons-nous la preuve qu’il avait conscience de donner sa vie en sacrifice pour le pardon des péchés ?
Ici, attention. Ce récit, qui est devenu un élément de la liturgie des premières communautés, a circulé pendant plusieurs années et dû subir d’inévitables modifications. Nous ne pouvons plus connaître sa teneur primitive.
Nos quatre versions du récit ne sont pas identiques. Celle de Paul (1 Co 11,17-34) est la plus ancienne dans sa rédaction ; l’apôtre avait déjà transmis ce récit à l’Église corinthienne, et lui-même dit l’avoir reçu, à Antioche pense-t-on. Les assemblées cultuelles écoutaient ou redisaient lors de chaque réunion eucharistique l’origine du rite ; des versions écrites ont commencé à circuler, que les évangélistes utiliseront. Ces transmissions diverses expliquent les différences entre nos quatre textes.

Pain et coupe, premières ramifications
Tout naturellement, lors de ce dernier souper, Jésus dirige les esprits des convives vers sa mort prochaine. Luc situe ce repas explicitement dans le cadre de la Pâque, où l’on sacrifiait un agneau. Ce rapprochement insinue que Jésus va être immolé en sacrifice. L’auteur du quatrième évangile, qui place la crucifixion à la date même de la Pâque, suggère que Jésus prend la place de l’agneau pascal, c’est donc encore plus net.
Quant à la parole sur la coupe – ou sur les coupes chez Luc -, elle a une portée eschatologique appuyée. Car la coupe, plus encore que le vin qu’elle contient, est en elle-même un symbole de fête partagée. Jésus la présente donc comme l’anticipation du festin dans le Royaume.
Mais la parole sur la coupe se rapporte aussi à la mort de Jésus,
avec ce commentaire chez Luc : « La nouvelle Alliance en mon sang versé pour vous ». Encore plus net chez Matthieu : « Le sang de l’Alliance versé pour le pardon des péchés ».
Je prends un peu de recul.

