Numéro 198
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Il existe un rapport étroit qui a été souvent relevé, entre « révélation » et « vérité ». La connaissance de la vérité représente toujours une découverte ; elle demande quon aille au-delà des apparences. |
« Révéler » traduit le verbe grec apocaluptein (doù vient « apocalypse », titre du dernier livre du Nouveau Testament) qui signifie « découvrir », « dévoiler ». On lemploie, par exemple, quand on tire le rideau dune scène de théâtre au début dune pièce, ou quon ouvre le couvercle dune boite pour voir ce quil y a dedans, ou, encore, lorsquon enlève le masque placé sur un visage. Révéler consiste à rendre visible ce qui ne létait pas, à exposer au regard ce qui auparavant était dissimulé.
La révélation, ainsi définie, implique quatre éléments.
Le mot grec aletheia (la vérité ou le vrai) signifie étymologiquement ce qui nest ni caché ni voilé. Il existe un rapport étroit, qui a été souvent relevé, entre « révélation » et « vérité ». La connaissance de la vérité représente toujours une découverte ; elle demande, en effet, quon aille au-delà des apparences pour atteindre une réalité qui nest pas immédiatement perceptible.
Toutefois, dans le cas de la plupart des connaissances humaines, lhomme découvre la vérité par ses propres moyens. Il ne la reçoit pas dun autre, il y parvient grâce à ses efforts. Il séclaire lui-même. Même si tout savoir résulte dun dévoilement et implique une découverte, le plus souvent, en tout cas dans le domaine religieux, on utilise le mot « révélation » pour une lumière qui vient dailleurs, du dehors ; on considère quelle communique une connaissance que nous ne pouvons pas acquérir par nous-mêmes ; elle nous est donnée par quelquun ou quelque chose.
Cet usage du mot révélation explique que fréquemment on distingue les spiritualités qui se réclament dune révélation surnaturelle ou externe de celles qui font appel à une sagesse innée et enfouie dans lêtre humain.
Pour les religions dites de sagesse, le croyant ou le fidèle atteint la vérité et parvient à mener une existence juste par ses seules ressources, par sa réflexion, par sa piété, par sa discipline morale et par son action. Lêtre humain découvre en lui-même la voie du salut, cest-à-dire la voie dune vie authentique et il y marche sans avoir besoin dune intervention ou dune assistance surnaturelle. Si, généralement, il a recours aux conseils et à lenseignement de « maîtres » qui laident et le guident, ces maîtres ne sont pas des messagers des dieux, ils sont des experts en humanité. En les écoutant et en les suivant, il devient leur égal et il apprend à sen passer. La vérité ne lui est pas donnée ni communiquée du dehors, il la trouve en lui-même grâce à une initiation qui lui ouvre les yeux et un approfondissement qui lui permet de découvrir progressivement ce quil porte en lui et que la vie ordinaire lui cache. Pour reprendre le vocabulaire bouddhiste, il est un « éveillé », qui séveille à lui-même et à sa propre vérité, ou un « éclairé » qui découvre la lumière qui lui est propre. Sa religion naît et salimente dune « source intérieure » et non dapports venus dailleurs. De nombreuses religions orientales se rangent dans cette première catégorie, pour qui, sil y a révélation, cette révélation ne peut être quintérieure.
Les religions dites de révélation se fondent ou prétendent se fonder sur une action spécifique de Dieu qui décide de dévoiler aux êtres humains une vérité à laquelle ils nont pas autrement accès. Dieu prend la parole pour leur faire savoir ce qui dépasse leurs capacités ordinaires. Il leur apporte une lumière quils nont pas en eux-mêmes. Selon une parole de lévangile de Matthieu qui a servi de titre à un livre de René Girard, « il proclame des choses cachées depuis la fondation du monde ». La révélation vient du dehors et manifeste une présence et une vérité entièrement différentes de ce que nous voyons et savons ; elle est extérieure, surnaturelle, « tout autre » par rapport à ce que nous sommes. Les êtres humains la reçoivent, lui rendent témoignage, elle transforme leur vie, mais ils ne peuvent pas la découvrir seuls et encore moins sen passer. Sans elle, ils sont impuissants ; ils sont plongés dans les ténèbres, condamnés à lignorance et à lerreur. Tout dépend de linitiative de Dieu. Sans cette révélation surnaturelle, il ny aurait pas de religion vraie, les hommes seraient livrés sans échappatoire possible à des illusions ou à de faux-semblants. Comme exemples de religions de révélation, on cite, en général, le judaïsme, le christianisme et lislam.
