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De la liberté religieuse chez Sébastien Castellion à une religion non-dogmatique

« En quoi la liberté religieuse, chez Sébastien Castellion (1515-1563), définie comme une
possibilité à l’hérésie offre-t-elle des perspectives à une religion non-dogmatique? »

Conférence proposée par Philippe Fromont, Pasteur de l’Eglise Protestante Unie d’Alès, lors de la
journée des groupes Evangile & Liberté de Barbentane (Avignon) du 20 août 2013.

AVERTISSEMENT: Le texte qui suit a été rédigé dans l’unique perspective de la conférence que
nous avons donnée dans le cadre des journées E&L de Barbentane. Ces pages ne répondent donc
pas aux critères habituellement attendus d’un texte destiné à la publication. Ce texte peut-être
utilisé par des groupes de réflexion ou publié en tout ou partie sur internet ou sur papier à la seule
condition de rappeler son intention première: servir de base à une conférence et non à une
publication. Son auteur vous en remercie vivement.

Plan
1. La conception de l’hérésie par Sébastien Castellion.
1.1. L’impossibilité de définir théologiquement l’hérésie.
1.2. L’hérésie ne concerne pas une matière de doctrine théologique.
1.3. L’hérésie bénéficie du même statut que l’erreur.
2. S. Castellion pose comme postulat la relativité de la vérité théologique.
2.1. La vérité sur Dieu n’appartient pas aux hommes
2.2. La vérité comprise comme une adéquation entre la pensée et la parole
2.3. La vérité en religion est douteuse.
3. Perspectives pour une religion non-dogmatique.
3.1. Élaborer une religion non-dogmatique reviendrait à promouvoir la paix au sein même
de la religion.
3.2. Elaborer une religion non-dogmatique reviendrait à extraire la religion du magistère de
l’église.
3.3. Elaborer une religion non-dogmatique permet de valoriser l’errance en recherche
théologique.1. La conception de l’hérésie par Sébastien Castellion.
1.1. L’impossibilité de définir théologiquement l’hérésie.

Trois textes majeurs de Castellion traitent du sujet de l’ « hérésie » et des hérétiques. Il s’agit du
« Traité des hérétiques (1554) », « De l’impunité des hérétiques » et de quelques passages dans son
« Contre le libelle de Calvin après la mort de Michel Servet (1612) ».

Dans l’énoncé que je viens de formuler, j’ai mis le mot hérésie entre guillemets car, vous l’avez
remarqué le mot hérésie n’apparaît pas dans l’intitulé des trois textes. Dans ces pages, Castellion
écrira sur l’hérétique, il est même prolixe sur le sujet puisqu’il consacre une traité sur le sujet, mais
par contre pour l’hérésie il n’ira pas plus loin qu’une définition étymologique. Quant à cette dernière
Castellion précise que le mot est grec (airèsis) et qu’il signifie « secte » ou « choix ». De fait, dans
sa Bible en latin, il traduit airèsis par « secta », qu’il traduit dans sa Bible en français par « la voix
que l’on suit » ; mais parfois il reprend le grec de « choix » (airésis). C’est tout ce qu’il dira sur
l’hérésie en tant que telle : une définition étymologique. Il ne lui donnera pas une orientation
doctrinale, ni un contour dogmatique. Je pense qu’il s’agit là d’un signe quant à la posture de
théologien rebelle adoptée par Castellion au sujet de l’hérésie.

Je souhaiterais montrer que cette non- définition théologique de l’ « hérésie » par Castellion
fonctionne comme un a- priori méthodologique dans sa compréhension de la doctrine ou de la
théologie au sens d’un discours sur le rapport de Dieu à l’humain et vice versa, mais également chez
Castellion de la théologie comme rapport entre humains.

Extrait de « Contre le libelle de Calvin » pp. 264
« La saine doctrine , Paul la définit comme la doctrine qui rend les homme sains, c’est-à-dire doués
de charité, d’une foi non feinte et d’une conscience pure. Les doctrines malsaine se sont celles qui
les rend curieux, querelleurs, rebelles, impies, irréligieux, profanateurs, parricides, et ainsi de suite.
Mais Calvin et les siens ont tout autre chose en vue: ils appellent sains ceux qui s’accordent avec
eux sur le baptême, sur la Cène, sur la prédestination, etc. Ces gens là peuvent bien être avaricieux,
envieux calomniateurs, […] ou manifester tout autre défaut à la saine doctrine (n.d.l.r. celle définie
par Paul) on les accepte sans peine. Personne n’est mis à mort pour ces vices […]- ou au moins
qu’il n’ait offensé les ministres: car c’est là, à leurs yeux, un pur péché contre le Saint-Esprit.
Mais si quelqu’un diffère d’eux sur le baptême, la justification, la foi, etc., c’est un hérétique, c’est
le diable, il faut le poursuivre sur terre et sur mer, comme un ennemi éternel de l’Eglise, comme un
effroyable destructeur de la saine doctrine (n.d.l.r. celle définie par Calvin), même si sa vie par
ailleurs est pure, […], et même si ses mœurs sont irréprochables aux yeux de ses amis comme de
ses ennemis. »

