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Numéro 198
Avril 2006
( sommaire )

Cahier : Qu’est-ce que la révélation ?

par André Gounelle

La révélation a été le thème des « Journées libérales » au Cap d’Agde, en octobre 2005. Dans ce numéro d’Évangile et liberté, nous avons rassemblé trois interventions de ces journées libérales d’octobre 2005.

  • Ce cahier central propose la conférence, légèrement réduite, donnée par André Gounelle, professeur honoraire de théologie à l’IPT (Montpellier). C’est lui qui a ouvert ces journées, et présenté le sujet en donnant de nombreuses pistes de réflexion sur les questions posées ci-dessus.
  • L’intervention d’Henri Persoz qui parlait de la révélation dans l’Islam moderniste.
  • La dernière partie de l’intervention de Laurent Gagnebin qui évoquait, pour clôturer ces journées, un christianisme sans révélation. feuille

Bible de Luther, Le Songe de Jacob
Bible de Luther, Le Songe de Jacob

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Que veut dire « révéler » ?
par André Gounelle

Il existe un rapport étroit qui a été souvent relevé, entre « révélation » et « vérité ». La connaissance de la vérité représente toujours une découverte ; elle demande qu’on aille au-delà des apparences.

« Révéler » traduit le verbe grec apocaluptein (d’où vient « apocalypse », titre du dernier livre du Nouveau Testament) qui signifie « découvrir », « dévoiler ». On l’emploie, par exemple, quand on tire le rideau d’une scène de théâtre au début d’une pièce, ou qu’on ouvre le couvercle d’une boite pour voir ce qu’il y a dedans, ou, encore, lorsqu’on enlève le masque placé sur un visage. Révéler consiste à rendre visible ce qui ne l’était pas, à exposer au regard ce qui auparavant était dissimulé.

La révélation, ainsi définie, implique quatre éléments.

  • D’abord, un événement qui permet de percevoir ce qu’auparavant on ne voyait pas. Un geste se fait ou une parole se dit ; la lumière apparaît là où auparavant elle manquait. La révélation désigne le passage de l’obscurité à la clarté.
  • Ensuite, un sujet agissant. Quand un changement a lieu, il y a une raison ; un événement a des causes ; une action, geste ou parole, vient d’un acteur. La révélation implique l’intervention de quelqu’un ou de quelque chose qui communique, informe, fait connaître.
  • Puis, un objet communiqué. La révélation a un contenu ; elle dissipe un mystère et apporte une connaissance. Elle divulgue des réalités ou des vérités auparavant ignorées. Ce qu’elle découvre la rend soit importante soit insignifiante. Sa valeur dépend de ce qu’elle communique.
  • Enfin, un bénéficiaire qui la reçoit et qu’elle éclaire. Il n’y a révélation que si quelqu’un se met à voir ou à savoir ce qui auparavant lui était obscur. Un secret qu’on proclame dans le désert et que personne n’entend n’est pas révélé.
  • Chaque théologie et spiritualité a tendance à privilégier un de ces quatre éléments, sans pour cela nier les autres. Les piétistes, les existentialistes, les revivalistes insistent sur l’événement ; ils voient d’abord dans la révélation l’expérience vive et bouleversante d’une rencontre ; celui qui n’a pas vécu un tel événement n’a pas vraiment la foi, il n’est pas authentiquement chrétien. Les orthodoxes soulignent plutôt l’origine divine ou surnaturelle de la révélation : ce n’est pas quelqu’un ou quelque chose qui parle de Dieu et qui dévoile la vérité, c’est Dieu qui parle et se dévoile lui-même. Les dogmatiques sont sensibles au contenu et donnent la priorité à l’enseignement que délivre la révélation ; elle ouvre l’accès à un savoir. Enfin, les libéraux ont tendance à beaucoup s’intéresser au destinataire ; il joue un rôle actif, il ne se borne pas à recevoir, il exprime avec ses idées et ses notions ce qu’il a perçu ; la révélation dépend de ce qu’est l’homme, de ses sentiments, de sa réflexion et de sa culture ; elle se formule toujours dans son langage.

Révélation et sagesse

Le mot grec aletheia (la vérité ou le vrai) signifie étymologiquement ce qui n’est ni caché ni voilé. Il existe un rapport étroit, qui a été souvent relevé, entre « révélation » et « vérité ». La connaissance de la vérité représente toujours une découverte ; elle demande, en effet, qu’on aille au-delà des apparences pour atteindre une réalité qui n’est pas immédiatement perceptible.