Cette distinction classique entre sagesse et révélation na, à mon sens, quune portée limitée. En effet, dans les spiritualités de la sagesse, interviennent des éléments extérieurs, des rencontres et des échanges, et on découvre en soi quelque chose dautre que le soi. De leur côté, les spiritualités de révélation sont bien forcées dadmettre quon ne comprend et quon naccueille une parole venue du dehors que si elle trouve en nous un « point dancrage ». Elle doit nous rejoindre quelque part et correspondre à une attente ou à une intuition inscrite en nous. Il y a toujours complémentarité entre lintérieur et lextérieur, interpénétration entre ce que je porte en moi et ce qui me vient du dehors. Il importe donc de relativiser cette opposition (comme je lai fait dans le deuxième chapitre de mon livre Parler de Dieu). Je rappelle, dailleurs, quon a parfois présenté lÉvangile à la fois comme une révélation et une sagesse, et que lislam souligne souvent la rationalité de lenseignement coranique : la religion révélée unit sagesse humaine et parole divine. Dans cette perspective, la révélation externe nous fait découvrir ou nous aide à découvrir ce que nous avons ou ce que nous portons en nous.
Gustave Doré, Moïse descend avec les Tales de la Loi |
Quest-ce qui nous est révélé ? À cette question, les chrétiens ont proposé quatre grandes réponses.
Des doctrines
Selon la première, la révélation communique un savoir. Elle fournit des connaissances dont lorigine divine garantit labsolue vérité. Dans lAntiquité, les chrétiens affirment souvent quils possèdent la vraie philosophie, la véritable gnose (« gnose » signifie connaissance ou science). Au Moyen Âge, ils expliquent que lacte révélateur de Dieu, la parole quil adresse à Moïse ou à Ésaïe, donne naissance à un « donné révélé » consigné dans la Bible. Si les croyants daujourdhui nentendent pas directement la voix de Dieu, peu importe ; ils ont accès à son enseignement, ils en connaissent le contenu.
Recevoir une révélation équivaut, ici, à adhérer à des doctrines. Cette conception de la révélation a entraîné des conflits désastreux entre la foi et la science. LÉglise a condamné Galilée et lhélio-centrisme en 1632, et des sectes américaines ont tenté dinterdire lenseignement des théories de lévolution au nom du savoir quelles croyaient trouver dans les Écritures.
De plus, il est douteux quon puisse vraiment tirer de la Bible un corps de doctrines et en déduire un enseignement cohérent. Quantité de tensions, doppositions, de conflits, de contradictions la traversent. Elle se caractérise par sa pluralité et son pluralisme. Quand on essaie de lharmoniser et de la systématiser, inévitablement on la trahit.
Cette première réponse se rencontre rarement parmi les théologiens contemporains. Elle reste, cependant, assez répandue dans lopinion publique, aussi bien parmi les croyants qui acceptent quil y ait un savoir surnaturel dorigine divine, que chez les incroyants qui le refusent.
Lêtre de Dieu
Bible de Luther, Moïse brise les Tables de la Loi.
Le théologien Karl Barth a défendu une deuxième réponse. Selon lui, dans la révélation, « Dieu se donne à connaître lui-même ». Dieu révèle ce quil est et non des doctrines. Il se dévoile et se découvre lui-même. Il est à la fois celui qui révèle et ce qui est révélé.
Selon Barth, Dieu ne se trouve pas derrière sa parole et son action mais en elles. Il ne faut pas le comparer à quelquun qui écrit une lettre pour donner des informations à son correspondant. Il est plutôt semblable à quelquun qui se déplace et fait une visite pour rencontrer son interlocuteur et établir une relation vivante avec lui. Dans sa révélation, Dieu ne donne pas un enseignement, il vient à nous, il se rend présent.
Barth voit dans la révélation une rencontre vivante, un événement existentiel qui nous touche au plus profond de notre personne. Dieu ne nous rend pas savant ; il entre en contact avec nous. Toutefois, Barth nexclut nullement le savoir. En effet, en rencontrant Dieu, nous apprenons à le connaître et à en parler justement. La révélation ne communique pas une bonne doctrine, mais une bonne doctrine résulte de la révélation.
Pour Barth, la révélation sidentifie avec Jésus-Christ, Dieu fait homme. Il est la révélation, dont la Bible est le document, le registre. Elle recueille la trace que laisse la révélation et en témoigne. Il en résulte une certaine manière de lire les Écritures : le croyant, à chaque page, doit se demander ce quelle nous apprend de Dieu. Elle a autorité quand elle parle de lui, et nullement dans ce quelle dit du monde, de la nature ou de lhistoire.