Pour définir la « saine doctrine » , Castellion convoque ici un texte biblique du N.T., la 1ère lettre
de Paul à Timothée chap. 1 verset 5 et 6. Ainsi pour définir la saine doctrine, Castellion ne fait pas
appel à une instance dogmatique : confession de foi ou autre texte symbolique ou encore un
raisonnement théologique. Selon lui la saine doctrine est ce qui rend les hommes sains. Et qu’est-ce
qu’un homme sain ? C’est un homme doué de charité, d’une foi non feinte, d’une conscience pure. Il
n’y a rien de doctrinal dans cette définition de la saine doctrine.
Par contre Castellion écrit que d’une part Calvin définit la saine doctrine à l’aide de proposition
dogmatique et d’autre part sont appelés « sains », je cite « ceux qui s’accordent avec (Calvin et les
siens) sur le baptême, sur la cène, sur la prédestination etc.. » Autrement dit sont sains ceux qui sont
d’accord avec un discours théologique pensé et conçu par des hommes.

La « saine doctrine » chez Castellion est comprise ici comme une éthique dont l’instance ultime est
Dieu et à lui seul appartient le jugement. Or selon Castellion, le système de Calvin érige l’homme en ultime instance de jugement puisque l’hérétique est celui qui n’est pas en accord avec un
raisonnement humain.

Extrait, de « Contre le libelle de Calvin » p. 267 à 269
Comment fonctionne chez Castellion la non définition de l’hérésie en tant qu’ a priori
méthodologique ?

« Lorsqu’on écrit sur un sujet largement connu, l’on n’a pas coutume de le définir. En principe on estime qu’on parle de
la même chose que les autres gens. Si l’on dit qu’il faut condamner les voleurs à la peine capitale, tous ceux qui veulent
obéir à cette loi condamnent à mort ceux qu’ils tiennent pour des voleurs. Or, et de la même façon, si Calvin dit qu’il
faut tuer les hérétiques, tous ceux qui veulent obtempérer à cette loi tueront ceux qu’ils tiennent pour des hérétiques.
C’est ainsi que les papistes tueront les luthériens, les zwingliens et les anabaptistes et que les
luthériens tueront les papistes, les anabaptistes et les zwingliens. Et de même pour tous les autres.
Car aucune secte ne doute jamais qu’elle-même pense juste et que les autres sont hérétiques. […]

Calvin écrit ceci au sujet des hérétiques (chapitre huit de ses Institutions, section 26): « on appelle
hérétiques et schismatiques ceux qui par leur dissidence brisent la communion de l’Eglise. Cette
dernière est maintenue par deux liens, l’accord sur la saine doctrine et la charité fraternelle. »
Calvin qualifie d’Eglise, outre la sienne propre, les autres églises helvétiques, celle de Strasbourg, et
celle des Saxons, c’es-à-dire des luthériens. Ceux qui sont en désaccord avec ces Eglises-là, ce sont
des hérétiques […] Mais comme il règne, entre les Eglises qu’il mentionne, un maximum de
dissensions de doctrine et d’esprit, et comme, selon Calvin, ceux qui rompent les deux liens
mentionnés ci-dessus sont à considérer comme hérétiques, il ne reste plus qu’aux calvinistes qu’à
marcher sur les autres Eglises, et réciproquement. Qu’ils s’entre-dévorent, hérétiques contre
hérétiques, jusqu’à s’achever les uns les autres. »

L’hérétique est défini comme « celui qui ne pense pas comme nous » et , de cette façon, tout croyant
est pour un autre un hérétique. Nous sommes tous hérétiques par rapport à un autre car chacun
pense, qu’il pense juste et que les autres sont des hérétiques. Pour Castellion, on ne peut pas définir
l’hérésie, car en la définissant, nous constituons une orthodoxie au sens d’une définition d’une
manière de croire ou d’un « ce qu’il faut croire » pour rester dans la communion de l’église. Ainsi
selon Castellion , il fallait être d’accord avec les doctrines de Calvin sur le baptême, la cène, la
prédestination, etc… pour pouvoir prétendre être dans la communion de l’Eglise. En définissant une
hérésie d’un point de vue théologique, on définit, de fait, une orthodoxie dont le juge ultime est
l’humain et donc source de conflit.