Toutefois, dans le cas de la plupart des connaissances humaines, l’homme découvre la vérité par ses propres moyens. Il ne la reçoit pas d’un autre, il y parvient grâce à ses efforts. Il s’éclaire lui-même. Même si tout savoir résulte d’un dévoilement et implique une découverte, le plus souvent, en tout cas dans le domaine religieux, on utilise le mot « révélation » pour une lumière qui vient d’ailleurs, du dehors ; on considère qu’elle communique une connaissance que nous ne pouvons pas acquérir par nous-mêmes ; elle nous est donnée par quelqu’un ou quelque chose.

Cet usage du mot révélation explique que fréquemment on distingue les spiritualités qui se réclament d’une révélation surnaturelle ou externe de celles qui font appel à une sagesse innée et enfouie dans l’être humain.

Pour les religions dites de sagesse, le croyant ou le fidèle atteint la vérité et parvient à mener une existence juste par ses seules ressources, par sa réflexion, par sa piété, par sa discipline morale et par son action. L’être humain découvre en lui-même la voie du salut, c’est-à-dire la voie d’une vie authentique et il y marche sans avoir besoin d’une intervention ou d’une assistance surnaturelle. Si, généralement, il a recours aux conseils et à l’enseignement de « maîtres » qui l’aident et le guident, ces maîtres ne sont pas des messagers des dieux, ils sont des experts en humanité. En les écoutant et en les suivant, il devient leur égal et il apprend à s’en passer. La vérité ne lui est pas donnée ni communiquée du dehors, il la trouve en lui-même grâce à une initiation qui lui ouvre les yeux et un approfondissement qui lui permet de découvrir progressivement ce qu’il porte en lui et que la vie ordinaire lui cache. Pour reprendre le vocabulaire bouddhiste, il est un « éveillé », qui s’éveille à lui-même et à sa propre vérité, ou un « éclairé » qui découvre la lumière qui lui est propre. Sa religion naît et s’alimente d’une « source intérieure » et non d’apports venus d’ailleurs. De nombreuses religions orientales se rangent dans cette première catégorie, pour qui, s’il y a révélation, cette révélation ne peut être qu’intérieure.

Les religions dites de révélation se fondent ou prétendent se fonder sur une action spécifique de Dieu qui décide de dévoiler aux êtres humains une vérité à laquelle ils n’ont pas autrement accès. Dieu prend la parole pour leur faire savoir ce qui dépasse leurs capacités ordinaires. Il leur apporte une lumière qu’ils n’ont pas en eux-mêmes. Selon une parole de l’évangile de Matthieu qui a servi de titre à un livre de René Girard, « il proclame des choses cachées depuis la fondation du monde ». La révélation vient du dehors et manifeste une présence et une vérité entièrement différentes de ce que nous voyons et savons ; elle est extérieure, surnaturelle, « tout autre » par rapport à ce que nous sommes. Les êtres humains la reçoivent, lui rendent témoignage, elle transforme leur vie, mais ils ne peuvent pas la découvrir seuls et encore moins s’en passer. Sans elle, ils sont impuissants ; ils sont plongés dans les ténèbres, condamnés à l’ignorance et à l’erreur. Tout dépend de l’initiative de Dieu. Sans cette révélation surnaturelle, il n’y aurait pas de religion vraie, les hommes seraient livrés sans échappatoire possible à des illusions ou à de faux-semblants. Comme exemples de religions de révélation, on cite, en général, le judaïsme, le christianisme et l’islam.

Cette distinction classique entre sagesse et révélation n’a, à mon sens, qu’une portée limitée. En effet, dans les spiritualités de la sagesse, interviennent des éléments extérieurs, des rencontres et des échanges, et on découvre en soi quelque chose d’autre que le soi. De leur côté, les spiritualités de révélation sont bien forcées d’admettre qu’on ne comprend et qu’on n’accueille une parole venue du dehors que si elle trouve en nous un « point d’ancrage ». Elle doit nous rejoindre quelque part et correspondre à une attente ou à une intuition inscrite en nous. Il y a toujours complémentarité entre l’intérieur et l’extérieur, interpénétration entre ce que je porte en moi et ce qui me vient du dehors. Il importe donc de relativiser cette opposition (comme je l’ai fait dans le deuxième chapitre de mon livre Parler de Dieu). Je rappelle, d’ailleurs, qu’on a parfois présenté l’Évangile à la fois comme une révélation et une sagesse, et que l’islam souligne souvent la rationalité de l’enseignement coranique : la religion révélée unit sagesse humaine et parole divine. Dans cette perspective, la révélation externe nous fait découvrir ou nous aide à découvrir ce que nous avons ou ce que nous portons en nous.

