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Interview de Claude-Arthur DANLOY, pasteur de l’EPUB à Framerie

1. Comment voyez-vous votre spécificité dans la mosaïque protestante belge ?

Le protestantisme, est, en effet, constitué d’une grande mosaïque.

Cette mosaïque, les protestants libéraux veulent la vivre comme une « apposition interactive ».

Cependant, les positions libérales demeurent minoritaires dans le monde chrétien.
La Belgique ne fait pas exception à la règle quoiqu’on rencontre beaucoup de libéraux qui s’ignorent.

Je souhaiterais apporter d’emblée une précision.
Dans nos contrées il s’est produit un glissement de sens sur le terme « évangélique ». Il est très courant d’opposer le qualificatif « évangélique » au qualificatif « libéral »…

Je vais en surprendre quelques uns, mais je suis évangélique !

Je suis évangélique parce que c’est l’esprit de l’Evangile qui inspire ma vie, je me réclame de l’Evangile.
Je veux dire et vivre l’Evangile dans ce qu’il a d’essentiel.
Je me sens rejoins par ce que Jésus enseigne.
Dans sa lutte pour la liberté et contre toutes les formes d’oppression.

Mais je suis libéral car je crois que Jésus a formulé son message dans des concepts de pensée et un vocabulaire qui sont ceux de son temps.
Ceux-ci ne correspondent plus nécessairement à notre époque.
Il nous faut donc adapter son message, l’actualiser, ce qui ne veut pas dire le modifier, au contraire, il s’agit de le garder vivant, d’entretenir sa congruence.

Pour moi la foi est une expérience vivante et personnelle de la rencontre avec cet au-delà de soi que je nomme Dieu, faute de mieux.

Je crois qu’il est impérieux, dans nos églises, de maintenir et d’encourager une pensée critique qui participe de la culture du débat.
Face aux extrémismes de tous bords, le protestantisme libéral veut défendre un espace de libertés qui ne se considère pas comme une finalité, mais comme un moyen pour aider l’homme à dépasser ses souffrances et ses interrogations.

2. Quel est (ou quels sont) à votre avis le(s) point(s) fort(s) de cette famille ?

Vous savez, le libéralisme protestant se veut une religion de l’essentiel.
Je n’aime pas trop ce terme de « religion ». Il a été si souvent galvaudé. Pour moi « religion » c’est avant tout l’énergie qui relie l’homme à lui-même, aux autres et aussi à Dieu. Car pour moi Dieu est dans la relation, nulle part d’autre.

Les mots sont bien insuffisants pour définir Dieu, d’ailleurs souvent ils l’enferment et le trahissent.

La tradition chrétienne représentait Dieu comme extérieur au monde. Elle disait que Dieu avait créé le monde à partir de rien et qu’il y intervenait exceptionnellement de manière surnaturelle. Elle opposait Dieu et le monde, l’esprit et la matière, l’âme et le corps, la religion et la science.

Aujourd’hui, le développement des sciences de la nature rend cette conception dépassée d’un point de vue scientifique, quoique toujours riche de symboles.
Dès lors, je ne souhaite pas enfermer Dieu dans des catégories. J’ai plutôt tendance à penser la présence de Dieu dans l’univers comme infuse, englobante.

Le libéralisme protestant, issu de la pensée des Lumières et des encyclopédistes, moteur de la laïcité, se veut critique, y compris par rapport à la Bible. Celle-ci n’est pas reçue comme la révélation infaillible de Dieu, mais comme un témoignage rendu par des hommes à cette révélation.

Toutefois, ce vieux livre reste étonnamment jeune.
Le souffle qui animait les auteurs anciens nous rejoint nous aussi.
Une force singulière traverse ces pages chargées d’un réel courage de vivre, et d’un formidable élan d’espérance.
J’aime la Bible mais je crois qu’elle n’est pas aussi claire que le guide Michelin !
Il faut chercher et écouter avec un cœur disponible et ouvert.

Pour moi, nos convictions doivent être formulées dans un langage nouveau et simple, celui de notre temps en phase avec notre culture.

C’est pourquoi, je défendrai toujours la liberté de conscience et de recherche, je défendrai toujours une religion en quête d’une foi intelligente, une foi ouverte au dialogue avec tous les hommes.

N’oublions pas que toute mise en forme de la foi est approximative, incomplète et réversible, il y a toujours plusieurs énoncés possibles.

Je veux donc insister sur la liberté de la foi personnelle et relativiser le poids des formules doctrinales et des institutions ecclésiastiques.

3. Un mot de la structure et de l’ecclésiologie de cette famille ?

Vous savez, les protestants protestent et ce nom leur convient bien!
Et les protestants libéraux, peut-être plus que les autres, affirment leur liberté de penser contre l’autorité outrancière d’une institution, fût-elle celle de l’Eglise.
Au travers de l’histoire, dans toute l’Europe, et dans le monde entier des hommes et des femmes se sont battus et se battent encore aujourd’hui pour avoir le droit de penser et d’exprimer leurs convictions personnelles. Les protestants libéraux sont de ceux-là. Pionniers du droit à la liberté de conscience.

Alors votre question amène tout naturellement ma réponse.
Les protestants libéraux se positionnent contre tout cléricalisme. Ils restent critiques par rapport aux régulations orthodoxes des croyances et des pratiques, par rapport aux appareils ecclésiastiques et à leur pouvoir normatif.