C’est contre cela que s’insurge Castellion, car pour lui, la seul instance valide de jugement est Dieu
et c’est pour cette raison qu’il adopte la posture de la non-définition de l’hérésie. Définir
théologiquement l’hérésie reviendrait encore à définir une orthodoxie qui générerait des conflits. Il
faut noter ici que dans les deux extraits que nous avons lu l’irénisme de Castellion tient une place
importante. Selon lui, il conviendrait de tendre vers une paix entre les sectes religieuses en
présence. Le rapport entre cet irénisme de Castellion et sa pensée est une piste de recherche à
explorer.

1.2. L’hérésie chez Castellion ne concerne pas une matière théologique/doctrinale.
Extrait de « Traité des hérétiques 1 » , p. 26

1 Sébastien CASTELLION, Traité des hérétiques, Genève, éd. A. Jullien, 1913. Cet ouvrage a été publié en 1554. Il est
constitué d’une collection de textes d’auteurs divers (Erasme, Luther, St Augustin, Jean Brence…) rassemblés dans un
même volume par S. Castellion. L’intention de l’auteur du volume est de donner à lire des textes qui demandent que les
hérétiques ne soit pas puni de mort. Très astucieusement Castellion insère un texte de Jean Calvin! A noter que
Castellion utilise pour deux de ses textes les pseudonymes de Martin Bellie et Basile Montfort. Un troisième sera signé « Ce nom hérétique, est trouvé une fois seulement ès Saintes Ecritures, en l’Epitre de saint Paul
envoyée à Tite, au 3 e chap. Evite l’homme hérétique après une ou deux admonestation.

Si nous conférons ce lieu avec le commandement de Christ, qui est en Saint Mathieu 18 e chap.:
nous entendrons que c’est d’hérétique: si ton frère pêche contre toi, va et le reprends entre toi et lui.
S’il t’ouït, tu as gagné ton frère, mais s’il ne t’ouït, prends encore un ou deux avec toi afin qu’en la
bouche de deux ou trois témoins, toute parole soit ferme. S’il ne les ouït, dis-le à l’Eglise. Que s’il
n’ouït l’Eglise, il te soit comme un Ethnique, et publicain.
Par cela appert qu’un hérétique, c’est un homme qui est obstiné.
[…] Il y a deux sortes d’hérétiques ou d’opiniâtres: les uns sont obstinés ou opiniâtres aux mœurs
[…] les autres sont opiniâtres ès choses spirituelles, et en la doctrine, auxquels convient proprement
le nom d’hérétique: car ce mot hérésie est un mot Grec, lequel signifie secte ou opinion. Dont il
advient que ceux qui se tiennent obstinément à quelque secte vicieuse, ou opinion sont appelés
hérétiques. »

Castellion reconnaît qu’il y a des hérétiques et qu’ils méritent sanction. Avec, S. Castellion, nous ne
sommes pas dans un total relativisme, où chacun pense et agi comme il l’entend en matière de
doctrine. Il y a bien une norme chez Castellion, mais elle ne se situe pas au niveau de la doctrine ou
des dogmes.

Dans l’extrait que nous avons lu : un hérétique c’est un obstiné. Par rapport à Calvin, Castellion ne
donne pas la même signification au mot hérétique. Chez Calvin , c’est être en désaccord avec un
point de doctrine (Cène, baptême,…), chez Castellion c’est être obstiné, c’est à dire persister dans sa
faute éventuelle. Cette distinction là entre l’hérétique et l’obstiné, Castellion l’opère dans son texte
intitulé « De l’impunité des hérétiques ». Castellion semble vouloir dire que l’ « obstiné » est plus
coupable que le simple « hérétique » ( au sens de Calvin), puisqu’il persiste dans sa faute éventuelle,
mais il y a toujours une porte ouverte, on pourra prendre le temps de l’admonester, de discuter de
ses erreurs. Le texte de Mathieu évoque ce temps de la discussion.

Donc l’hérésie chez Castellion est de l’ordre de l’obstination et non pas celui de la déviance par
rapport à une orthodoxie prédéfinie.