Communions sans rite sacrificiel
Du pain et du vin. Pourquoi ? Le pain, aliment des repas ordinaires. Le vin, boisson des jours de fête. Avec ses disciples pendant leur vie commune, Jésus a pratiqué ces deux sortes de repas. Au cours de celui-ci, les disciples portent dans leur mémoire divers épisodes bibliques qui éclairent leur présent. J’ai évoqué, puisque c’est la Pâque, le souvenir de la délivrance d’Egypte. Ce repas pascal prépare-t-il un nouvel Exode ?
Dans la version de Luc et de Paul, la parole prononcée ici est la reprise de l’oracle de Jr 31, 31-34 annonçant une nouvelle alliance qui remplacera celle conclue à l’Exode. L’oracle se réalise, cette alliance est inaugurée, et c’est la mort de Jésus qui va la sceller.
D’autres réminiscences bibliques sont aussi présentes à l’esprit de Jésus lorsqu’il préside ce repas de pain et de vin. Bibliques, ou du moins judaïques.
Je dois au livre écrit par Alfred Marx et son collègue à Strasbourg Christian Grappe (Sacrifice scandaleux ? Sacrifices humains, martyre et mort du Christ, Labor et Fides, 2008) dont je m’inspire, d’avoir mis en évidence un rite un peu marginal dans la religion d’Israël, mais avec lequel Jésus pouvait se sentir en affinité : l’offrande cultuelle d’éléments végétaux.
Les Esséniens de Qumran célébraient un repas de communion composé de pain et de vin. Une communion qui équivalait à un sacrifice, mais sans mise à mort.
Ce rite a une origine assez ancienne. Déjà dans la couche sacerdotale du Pentateuque s’exprime l’idéal d’une humanité végétarienne. C’est ce qu’on lit dans le premier récit de la Création « Voici, je vous donne toute herbe verte qui porte sa semence, et tout arbre dont le fruit porte sa semence ; ce sera votre nourriture. » (Gn 1,29-30) Donc les Esséniens, et d’autres groupes ou écrivains du judaïsme contemporain de Jésus, puisaient leur inspiration cultuelle dans une tradition bien établie de repas de communion autour de pain et de vin ne faisant intervenir aucun sacrifice.
Si Jésus, en instituant la Cène, a mis ces éléments végétaux en évidence, cela peut éclairer l’annonce de sa mort dans un sens non sacrificiel.
L’épisode des marchands du Temple donne une indication dans ce sens. Par cet éclat, Jésus ne purifiait pas seulement le sanctuaire de l’emprise de l’argent. Il agissait dans le sens du texte de Zacharie : « Tous ceux qui viendront présenter un sacrifice s’en serviront pour cuire leur offrande. Il n’y aura plus de marchand dans la Maison du Seigneur en ce jour-là. » (Za 14,21) Plus de vendeurs d’animaux, le sacrifice est aboli.
Jésus n’avait-il pas souvent indiqué que par sa présence, par l’accueil qu’il offrait aux laissés pour compte, par ses guérisons, le monde nouveau se manifestait ? sans faire intervenir un sacrifice expiatoire.
Après ces remarques, on peut dire que la parole « Ceci est mon corps » ne renvoie pas forcément à l’idée que Jésus meurt pour l’expiation des péchés. Cette idée domine bien sûr nos esprits. Nous pensons même que le Christ s’est sacrificié spontanément afin d’accomplir la volonté de Dieu pour notre salut. Non, Jésus a subi son arrestation et son supplice comme la conséquence prévisible, mais non voulue de l’hostilité des responsables religieux dont il avait souvent bravé les interdits. Comprenant qu’il va être éliminé, Jésus prépare ses disciples à la séparation et leur révèle le sens qu’il va donner à sa mort.
Mon corps donné pour vous », c’est le sacrifice au sens profane du terme par lequel Jésus scelle le ministère d’amour qu’il a rempli jusque là. « Ma mort désormais inévitable, je l’assume pour que vous ne soyez pas déçus à mon sujet, que vous puissiez continuer à croire en moi. La vie que j’ai menée avec vous et pour mon peuple, je ne la contredirai pas, je ne la renierai pas.
Après le supplice, les disciples ne seront pas livrés à eux-mêmes. En leur donnant le pain, Jésus assure le passage du temps où il était physiquement présent et actif vers le temps où ils le trouveront dans le repas fraternel autour du pain et du vin partagés entre tous.
Ceci est mon corps : le pain et le vin seront maintenant le signe de ma présence, comme quand nous étions ensemble à table et qu’avec vous j’accueillais des gens de toutes sortes pour les associer, eux aussi, à la générosité étonnante de Dieu.
En comprenant ainsi les paroles prononcées au cours du dernier repas, on évite l’incohérence qui voit dans la mort de Jésus un sacrifice, notion que lui-même n’avait jamais évoquée quand il pardonnait les péchés au nom de Dieu et rétablissait avec les gens en perdition la communion brisée.

Regard sur l’ensemble

Nous avons ainsi repéré trois principaux thèmes présents, explicitement ou en arrière-plan, dans le récit du dernier repas où Jésus institue la Cène :
– l’annonce de son sacrifice rédempteur,
– l’institution proprement dite du repas de communion autour du pain et du vin,
– l’évocation de la nouvelle Pâque dans le Royaume de Dieu.
En ce qui concerne l’annonce du sacrifice rédempteur, je viens de noter ce qui me paraît une incongruité d’appliquer ce thème à la mort de jésus.
N’empêche qu’il faut reconnaître sa position dominante en théologie chrétienne, déjà dans le Nouveau Testament, même dans les épîtres de Paul. L’apôtre proclame qu’il n’a rien voulu savoir d’autre que le Christ crucifié. C’est malheureux pour lui, et cette carence nous affecte jusque dans le Symbole des apôtres, où la vie, le ministère et l’enseignement de Jésus sont ignorés. Personnellement, je déplore que cet élément de doctrine rejette dans l’ombre les autres conceptions relatives à la mort du Christ.
À mon sens, l’institution de la Cène concerne les disciples à qui Jésus s’adresse, et nous-mêmes après eux. Il m’a paru pertinent de souligner le lien entre ce repas et les expériences de vie commune qui sont maintenant récapitulées dans l’ultime moment de communion terrestre offert à ce groupe.
Dans cette compréhension des paroles d’institution, Jésus se manifeste comme serviteur, à l’instar de toute sa pratique humaine durant ses quelques mois d’activité. Serviteur, mais chef responsable, attentif à chacun de ces hommes qu’il avait embarqués dans son aventure risquée et pour lui finalement mortelle.
Il y a enfin la perspective eschatologique, troisième thème en présence, ce rendez-vous que Jésus donne à ses disciples : il boira avec eux le vin nouveau dans le Royaume de son Père. Là, aucun problème de compréhension.
Nous avons affaire à des expressions imagées. Car personne d’entre les humains ne peut parler adéquatement de la vie dans l’Au-delà. Avoir place au festin avec Abraham, Isaac et Jacob, boire le vin nouveau du Royaume, ou bien pour les réprouvés être jetés dans les ténèbres du dehors, c’est toujours un langage symbolique. Se l’approprier littéralement est une entreprise incertaine car chaque génération, chaque culture se représente à sa manière le dénouement final de la vie des personnes et du monde.