L’Eglise est au service des personnes et non les personnes au service de l’Eglise.

Il est vrai que cette compréhension porte quelque fois ombrage à son pouvoir.

Comme le disait le pasteur Henry Babel « L’Église a pour mission essentielle d’offrir un milieu ouvert où l’on puisse trouver une énergie spirituelle. Quand l’Église donne dans la superstition de la lettre, elle se disqualifie ».

Pour moi, la véritable Eglise est « invisible », dans le sens où elle ne procède d’aucune institution.
Elle est constituée par tous ceux qui s’efforcent de pratiquer la volonté de Dieu dans l’esprit de Jésus.
Par ceux qui sont prêts à s’unir, par-dessus les barrières ecclésiastiques et doctrinales, afin d’œuvrer au bien de l’humanité.

4. Au point de vue éthique comment situez-vous vos prises de position ?

Comme j’ai cru le dire, la foi est l’attitude d’ouverture à la présence et à l’action de Dieu en nous et son corolaire, Dieu se dit dans nos actions.

La foi est l’expression de notre désir de dépassement.

Dieu ne vient pas pour nous juger et nous reprocher nos erreurs.
Nous entendons dans le message d’amour de Jésus de Nazareth une invitation à la libération et à la transformation de l’homme.
Le libéralisme protestant s’exprime avant tout dans une éthique de « l’action bonne » (Tommy Fallot).

C’est Albert Schweitzer qui le premier a parlé du « respect de la vie », ceci n’est rien d’autre que le cœur de la mystique et de l’éthique de Jésus formulé en termes contemporains.

Le respect de la vie c’était l’écologie avant l’heure !
Nous n’avons pas le temps de développer cet aspect maintenant toutefois retenons que notre responsabilité personnelle est engagée pour la survie du monde.

Mes décisions, mes actions, mes paroles sont toujours miennes et m’engagent personnellement.

Aussi je me refuse à énoncer des règles morales étroites, aucune affirmation catégorique disant qu’aucune femme ne doit jamais avorter, qu’aucune personne divorcée ne peut se remarier, que l’usage des préservatifs est interdit…

C’est pourquoi, comme vous, je préfère parler d’éthique. C’est-à-dire d’une morale concernée par l’action bonne et utile. Une action qui défend les libertés et construit la solidarité entre les hommes.

Par exemple, je suis amené en tant que pasteur à encourager la fidélité conjugale.
Mais je ne peux obliger personne à étouffer dans une relation moribonde.
Alors j’écoute et j’encourage les gens à exprimer leur volonté d’ouvrir leur vie sur un avenir plus créatif, plus apaisant.

C’est un vent de renouveau et de compassion, un esprit de résurrection qui souffle dans les pages de la Bible, pas un message de culpabilisation ni d’enfermement.

5. En termes de « témoignage » quelle est l’implication de votre famille spirituelle dans la société actuelle ?

Nous avons dit que le protestantisme libéral est ouvert à la culture des autres, il a prit conscience du fait qu’il est lui-même partie prenante d’une culture, ici et maintenant.
Nous imaginons de témoigner en faisant d’abord au sein de nos églises, la promotion d’un protestantisme ouvert aux problématiques du monde moderne.
Un protestantisme sensible au pluralisme et initiateur de rencontres interconvictionnelles, au niveau de nos villes et de nos communes, par exemple.
C’est très concret. Apprendre à dépasser notre réserve, voire à dépasser nos peurs de l’autre, cet autre si différent et si semblable pourtant…

La fidélité au message de Jésus ne nous interdit pas de découvrir et de pénétrer la sagesse des autres religions ni celle de la libre-pensée.

Apprendre à parler puis à agir ensemble.
Il ne s’agit pas d’abandonner notre esprit critique, mais il s’agit avant tout d’apprendre à renoncer à un esprit prétentieux, enfermé sur nos propres certitudes.

Je n’entends certes pas tout mélanger mais je me refuse à mépriser et à écarter les autres convictions. Si les chrétiens ont des choses à apporter aux autres, ils en ont aussi à recevoir d’eux.
Comme le disait le pasteur Charles Wagner « Je me méfie de la foi de ceux qui ne respectent pas la foi des autres ».

6. (Si nécessaire !) Comment voyez-vous l’évolution de cette famille à court et à moyen termes ?

Vous l’avez compris, le libéralisme protestant ne cherche pas à constituer un parti ecclésiastique, ni un groupe particulier.
Il cherche à diffuser des idées, à entretenir des débats, à maintenir une attitude d’ouverture.
Il est persuadé que son attachement au protestantisme s’enrichit lorsqu’il s’éloigne de la pensée dogmatique pour ouvrir son cœur et son esprit à cet autre qui est son prochain.

Il veut féconder sa spécificité, il assume un certain flou, il veut réinventer des mots et des actions qui l’autorisent à rester faillible, incertain et curieux.

Au bout du compte, les convictions ne devraient plus être une cause de division, ni une justification à la violence.

Dans un esprit d’intérêt mutuel et de partage, j’espère qu’elles deviendront un jour une source de paix et d’harmonie entre les hommes.

par la radio-télévision protestante belge, Bruxelles , le 5 mars 2011

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