Il y a , selon Castellion, deux sortes d’hérétiques : les uns sont obstinés (opiniâtres) aux mœurs et les
autres obstinés « ès choses spirituelles ». Pour ces derniers, il semble que quand même il y aurait la
possibilité d’une hérésie en matière de doctrine.

Faut-il encore savoir ce que Castellion entend par le statut de la doctrine ? Pour cela, il faut
retourner un peu en arrière dans son traité des hérétiques, p.25 : Puisque la doctrine est humaine, il
y a autant de doctrine du baptême, p.ex. que d’Eglise.

Citation p. 25 du Traité des Hérétiques
« Après avoir souvent cherché que c’est d’un hérétique, je n’en trouve autre chose, sinon que nous
estimons hérétiques tous ceux qui ne s’accordent pas avec nous en notre opinion. Laquelle chose est
manifeste en ce que nous voyons, qu’il n’y a presque aucune de toutes les sectes (qui sont
aujourd’hui sans nombre)laquelle n’ait les autres pour hérétiques »
La remarque mise entre parenthèses par Castellion est à relever. Elle mentionne le nombre
incalculable de factions religieuses présentes à son époque. Nous sommes bien loin de l’unité rêvée
d’un protestantisme réformé uni au XVIe siècle.

Poursuivons la citation:
« Tellement, que si quelqu’un aujourd’hui veut vivre, il lui est nécessaire d’avoir autant de fois et
de son nom propre.religions, qu’il est de cités, ou de sectes; tout ainsi que celui qui va par pays a besoin de changer sa
monnaie de jour en jour, car celle qui est ici bonne, autre part n’aura aucun cours, sinon que la
monnaie soit d’or, car en tous lieux celle-là est bonne, de quelque marque qu’elle soit. Faisons ainsi
en la religion, ayons quelque monnaie d’or, laquelle ait lieu partout, de quelque marque qu’elle soit.
Or, croire en Dieu le Père tout puissant, au fils et au saint Esprit, et approuver les commandements
de vraie piété, qui sont contenus en la Sainte Ecriture, c’est une monnaie d’or plus approuvée, et
examinée que l’or même. Mais cette monnaie jusques à présent a diverses marques et figures,
cependant que les hommes sont en discorde entre eux de la Cène, du Baptême, et d’autres telles
choses. Mais supportons-nous l’un et l’autre, et ne condamnons incontinent la foi d’un autre
laquelle est fondée sur Jesuchrist. »

Castellion utilise l’image du voyageur qui doit changer de monnaie chaque fois qu’il traverse un
pays différent. Il faudrait, dit-il, une monnaie d’or qui soit valable partout. Dès lors le voyageur
pourra payer partout avec la même monnaie. Faisons de même pour la religion dit-il, trouvons une
monnaie d’or qui soit valable dans toutes les Eglises . Castellion précise son idée:
Cette monnaie d’or, constitue un socle théologique commun : croire en Dieu le Père Tout Puissant,
au Fils et au SE. ! Ne voyons pas trop vite une affirmation de la trinité. En effet, Castellion ne traite
pas de la relation entre le Père, le Fils et le SE. Dans ce socle théologique commun, il n’y a pas de
formulation dogmatique ! En réduisant au maximum le socle commun de la croyance, il élargit par
conséquent le champ des adiaphora. Ainsi la formulation dogmatique est seconde (ce qui ne
signifie pas qu’elle soit inintéressante et inopérante) par rapport à l’énoncé de croire en Dieu, au fils
et au SE. Les formulations a propos du Baptême, de la Cène et autre choses peuvent souffrir la
différence et elles relèvent d’une relation d’amour fraternel qui supportent la différence de
compréhension et d’expression. Nous pouvons supporter la différence d’opinion d’une autre Eglise.
De toute manière l’essentiel est que la foi de l’autre soit fondée sur Jésus le Christ. Et à ce titre là,
nous ne pouvons pas la condamner.

Donc selon Castellion ne pas croire en Dieu, au fils et au SE relève de l’hérésie mais affirmer une
opinion différente sur les doctrines ne relève pas de l’hérésie, supporter la différence serait même un
devoir de fraternité humaine. Et cette différence est assumée, selon lui, par les textes bibliques.