L’objet de la révélation

Gustave Doré, Moïse descend avec les Tales de la Loi

Gustave Doré, Moïse descend avec les Tales de la Loi

Qu’est-ce qui nous est révélé ? À cette question, les chrétiens ont proposé quatre grandes réponses.

Des doctrines

    Selon la première, la révélation communique un savoir. Elle fournit des connaissances dont l’origine divine garantit l’absolue vérité. Dans l’Antiquité, les chrétiens affirment souvent qu’ils possèdent la vraie philosophie, la véritable gnose (« gnose » signifie connaissance ou science). Au Moyen Âge, ils expliquent que l’acte révélateur de Dieu, la parole qu’il adresse à Moïse ou à Ésaïe, donne naissance à un « donné révélé » consigné dans la Bible. Si les croyants d’aujourd’hui n’entendent pas directement la voix de Dieu, peu importe ; ils ont accès à son enseignement, ils en connaissent le contenu.

    Recevoir une révélation équivaut, ici, à adhérer à des doctrines. Cette conception de la révélation a entraîné des conflits désastreux entre la foi et la science. L’Église a condamné Galilée et l’hélio-centrisme en 1632, et des sectes américaines ont tenté d’interdire l’enseignement des théories de l’évolution au nom du savoir qu’elles croyaient trouver dans les Écritures.

    De plus, il est douteux qu’on puisse vraiment tirer de la Bible un corps de doctrines et en déduire un enseignement cohérent. Quantité de tensions, d’oppositions, de conflits, de contradictions la traversent. Elle se caractérise par sa pluralité et son pluralisme. Quand on essaie de l’harmoniser et de la systématiser, inévitablement on la trahit.

    Cette première réponse se rencontre rarement parmi les théologiens contemporains. Elle reste, cependant, assez répandue dans l’opinion publique, aussi bien parmi les croyants qui acceptent qu’il y ait un savoir surnaturel d’origine divine, que chez les incroyants qui le refusent.

L’être de Dieu

Bible de Luther, Moïse brise                 les Tables de la Loi.

Bible de Luther, Moïse brise les Tables de la Loi.

Le théologien Karl Barth a défendu une deuxième réponse. Selon lui, dans la révélation, « Dieu se donne à connaître lui-même ». Dieu révèle ce qu’il est et non des doctrines. Il se dévoile et se découvre lui-même. Il est à la fois celui qui révèle et ce qui est révélé.

Selon Barth, Dieu ne se trouve pas derrière sa parole et son action mais en elles. Il ne faut pas le comparer à quelqu’un qui écrit une lettre pour donner des informations à son correspondant. Il est plutôt semblable à quelqu’un qui se déplace et fait une visite pour rencontrer son interlocuteur et établir une relation vivante avec lui. Dans sa révélation, Dieu ne donne pas un enseignement, il vient à nous, il se rend présent.

Barth voit dans la révélation une rencontre vivante, un événement existentiel qui nous touche au plus profond de notre personne. Dieu ne nous rend pas savant ; il entre en contact avec nous. Toutefois, Barth n’exclut nullement le savoir. En effet, en rencontrant Dieu, nous apprenons à le connaître et à en parler justement. La révélation ne communique pas une bonne doctrine, mais une bonne doctrine résulte de la révélation.

Pour Barth, la révélation s’identifie avec Jésus-Christ, Dieu fait homme. Il est la révélation, dont la Bible est le document, le registre. Elle recueille la trace que laisse la révélation et en témoigne. Il en résulte une certaine manière de lire les Écritures : le croyant, à chaque page, doit se demander ce qu’elle nous apprend de Dieu. Elle a autorité quand elle parle de lui, et nullement dans ce qu’elle dit du monde, de la nature ou de l’histoire.

La vie authentique

    La troisième réponse a été soutenue, entre autres, par le théologien Rudolf Bultmann. Pour lui, nous est révélée « la vie », par quoi il entend la vie véritable, authentique, renouvelée. La révélation fait naître une manière d’exister différente de celle qu’offre le monde ; elle est surgissement en nous de la vie en Christ.

    Gustave Doré, L'Annonciation.

    Gustave Doré, L'Annonciation.