La vie authentique
La troisième réponse a été soutenue, entre autres, par le théologien Rudolf Bultmann. Pour lui, nous est révélée « la vie », par quoi il entend la vie véritable, authentique, renouvelée. La révélation fait naître une manière dexister différente de celle quoffre le monde ; elle est surgissement en nous de la vie en Christ.
Gustave Doré, L'Annonciation.
Pour Bultmann, la révélation consiste en un acte et non en un énoncé. Quand quelquun se trouve dans le chagrin, le fait de se tenir près de lui, de lui prendre la main et de la serrer a souvent plus dimportance et de signification que les mots et les phrases quon prononce. De même, selon Bultmann, la révélation nest pas un discours ; elle est une présence et une relation qui changent la vie du croyant, ce que ne fera pas lenseignement dune doctrine.
Barth et Bultmann saccordent pour voir dans la révélation une rencontre existentielle avec Dieu. Toutefois, Barth pense que cette rencontre nous donne un savoir sur Dieu et permet de développer une doctrine. Tandis que, selon Bultmann, dans cette rencontre nous percevons laction de Dieu, la manière dont il nous atteint, nous touche et nous transforme, mais son être demeure toujours inconnu. Nous savons ce que Dieu est et ce quil fait pour nous. Nous ignorons ce quil est en lui-même. Pour Barth, la révélation révèle qui est Dieu, pour Bultmann elle révèle et fait naître la vie avec Dieu.
Bultmann sinscrit dans une tradition théologique très forte dans le protestantisme. Elle remonte à Mélanchthon, lami et le collaborateur de Luther, qui déclarait que connaître le Christ signifie en expérimenter ses bienfaits et non pas connaître la nature de son être. Elle a été reprise par Calvin qui affirme que la Bible enseigne ce qui est nécessaire au salut et rien dautre. Tout le reste relève, selon le Réformateur français, de spéculations vaines. De même, Auguste Sabatier estime que la révélation a pour objet non pas de donner une connaissance, mais de transformer la vie.
Lavenir
Dans un livre, publié il y a trente ans, Théologie de lespérance, Jürgen Moltmann propose une quatrième réponse. Il voit dans la révélation essentiellement une promesse. Elle annonce lavenir que Dieu prépare et souhaite. Elle ne porte pas sur ce qui est actuellement, mais sur ce que le monde et lêtre humain sont appelés à devenir.
Parce quelle annonce un avenir, la révélation contredit la réalité présente. Elle ne parle pas de ce qui est, elle évoque ce qui nest pas encore. Elle se situe donc en décalage, à distance, en opposition avec la réalité.
Moltmann note que le Dieu biblique se manifeste toujours en promettant quelque chose. Nous en avons un exemple avec Abraham : le patriarche reçoit une promesse qui rebondit à chaque étape de la vie dIsraël. De même, lÉvangile est avant tout, ce qua bien vu Schweitzer, promesse du Royaume. La révélation nous met en marche, elle nous envoie et nous conduit vers un avenir. Cet avenir quelle promet, la révélation ne le décrit pas. Elle napprend pas ce qui se passera à la fin des temps ; elle ne dit pas ce que sera la vie éternelle ni comment seront les choses dans le Royaume de Dieu. Elle nous ouvre à un ailleurs qui nous mobilise et nous met en marche, même si nous ne pouvons pas limaginer ou nous le représenter. Elle est plutôt une orientation quun programme.
Parce quelle annonce un avenir, la révélation contredit la réalité présente. Elle ne parle pas de ce qui est, elle évoque ce qui nest pas encore. Elle se situe donc en décalage, à distance, en opposition avec la réalité. Elle ne lexplique pas, elle la conteste. Elle ne nous détourne pas du présent, elle nous incite à le transformer et à agir pour la venue de cet ailleurs promis.
À mon sens, on ne peut pas sérieusement soutenir que dans la Bible Dieu révèle des dogmes ; jécarte donc la première réponse. À la deuxième, pour laquelle Dieu se révèle lui-même, je reproche de ne pas faire la distinction entre ce que Dieu est et ce qui le manifeste, et doublier quil y a toujours une distance. Je me rallie à la troisième qui déclare que Dieu nous révèle la vie authentique ; elle englobe, me semble-t-il, la quatrième : car la vie authentique implique une relation vivante avec Dieu et nous oriente vers lavenir auquel il nous appelle.