1.3. « L’hérésie doctrinale » bénéficie du même statut que l’erreur.
Les extraits des textes que nous avons lu, nous permettent maintenant de comprendre que l’hérésie
(airèsis) chez Castellion, ne recouvre pas champ sémantique de Calvin. Calvin a marqué notre
propre compréhension de l’hérésie, qui est devenue dans notre compréhension habituelle du mot une
déviance doctrinale par rapport à une orthodoxie prédéfinie. Il y a hérésie chez Castellion, quand il
y a obstination en matière de mœurs ou en matière spirituelle(ivrognerie, luxure, persécuteur,….et
quand il y a obstination à ne pas croire au socle théologique commun, c‘est-à-dire croire en Dieu
Père, au Fils et au Saint-Esprit. Il y a hérésie pour les réformateurs quand il y a déviance en matière
de doctrines. Cette hérésie là, pour Castellion est de l’ordre de l’erreur. Certes, pour Castellion
l’erreur est condamnable, mais celui qui est dans l’erreur ne mérite pas la punition par le glaive et il
ne mérite pas de mourir à cause de cette erreur commise et cela même s’il la professe.
Pour démontrer cette affirmation, je reviens un instant à l’étymologie de mot airèsis. On l’a vu plus
haut Castellion propose de traduire airèsis par secta en latin et par la voie qu’on suit en français,
c’est à dire un choix, une opinion. A ce stade on remarque que l’hérésie consiste à faire le choix d’un
voie à suivre, ou une opinion que quelqu’un se forge. Or dit Castellion qui suis-je pour condamner
le choix que fait quelqu’un, ou l’opinion d’un tel ? Dieu seul est juge.

Dans le texte de II Pierre 2, 1-3. La perdition n’est pas liée à l’airésis mais bien au fait d’ avoir renoncé au Seigneur. Cette perdition ne peut être décrétée par un homme, c’est l’affaire du Seigneur.
Le cinquième dimanche après les Rois, S. Castellion prêche sur le texte du bon grain et de l’ivraie
(zizanie). Il insiste d’une part sur les mots « laissez croître l’un et l’autre » car celui qui est dans
l’erreur aujourd’hui peut s’en dégager demain. Si l’on condamne par le glaive celui qui est dans
l’erreur, l’hérétique comme dit Calvin, ce dernier n’a plus aucune chance de trouver le droit chemin.
Et d’autre part, Castellion met ses auditeurs en garde sur le fait qu’en voulant extirper l’ivraie on
risque d’en extraire le bon grain; ce qui serait un dommage irrémédiable.
Extrait de la prédication de Castellion lors du cinquième Dimanche après les Rois. Prédication sur
le 24 e chapitre de Saint Matthieu, in « Traité des hérétiques », p. 52-53.
« Nous apprenons par ce texte comment il nous faut gouverner envers les hérétiques et les faux
docteurs, c’est de ne les extirper, et ne les mettre pas à mort: car Christ le démontre ici évidemment,
quand il dit laissez croître l’un et l’autre. Il faut procéder à l’encontre d’eux par la seule parole de
Dieu. Car en ce cas il peut advenir, que celui qui est aujourd’hui en erreur, demain, peut-être, pourra
retourner au bon chemin. Qui est celui qui peut connaître quand de Dieu doit attraire le cœur d’un
chacun? »

Ce jugement là ne nous appartient pas. « Il vaut mieux laisser s’égarer, dira par ailleurs Castellion,
que de contraindre en matière de foi ».

Donc, l’hérésie telle qu’elle est comprise par Calvin et les réformateurs et contre laquelle ils
développent tant de violence, allant jusqu’à tuer; cette hérésie là, n’est pour Castellion qu’une erreur
qui ne mérite pas qu’un homme soit tué.

2. Castellion pose comme postulat la relativité de la vérité théologique.
Il n’y a pas chez Castellion de vérité théologique absolue, au sens où il y aurait l’existence d’une
vérité à partir de la vérité, c’est à dire ab-solus, une vérité qui s’établirait à partir d’elle-même. La
vérité théologique n’existe pas en soi. Il n’y a donc pas de quête de la vérité théologique, ce serait
même un non sens selon Castellion. Dès lors, la vérité théologique ne peut être que relative, c’est à
dire en relation à un état de connaissance théologique et/ou philosophique. Il n’y a que des airésis,
des opinions, des choix opérés, certes sur des bases solides de philosophie, de linguistique, de
théologie. Il n’en demeure pas moins que cela reste une opinion, parmi d’autres choix possibles.
C’est dans ce sens que la vérité théologique est relative, c’est à dire relative aux connaissances
linguistiques, philosophiques et théologiques du moment. Comme dit plus haut, il n’y a pas de
confession de foi dans le socle théologique commun défini par Castellion, car la seule vérité c’est
Dieu et Lui seul la connaît. Non pas que la confession de foi soit dénuée de vérité, pas du tout, elle
constitue une compréhension de Dieu, par celui qui l’énonce et au moment où il l’énonce. Quelqu’un
d’autre, à un autre moment aura une autre vérité dans sa conception de Dieu et sa confession de foi
sera vrai. On remarque donc le caractère relatif de la vérité théologique.