    Pour Bultmann, la révélation consiste en un acte et non en un énoncé. Quand quelqu’un se trouve dans le chagrin, le fait de se tenir près de lui, de lui prendre la main et de la serrer a souvent plus d’importance et de signification que les mots et les phrases qu’on prononce. De même, selon Bultmann, la révélation n’est pas un discours ; elle est une présence et une relation qui changent la vie du croyant, ce que ne fera pas l’enseignement d’une doctrine.

    Barth et Bultmann s’accordent pour voir dans la révélation une rencontre existentielle avec Dieu. Toutefois, Barth pense que cette rencontre nous donne un savoir sur Dieu et permet de développer une doctrine. Tandis que, selon Bultmann, dans cette rencontre nous percevons l’action de Dieu, la manière dont il nous atteint, nous touche et nous transforme, mais son être demeure toujours inconnu. Nous savons ce que Dieu est et ce qu’il fait pour nous. Nous ignorons ce qu’il est en lui-même. Pour Barth, la révélation révèle qui est Dieu, pour Bultmann elle révèle et fait naître la vie avec Dieu.

    Bultmann s’inscrit dans une tradition théologique très forte dans le protestantisme. Elle remonte à Mélanchthon, l’ami et le collaborateur de Luther, qui déclarait que connaître le Christ signifie en expérimenter ses bienfaits et non pas connaître la nature de son être. Elle a été reprise par Calvin qui affirme que la Bible enseigne ce qui est nécessaire au salut et rien d’autre. Tout le reste relève, selon le Réformateur français, de spéculations vaines. De même, Auguste Sabatier estime que la révélation a pour objet non pas de donner une connaissance, mais de transformer la vie.

L’avenir

    Dans un livre, publié il y a trente ans, Théologie de l’espérance, Jürgen Moltmann propose une quatrième réponse. Il voit dans la révélation essentiellement une promesse. Elle annonce l’avenir que Dieu prépare et souhaite. Elle ne porte pas sur ce qui est actuellement, mais sur ce que le monde et l’être humain sont appelés à devenir.

    Parce qu’elle annonce un avenir, la révélation contredit la réalité présente. Elle ne parle pas de ce qui est, elle évoque ce qui n’est pas encore. Elle se situe donc en décalage, à distance, en opposition avec la réalité.

    Moltmann note que le Dieu biblique se manifeste toujours en promettant quelque chose. Nous en avons un exemple avec Abraham : le patriarche reçoit une promesse qui rebondit à chaque étape de la vie d’Israël. De même, l’Évangile est avant tout, ce qu’a bien vu Schweitzer, promesse du Royaume. La révélation nous met en marche, elle nous envoie et nous conduit vers un avenir. Cet avenir qu’elle promet, la révélation ne le décrit pas. Elle n’apprend pas ce qui se passera à la fin des temps ; elle ne dit pas ce que sera la vie éternelle ni comment seront les choses dans le Royaume de Dieu. Elle nous ouvre à un ailleurs qui nous mobilise et nous met en marche, même si nous ne pouvons pas l’imaginer ou nous le représenter. Elle est plutôt une orientation qu’un programme.

    Parce qu’elle annonce un avenir, la révélation contredit la réalité présente. Elle ne parle pas de ce qui est, elle évoque ce qui n’est pas encore. Elle se situe donc en décalage, à distance, en opposition avec la réalité. Elle ne l’explique pas, elle la conteste. Elle ne nous détourne pas du présent, elle nous incite à le transformer et à agir pour la venue de cet ailleurs promis.

    À mon sens, on ne peut pas sérieusement soutenir que dans la Bible Dieu révèle des dogmes ; j’écarte donc la première réponse. À la deuxième, pour laquelle Dieu se révèle lui-même, je reproche de ne pas faire la distinction entre ce que Dieu est et ce qui le manifeste, et d’oublier qu’il y a toujours une distance. Je me rallie à la troisième qui déclare que Dieu nous révèle la vie authentique ; elle englobe, me semble-t-il, la quatrième : car la vie authentique implique une relation vivante avec Dieu et nous oriente vers l’avenir auquel il nous appelle.

Où la révélation a-t-elle lieu ?

Où se produit la révélation ? Les religions bibliques donnent à cette question quatre grandes réponses qui d’ailleurs ne sont pas incompatibles ou exclusives l’une de l’autre ; le plus souvent elles se combinent.