Où se produit la révélation ? Les religions bibliques donnent à cette question quatre grandes réponses qui dailleurs ne sont pas incompatibles ou exclusives lune de lautre ; le plus souvent elles se combinent.
La révélation dans la nature
Pour la première, la révélation a lieu dans la nature. Par exemple, le livre de lExode raconte que Moïse perçoit Dieu sous la forme dun buisson qui brûle sans se consumer et, plus tard, dans une éruption volcanique. Daprès le premier livre des Rois, le prophète Élie, également dans le Sinaï, le découvre dans un vent doux et subtil. Pour le psalmiste, les cieux racontent la gloire de Dieu. Si la Bible ne divinise nullement la nature, comme ont tendance à le faire les panthéismes, à plusieurs reprises, elle affirme que Dieu se dévoile dans la nature ou que la nature le fait connaître.
Cette première réponse a paru autrefois évidente. Ainsi, Calvin pense quil faut être une « bête brute », dépourvue de toute intelligence, pour ne pas discerner Dieu dans la nature. À lépoque romantique, les montagnes enneigées, les fleurs des champs, le scintillement de la mer ont suscité chez beaucoup de gens des sentiments religieux. Pourtant, dautres qui ne sont pas forcément, nen déplaise à Calvin, des abrutis, trouvent, au contraire, la nature muette (Pascal parlait du « silence éternel des espaces infinis »), ou, sensibles à ses horreurs, estiment, comme certains dualistes, quelle renvoie plutôt à un démon quà Dieu.
Aujourdhui les partisans dun « dessein intelligent » estiment que la science en mettant en valeur la complexité et la cohérence du monde nous révèle quelque chose de Dieu. Le monde ne peut pas relever du hasard, il répond nécessairement à un projet. Pour dautres, cette conclusion est abusive et va au delà de ce quétablit la connaissance (voir le « débattre » dans Évangile et liberté de janvier 2006).
La révélation dans lhistoire
Selon une deuxième réponse, Dieu se manifeste essentiellement dans lhistoire, dans des événements qui marquent la vie des personnes ou des peuples, voire celle de lhumanité tout entière.
Ainsi, Dieu se révèle au peuple dIsraël en le faisant sortir du pays dÉgypte, en le faisant passer de lesclavage à la liberté. Pour le judaïsme antique, Dieu se fait connaître dans lexode mieux et plus que nimporte où ailleurs. Selon les chrétiens, un personnage historique, Jésus le Christ, est la révélation centrale et suprême de Dieu.
Que Dieu se révèle dans lhistoire ne signifie pas quil se manifeste également à chaque instant et dans tous les événements. Il y a des temps forts, ce que le Nouveau Testament appelle en grec des kairoi, et des temps plus faibles ; il y a des événements qui nous éclairent énormément et dautres qui ne disent rien ou pas grand chose. Pour les premiers chrétiens, la Résurrection représente un moment décisif, capital ; aucun autre ne peut lui être comparé ni même ne lapproche en importance. La fin des temps avec le surgissement dune nouvelle terre et de nouveaux cieux sera aussi un temps fort (mais pas autant que celui de Pâques). Par contre, la période qui va de la résurrection à la fin des temps est faible ; elle est un « entre temps » (un entre deux temps), où le croyant vit dun souvenir et dune espérance, mais pas dune actualité comme dans les moments décisifs.
Cette deuxième réponse a alimenté de grands débats sur le sens de lhistoire entre marxistes et chrétiens durant le deuxième tiers du vingtième siècle. Aujourdhui, on se demande souvent si lhistoire nest pas écoulement de temps sans but ni signification, sil ne faut pas y voir une succession incohérente et aléatoire dévénements plutôt que le lieu dune révélation.
La révélation par la parole
Pour la troisième réponse, fréquente en protestantisme, Dieu se révèle par la parole, par des discours et des textes. Des phénomènes naturels ou des événements historiques nont de sens que si les accompagnent ou les suivent des paroles qui les annoncent, les expliquent ou les commentent. Si Dieu avait agi silencieusement, sil avait délivré les hébreux de leur esclavage sans rien leur dire, si le Christ était mort sans avoir enseigné et prêché, sil était ressuscité sans que personne ne le sache et nen parle, il ny aurait pas de révélation. La révélation réside donc dans la parole, même si cette parole se réfère à un événement.