Pourquoi chez Castellion, n’y a-t-il que des vérités relatives en théologie ? Je le montrerai en deux
points.

Premier point : la vérité sur Dieu n’appartient pas aux hommes.
Dans son « Traité des hérétiques » S.C. , consacre une partie qui traite du rôle et des pouvoirs du
magistrat séculier. Là il reprend et il interprète la théorie de deux règnes de Luther, qui lui-même
avait lu et interprété la Cité de Dieu de St Augustin.

A grand traits et donc avec un risque de caricature : nous la résumons ici.Saint Augustin avait parlé des deux cités ou citoyennetés, céleste et terrestre, d’une façon qui, dans
l’augustinisme politique, a été comprise de manière dualiste. Boniface VIII dans la Bulle « Unam
Sanctam » avait modifié ce dualisme augustinien dans le sens d’une polarité dialectique des deux
glaives, spirituel et temporel mais en établissant la suprématie du glaive spirituel (Église) sur le
glaive Temporel (Empire).

Luther récusant et le dualisme augustinien et la conception théocratique de l’Église médiévale, a
systématisé théologiquement, dans sa doctrine des deux règnes, les
rapports entre Église et État. Il entend les deux règnes, spirituel et temporel, dans le sens d’une
polarité dialectique. Les deux pôles étant à la fois référés l’un à l’autre et relevant tous deux, mais
différemment, du même Dieu.

S. C. semble plus radical que Luther, il y a bien deux royaumes (celui de Dieu et celui des
hommes), mais l’un étant radicalement indépendant de l’autre. Ainsi, le règne de Dieu a ses propres
lois et régit ce qui concerne l’âme. Le règne des hommes (administré par les magistrats, les princes
et les évêques 2 ) a ses propres lois et son pouvoir s’étend sur les corps et les biens des hommes. Et
l’un ne peut interférer dans l’autre. Ainsi, le magistrat ne peut légiférer en ce qui concerne l’âme, car
celle-ci ne peut être liée aux lois mondaines. Les évêques, les princes et les magistrats ne peuvent,
selon S.C., contraindrent à croire de telle ou de telle manière. Et de même, on ne peut contraindre
les rois et les princes de croire ainsi ou ainsi. Il y a deux règnes et deux règnes indépendants. En ce
qui concerne le règne de Dieu, il échappe à l‘humain. Il ne peut y avoir de vérité théologique
absolue puisque ce monde là, ce règne là, échappe à l’humain.

Extrait in « traité des hérétiques » p.38
« Or la difficulté, et péril de l’âme d’un chacun, gît en ceci: de savoir comment il doit croire, car
chacun doit regarder de croire droitement. Et tout ainsi que nul ne peut aller pour toi, ou au ciel, ou
en enfer, ainsi nul ne peut croire, ou non croire pour toi. La foi ne peut être contrainte […] Parquoi,
puisque chacun a cela en sa conscience, comment il doit croire ou non croire, la puissance humaine
doit être apaisée, et se contenter, […] permettant à chacun de croire comment il voudra, ou pourra,
sans contraindre personne à la foi. Davantage rien ne doit plus libre que la foi et religion, à laquelle
nul ne peut être contraint par force. »

En conséquence personne ne peut croire pour un autre et personne ne peut contraindre quel qu’un à
croire. Notons au passage, le rôle éminent de la conscience en matière de foi et de religion. On peut
constater ici l’émergence du concept de libre croyance, si cher à Castellion. Chacun doit pouvoir
croire comme il veut, personne ne peut ouvrir ou fermer le ciel a quelqu’un. Il n’y a pas de vérité
absolue dans ce domaine. Il n’y a que des opinions, qui ne sont que des vérités relatives et donc,
elles ne peuvent être contraignantes.

On constate, qu’il y a une individualisation de la croyance chez S.C. Chacun est responsable pour
lui-même devant Dieu.

Second point : Qu’est-ce que la vérité chez Castellion ?
La vérité chez Castellion consiste en une concordance entre la pensée et le discours. Il s’agit d’une
mise en conformité entre la pensée et le dire. Je cite S.C., in « Contre le libelle de Calvin » : « la
vérité c’est de dire ce qu’on pense, quand même on se trompe 3 »
Il ya une subjectivation de la vérité, qui demeure vérité même dans l’erreur objective. Cette citation
institue la souveraineté de la conscience.