La révélation dans la nature

    Pour la première, la révélation a lieu dans la nature. Par exemple, le livre de l’Exode raconte que Moïse perçoit Dieu sous la forme d’un buisson qui brûle sans se consumer et, plus tard, dans une éruption volcanique. D’après le premier livre des Rois, le prophète Élie, également dans le Sinaï, le découvre dans un vent doux et subtil. Pour le psalmiste, les cieux racontent la gloire de Dieu. Si la Bible ne divinise nullement la nature, comme ont tendance à le faire les panthéismes, à plusieurs reprises, elle affirme que Dieu se dévoile dans la nature ou que la nature le fait connaître.

    Cette première réponse a paru autrefois évidente. Ainsi, Calvin pense qu’il faut être une « bête brute », dépourvue de toute intelligence, pour ne pas discerner Dieu dans la nature. À l’époque romantique, les montagnes enneigées, les fleurs des champs, le scintillement de la mer ont suscité chez beaucoup de gens des sentiments religieux. Pourtant, d’autres qui ne sont pas forcément, n’en déplaise à Calvin, des abrutis, trouvent, au contraire, la nature muette (Pascal parlait du « silence éternel des espaces infinis »), ou, sensibles à ses horreurs, estiment, comme certains dualistes, qu’elle renvoie plutôt à un démon qu’à Dieu.

    Aujourd’hui les partisans d’un « dessein intelligent » estiment que la science en mettant en valeur la complexité et la cohérence du monde nous révèle quelque chose de Dieu. Le monde ne peut pas relever du hasard, il répond nécessairement à un projet. Pour d’autres, cette conclusion est abusive et va au delà de ce qu’établit la connaissance (voir le « débattre » dans Évangile et liberté de janvier 2006).

La révélation dans l’histoire

    Selon une deuxième réponse, Dieu se manifeste essentiellement dans l’histoire, dans des événements qui marquent la vie des personnes ou des peuples, voire celle de l’humanité tout entière.

    Ainsi, Dieu se révèle au peuple d’Israël en le faisant sortir du pays d’Égypte, en le faisant passer de l’esclavage à la liberté. Pour le judaïsme antique, Dieu se fait connaître dans l’exode mieux et plus que n’importe où ailleurs. Selon les chrétiens, un personnage historique, Jésus le Christ, est la révélation centrale et suprême de Dieu.

    Que Dieu se révèle dans l’histoire ne signifie pas qu’il se manifeste également à chaque instant et dans tous les événements. Il y a des temps forts, ce que le Nouveau Testament appelle en grec des kairoi, et des temps plus faibles ; il y a des événements qui nous éclairent énormément et d’autres qui ne disent rien ou pas grand chose. Pour les premiers chrétiens, la Résurrection représente un moment décisif, capital ; aucun autre ne peut lui être comparé ni même ne l’approche en importance. La fin des temps avec le surgissement d’une nouvelle terre et de nouveaux cieux sera aussi un temps fort (mais pas autant que celui de Pâques). Par contre, la période qui va de la résurrection à la fin des temps est faible ; elle est un « entre temps » (un entre deux temps), où le croyant vit d’un souvenir et d’une espérance, mais pas d’une actualité comme dans les moments décisifs.

    Cette deuxième réponse a alimenté de grands débats sur le sens de l’histoire entre marxistes et chrétiens durant le deuxième tiers du vingtième siècle. Aujourd’hui, on se demande souvent si l’histoire n’est pas écoulement de temps sans but ni signification, s’il ne faut pas y voir une succession incohérente et aléatoire d’événements plutôt que le lieu d’une révélation.

La révélation par la parole

    Pour la troisième réponse, fréquente en protestantisme, Dieu se révèle par la parole, par des discours et des textes. Des phénomènes naturels ou des événements historiques n’ont de sens que si les accompagnent ou les suivent des paroles qui les annoncent, les expliquent ou les commentent. Si Dieu avait agi silencieusement, s’il avait délivré les hébreux de leur esclavage sans rien leur dire, si le Christ était mort sans avoir enseigné et prêché, s’il était ressuscité sans que personne ne le sache et n’en parle, il n’y aurait pas de révélation. La révélation réside donc dans la parole, même si cette parole se réfère à un événement.

    L'Esprit accompagne le discours biblique et en a besoin, comme, à l’inverse, la lecture de la Bible a besoin de l’Esprit. Les deux sont nécessaires pour qu’il y ait révélation. Pour Calvin, la Bible sans l’Esprit est une lettre ou une écriture morte qui ne révèle rien. De son côté, l’Esprit sans la Bible est muet, il ne dit, n’apprend, n’enseigne, ne révèle rien. Il rend vivant pour nous ce que dit la Bible.