L'Esprit accompagne le discours biblique et en a besoin, comme, à linverse, la lecture de la Bible a besoin de lEsprit. Les deux sont nécessaires pour quil y ait révélation. Pour Calvin, la Bible sans lEsprit est une lettre ou une écriture morte qui ne révèle rien. De son côté, lEsprit sans la Bible est muet, il ne dit, napprend, nenseigne, ne révèle rien. Il rend vivant pour nous ce que dit la Bible.
Cette troisième réponse conduit à privilégier la Bible. La deuxième met laccent sur les événements. La Bible nest pas la révélation, mais le récit écrit par des témoins qui racontent les événements dans lesquels Dieu sest révélé. La troisième réponse, au contraire, donne plus dimportance à ce que dit la Bible quà ce dont elle parle. Il se peut que les récits de lExode soient purement légendaires, que les évangiles déforment ou inventent les épisodes quils racontent. Peu importe, car la révélation se trouve dans le discours et non dans lévénement que relate le discours.
La révélation sans intermédiaire
Une quatrième réponse estime que Dieu se révèle directement à notre âme, dans notre intériorité, sans intermédiaire. Il fait sentir sa présence au plus intime, au plus secret de notre existence. Cest là quil se manifeste et sadresse à nous. On nécarte pas forcément la nature, lhistoire et le discours : on les considère comme des moyens pédagogiques qui doivent nous conduire à une communion intime, à la perception directe de Dieu dans une adoration et une contemplation dépouillées de tout élément extérieur, qui ne font appel à aucun instrument.
Calvin a beaucoup insisté sur « laction interne du Saint Esprit ». Cependant, à la différence des « illuminés » « enthousiastes » ou « inspirés » de son époque, il affirme que lEsprit ne se suffit pas ; il nagit jamais seul. Il accompagne le discours biblique et en a besoin, comme, à linverse, la lecture de la Bible a besoin de lEsprit. Les deux sont nécessaires pour quil y ait révélation. Pour le Réformateur, la Bible sans lEsprit est une lettre ou une écriture morte qui ne révèle rien. De son côté, lEsprit sans la Bible est muet, il ne dit, napprend, nenseigne, ne révèle rien. Il rend vivant pour nous ce que dit la Bible. Calvin combine donc la troisième et la quatrième réponse. Sil refuse de faire de la seule intériorité, avec toutes les dérives subjectives qui la menacent, le lieu de la révélation, jamais il ne consent à léliminer au profit du seul texte.
Gustave Doré, Saint Paul sur le chemin de Damas
Faut-il vraiment trancher entre ces quatre réponses ? Si la révélation, comme la indiqué la deuxième partie, est événement et rencontre, elle peut se produire dans des lieux divers et varier selon les personnes. Ce qui me parle ne dira rien à quelquun dautre. On le voit dans lévangile de Jean : les miracles opérés par Jésus touchent certains, suscitent ou augmentent leur foi, mais aussi renforcent les réticences, les refus et lincrédulité dune partie de la foule. Ce qui révèle aux uns la mission divine de Jésus la cache aux autres. Nous ne percevons pas tous Dieu au même endroit ni de la même manière.
Ce rapide panorama montre, une fois de plus, quon ne peut pas parler du christianisme au singulier. Il est divers et multiple (comme le sont lislam, le judaïsme et le bouddhisme). Il ne faut pas tenter de le ramener à lunité.
Une dernière remarque. Jai dit que la révélation dévoile ce qui est caché ; elle est passage des ténèbres à la clarté. Or, plus une lumière est vive, plus elle accentue les ombres. Cela vaut aussi pour la révélation. Dans sa quatrième lettre à Mlle de Roannez, Pascal, citant la phrase dÉsaïe, « véritablement tu es un Dieu caché », explique que plus Dieu se fait connaître plus il est mystérieux, difficile à discerner et à comprendre. La révélation à la fois dissipe et augmente lobscurité ; elle fournit des réponses et, en même temps, soulève dinnombrables questions ; elle pose autant sinon plus de problèmes quelle napporte de solutions. Elle ne donne jamais un savoir absolu, total et définitif, elle fait entrer dans un mélange de connaissance et dignorance, dassurance et dhésitation, de conviction et dinterrogation, de lucidité et daveuglement, de certitude et de trouble. Elle ne nous rend pas propriétaires, détenteurs de vérités, comme le voudraient les fanatismes et les obscurantismes religieux. Elle fait de nous des chercheurs de sens, elle nous met en route dans une marche tantôt tranquille tantôt tourmentée, tantôt sereine tantôt inquiète. Jésus na pas dit : « je suis larrivée, le terminus », mais « je suis le chemin ».
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