2 Il est remarquable de constater que Castellion place les évêques dans la catégorie du pouvoir temporel.

3 S. CASTELLION, Contre le libelle de Calvin, p. 165La foi ne comporte pas obligatoirement, pour Castellion, une connaissance juste de choses
surnaturelles. Il nous faut certes essayer de les comprendre autant que possible, avec l’aide de la
Bible et aussi en utilisant ce don de Dieu qu’est l’intelligence humaine, l’intellectus.
Castellion, pense que la sincérité en matière de foi vaut mieux qu’une prétendue et incertaine
rectitude dogmatique. On est dans la vérité quand on dit ce qu’on croit, après méditation de la Bible,
réflexion personnelle, en ayant conscience des limites et de la relativité de nos croyances.

3. Perspectives castellionniennes pour une religion non-dogmatique
Dans la perspective de Castellion, penser , élaborer une religion non-dogmatique reviendrait à
promouvoir la paix au sein même de la religion, reviendrait à extraire la religion (au sens d’une
autorité de croyance) du magistère de l’église et reviendrait à promouvoir l’errance en recherche
théologique.

3.1. Élaborer une religion non-dogmatique reviendrait à promouvoir la paix au sein même de la
religion.
La volonté de pacification religieuse, l’esprit irénique de Castellion, ne sont
pas inconnus en tant que faits historiques. Nous avons essayé de le montrer dans les points
précédents à travers les textes de S.C. Qui dit volonté exprimée d’apaisement des querelles sous-
entend également méthode en vue de parvenir au but. Nous avons essayé de mettre quelques
éléments de cette méthode en évidence. Dans sa définition de socle théologique commun, c’était une
manière d’élargir le champ des adiaphora. Dans son appel à la clémence pour les hérétiques, en
définissant l’hérésie comme un choix, une voie que l’on suit, ce fut une méthode pour sortir l’hérésie
du champ doctrinal et donc du champ du magistère de l’église. On aurait pu convoquer d’autres
textes de Castellion. Je pense par exemple à son Conseil à la France désolée, ou le De arte
dubitandi 4 , et de le faire dans les passages où se rejoignent la théologie et l’histoire. Dans ces textes
les seules armes de Castellion sont l’intelligence (la raison) et l’esprit humaniste: voici un autre
exemple

«Christ le maître de vérité a prédit (Math. 24,24) que, dans les derniers temps, surgiraient tant de
faux christs et tant de faux docteurs que même les élus, si la chose était possible, se laisseraient
abuser. Et je me dis qu’en fait, pour beaucoup de raisons, ces derniers temps sont là, d’autant plus
que je vois, entre autres choses, prospérer les erreurs et les dissensions. A cause de ces erreurs, des
hommes qui ne sont pourtant point au nombre des méchants sont parfois tellement ébranlés qu’ils se
mettent à éprouver quelque doute au sujet de la vérité de la religion chrétienne elle-même. Pour ma
part, j’ai longuement et profondément réfléchi au remède à apporter à un tel mal. Si, aujourd’hui
encore, comme c’était le cas jadis, il se trouvait sur terre un prophète qui pût apaiser les querelles,
montrer avec certitude la voie à ceux
qui cherchent, mettre par autorité divine les erreurs en déroute, rien, assurément, ne serait meilleur
ni plus facile que de se fier à ses oracles ni de le suivre, parce qu’inspiré par Dieu, sans le moindre
doute ni la moindre hésitation. Mais vers qui se tourner ? »

Ce sont là les premières lignes de son opuscule intitulé de l’Art de douter et de croire.
Ces premières lignes contiennent l’annonce ou l’amorce de ce que sera l’ouvrage, et au moins trois
des plus grands hèmes de toute l’œuvre de Castellion : la hantise du vrai en matière religieuse ;
l’horreur des dissensions ; le regret du prophétisme et des prophètes, de ceux qui, le Christ y
compris, ont en eux, et la science, et l’autorité divines. Castellion se révèle aussi subtil que ferme.
Bien loin de mettre d’emblée, comme le lui suggérait sa source, l’accent sur les «faux prophètes», il

4 S. CASTELLION, De l’art de douter et de croiremet en relief une chose infiniment plus proche des réalités historiques et théologiques de l’époque :
les doctores (docteurs), Calvin compris ! Ce sont eux qui jettent le doute et ne font pas œuvre de
paix.