Conclusion

Quelle conclusion faut-il donner à cette rapide enquête ?
D’abord la prendre pour ce qu’elle a été, la satisfaction d’une curiosité qui m’a pris sur mes vieux jours, alors que je ne dispose plus des outils nécessaires à une recherche scientifique sérieuse. C’est pourquoi il y manque la mention des articles et ouvrages qui ont été consacrés avant moi au thème que j’aborde. Mais ce travail a été profitable, en tout cas pour moi. Car je crois avoir détecté, tout au début de l’ère chrétienne, une réflexion théologique n’appliquant pas à la mort du Christ une valeur expiatoire. Son supplice, éclairé par ce qu’avait été sa vie, a de quoi susciter chez les chrétiens une ferveur proche de l’adoration. Nous l’avons vu dans l’hymne de Ph 2.
Cela n’invalide pas la construction doctrinale édifiée sur l’idée du sacrifice rédempteur, mais les croyants qui aujourd’hui sont allergiques à cette notion peuvent se sentir à l’aise. Une piété nourrie par l’admiration et la reconnaissance envers celui qui a accompli jusqu’au bout sa tâche pour lui-même, pour Dieu et pour les autres a sa place dans l’Église chrétienne.
L’interprétation sacrificielle de la mort du Christ a envahi très vite les esprits de la jeune Église. Pourquoi ? Peut-être que le christianisme n’aurait pu devenir une religion populaire et universelle s’il n’avait pas rejoint le grand courant religieux porté vers l’idée du sacrifice. Mais ce tournant ne s’impose pas à tout le monde.
Mon étude a du moins fait apparaître la diversité légitime des points de vue concernant la mort du Christ. Une leçon de pluralisme, comme toujours quand on se plonge dans la Bible.

Pierre Le Fort
professeur honoraire de Nouveau Testament à la Faculté universitaire de théologie protestante de Bruxelles.
Genval, juillet 2010

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2 commentaires

  1. elisabeth.pecout@yahoo.fr'

    Bonjour, il m’a été donné un extrait d’un texte paru dans Evangile et liberté d’août-septembre 2014. Il est signé JSS. Serait-il possible d’avoir la totalité du texte et son auteur ? La page que j’ai est la page 19. Le dernier paragraphe du texte est intitulé : « Vivre Dieu », et commence ainsi : » La tâche de la foi chrétienne, pour moi, n’est pas que les gens aient une religion. Jésus n’est pas venu sur cette terre d’un quelconque endroit céleste, comme le langage de la tradition le laisse entendre, afin de nous sauver, nous pécheurs, ni apporter la rédemption à ceux qui étaient perdus, ni même secourir ceux qui avaient chuté. Mais dans sa vie, il a plutôt révélé la capacité de donner sa vie aux autres et ainsi il nous a fait connaître une nouvelle dimension de ce que signifie être humain, une dimension qui ultimement ouvre l’humain à participer du divin ».
    J’espère avoir accès à la totalité de ce texte… Je vous en remercie par avance.
    Elisabeth Pécout

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