    Cette troisième réponse conduit à privilégier la Bible. La deuxième met l’accent sur les événements. La Bible n’est pas la révélation, mais le récit écrit par des témoins qui racontent les événements dans lesquels Dieu s’est révélé. La troisième réponse, au contraire, donne plus d’importance à ce que dit la Bible qu’à ce dont elle parle. Il se peut que les récits de l’Exode soient purement légendaires, que les évangiles déforment ou inventent les épisodes qu’ils racontent. Peu importe, car la révélation se trouve dans le discours et non dans l’événement que relate le discours.

La révélation sans intermédiaire

    Une quatrième réponse estime que Dieu se révèle directement à notre âme, dans notre intériorité, sans intermédiaire. Il fait sentir sa présence au plus intime, au plus secret de notre existence. C’est là qu’il se manifeste et s’adresse à nous. On n’écarte pas forcément la nature, l’histoire et le discours : on les considère comme des moyens pédagogiques qui doivent nous conduire à une communion intime, à la perception directe de Dieu dans une adoration et une contemplation dépouillées de tout élément extérieur, qui ne font appel à aucun instrument.

    Calvin a beaucoup insisté sur « l’action interne du Saint Esprit ». Cependant, à la différence des « illuminés » « enthousiastes » ou « inspirés » de son époque, il affirme que l’Esprit ne se suffit pas ; il n’agit jamais seul. Il accompagne le discours biblique et en a besoin, comme, à l’inverse, la lecture de la Bible a besoin de l’Esprit. Les deux sont nécessaires pour qu’il y ait révélation. Pour le Réformateur, la Bible sans l’Esprit est une lettre ou une écriture morte qui ne révèle rien. De son côté, l’Esprit sans la Bible est muet, il ne dit, n’apprend, n’enseigne, ne révèle rien. Il rend vivant pour nous ce que dit la Bible. Calvin combine donc la troisième et la quatrième réponse. S’il refuse de faire de la seule intériorité, avec toutes les dérives subjectives qui la menacent, le lieu de la révélation, jamais il ne consent à l’éliminer au profit du seul texte.

    Gustave Doré, Saint Paul sur le chemin de Damas

    Gustave Doré, Saint Paul sur le chemin de Damas

    Faut-il vraiment trancher entre ces quatre réponses ? Si la révélation, comme l’a indiqué la deuxième partie, est événement et rencontre, elle peut se produire dans des lieux divers et varier selon les personnes. Ce qui me parle ne dira rien à quelqu’un d’autre. On le voit dans l’évangile de Jean : les miracles opérés par Jésus touchent certains, suscitent ou augmentent leur foi, mais aussi renforcent les réticences, les refus et l’incrédulité d’une partie de la foule. Ce qui révèle aux uns la mission divine de Jésus la cache aux autres. Nous ne percevons pas tous Dieu au même endroit ni de la même manière.

Conclusion

Ce rapide panorama montre, une fois de plus, qu’on ne peut pas parler du christianisme au singulier. Il est divers et multiple (comme le sont l’islam, le judaïsme et le bouddhisme). Il ne faut pas tenter de le ramener à l’unité.

Une dernière remarque. J’ai dit que la révélation dévoile ce qui est caché ; elle est passage des ténèbres à la clarté. Or, plus une lumière est vive, plus elle accentue les ombres. Cela vaut aussi pour la révélation. Dans sa quatrième lettre à Mlle de Roannez, Pascal, citant la phrase d’Ésaïe, « véritablement tu es un Dieu caché », explique que plus Dieu se fait connaître plus il est mystérieux, difficile à discerner et à comprendre. La révélation à la fois dissipe et augmente l’obscurité ; elle fournit des réponses et, en même temps, soulève d’innombrables questions ; elle pose autant sinon plus de problèmes qu’elle n’apporte de solutions. Elle ne donne jamais un savoir absolu, total et définitif, elle fait entrer dans un mélange de connaissance et d’ignorance, d’assurance et d’hésitation, de conviction et d’interrogation, de lucidité et d’aveuglement, de certitude et de trouble. Elle ne nous rend pas propriétaires, détenteurs de vérités, comme le voudraient les fanatismes et les obscurantismes religieux. Elle fait de nous des chercheurs de sens, elle nous met en route dans une marche tantôt tranquille tantôt tourmentée, tantôt sereine tantôt inquiète. Jésus n’a pas dit : « je suis l’arrivée, le terminus », mais « je suis le chemin ». feuille

André Gounelle

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