3.2. Elaborer une religion non-dogmatique reviendrait à extraire la religion (au sens d’une autorité
de croyance) du magistère de l’église.
Après avoir montré à quel niveau conceptuel se situe l’action persuasive et méthodique entreprise
par Castellion, il est intéressant de redire que le De arte dubitandi n’agite pratiquement pas le
spectre des persécutions religieuses, cela bien que l’ouvrage représente effectivement une méthode
originale en vue de parer à toute répression sanguinaire. On trouve, bien entendu, des allusions à
peine voilées aux ennemis habituels – et acharnés – de Castellion :Calvin et Bèze. Il s’agit presque
toujours de questions théologiques, encore que la hargne privée fasse entendre son écho. Dans un
passage de l’Art de douter Castellion écrira cependant : en matière de religion, mieux vaudrait se
garder de donner des conseils. Si ceux-ci, en effet, «ne sont pas approuvés de ceux qui les reçoivent,
vous serez si peu prisé, que l’on ira jusqu’à vous tenir pour hérétique : réputation qui vous rendra
odieux au peuple et vous mettra assurément en danger de perdre la vie. Ainsi le monde a-t-il
coutume de récompenser les bienfaits reçus». C’est ce qui arriva aux prophètes, au Christ, aux
Apôtres, aux justes.

Il y a cumule les deux thèmes que nous avons suivi : celui de l’erreur, celui de sa propagation ; vrais
docteurs de l‘Eglise, probablement, mais doctrines erronées. L’« hérétique» apparaît dès lors comme
le produit réactionnel et, par là-même, indésirable, d’une société qui, sous peine de mort, n’accorde
la parole que si celle-ci corrobore, utile répétition et complaisant reflet, les opinions de la puissance
et des maîtres ; en matière de religion, le vrai est fixé une fois pour toutes, socialisé, défendu par les
Églises constituées. La figure de l’hérétique chez S.C. Permet de sortir de ces cadres institués de
l’Eglise et permet de penser à nouveaux frais les doctrines que l’on pensait immuables pour la seule
raison qu’elles furent définies et instituées par les Eglises.

3.3. Elaborer une religion non-dogmatique permet de valoriser l’errance en recherche théologique.
Le tâtonnement dans la recherche théologique. Chez Castellion, la figure du théologien errant est
une manière de camper la posture du théologien rebelle, qui ose s’aventurer loin des sentiers battus,
qui ose avec ses sens (sa sincérité) et son intelligence (sa raison) re-penser une doctrine. Il s’agit de
la figure du théologien qui s’affranchit de la tradition théologique pour chercher. Il fait en quelque
sorte « table rase 5 », il repart de rien et cherche. Le théologien errant c’est celui qui sait qu’on ne
possède pas la vérité sur les questions religieuses. Le théologien chercheur sait qu’il y a plus de
choses obscures que de choses évidentes en théologie. Il n’hésite pas à discuter sans condamner les
propositions théologiques. La figure du théologien errant contribue encore chez Castellion à étendre
le champ des adiaphora pour éviter à l’hérétique le procès et la mort. Castellion se le tient pour dit
et fonde là-dessus une méthode. Raison pour laquelle il évite de prendre parti brutalement dans les
querelles théologiques, même et surtout sur des points de dogme : il préfère infléchir, vers le
domaine des choses sans importance pour le salut, des contenus doctrinaux à propos desquels
les savants, sans toujours bien apercevoir la qualité divine et humaine de l’enjeu, s’entredéchirent.
L’effort original de Castellion pour effacer les différences ; réduire les opinions contraires, élaborer
une religion non-dogmatique ; il le décrit lui-même dans un autre passage de l’Art de douter et de
croire :

«On s’y est efforcé de longue date et par de multiples voies. Pour ma part, j’espère rendre mon
opinion accessible en me fondant sur des jugements raisonnes et sur l’autorité de ces mêmes Lettres

5 Castellion se montre encore ici précurseur de la pensée, en effet il faudra attendre René Descartes pour retrouver le
concept de Tabula rasa.Sacrées dont il est question.
Et si mon opinion fait difficulté, je la mettrai en parallèle avec les opinions adverses et, dans le cas
où elle en sortira à son avantage, je demanderai qu’elle ne soit pas rejetée : pour cela même qu’elle
se révèle vraie et moins inadéquate. Si j’y parviens, comme je l’espère, nous posséderons le moyen
de mettre fin à de graves et nocives controverses».
Au monolithisme doctrinal aveugle, Castellion oppose une fermeté à la fois
plus raisonnable et plus humaine emprunte de dialogue et de pacification.

Je vous remercie pour votre attention.

Philippe Fromont

liberté religieuse chez Sébastien Castellion

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